LA THÉORIE DES « PASSAGERS CLANDESTINS », DU BALLON D’OR AU PASTEF
EXCLUSIF SENEPLUS - Plein de « Rodri » ayant profité des indicateurs collectifs positifs du parti présidentiel se sont grassement installés comme maires et députés. La peur de l’indicateur individuel les pousse dans des coalitions contre nature
La grosse polémique sur la nomination de Rodri, joueur de Manchester City, au Ballon d’or de France Football, remet à l’ordre du jour le problème des indicateurs de performance individuelle. En vérité, ceux-ci sont plus difficiles à mesurer que les indicateurs collectifs. La raison principale réside, en grande partie, dans leur incapacité à délimiter des frontières aux bornes des tâches à accomplir. Circonscrire des tâches ne va pas de soi. À voir de près le palmarès de Rodri, *on constate qu’il l’emporte sur des exploits collectifs où sa part de contribution au succès est difficile à mesurer.
Dans les trophées remportés par l’Espagne, était-il meilleur que Carvajal* ? Certains diront que oui, arguant qu’il a été désigné meilleur joueur de l’Euro, sa seule distinction individuelle. Dans les trophées remportés pas Manchester City, était-il meilleur que Foden* ? Sûrement pas. Tout se passe comme si on ramenait alors l’exploit collectif de l’équipe d’Espagne et du club Manchester City à un exploit individuel de Rodri. L’exploit dit individuel serait dès lors une conséquence de la réussite collective. Rodri n’est pas meilleur joueur de Premier League, le championnat où il évolue. Pire, il n’est même pas le meilleur joueur de Manchester City, club dans lequel il joue.
Rodri est donc élu sur la base d’indicateurs collectifs qui ne sont pas, comme bien souvent, la solution aux divers problèmes que l’on se pose, notamment celui de l’octroi du Ballon d’or.
La fragilité des indicateurs collectifs repose sur le phénomène « du passager clandestin » bien connu des économistes et des politiques. Il consiste à ne rien faire et profiter de l’effort d’autrui. Sans aller jusqu’à dire que Rodri n’a rien fait, on dira qu’il a largement profité des bonnes performances de l’équipe d’Espagne et de celles de son club Manchester City. D’où la controverse de sa nomination.
Évidemment, si tout le monde tenait ce raisonnement fort rationnel au demeurant, (je fais le minimum, je profite des efforts des autres), la conséquence collective pourrait être désastreuse. Par exemple, j’étais frappé de voir les quartiers huppés de Sandton à Johannesburg dans le noir complet, faute d’éclairage public. Personne ne voulant « cotiser » pour des lampadaires publics, chacun se contentait d’éclairer sa maison et de poser des barbelés électrifiés pour se prémunir de toute intrusion. Chacun jouait en quelque sorte au « passager clandestin », ce qui expliquait l’absence de l’éclairage public. On observe le même phénomène en ce qui concerne les ordures publiques dans nos cités. Ce n’est le problème de personne. Chacun pense que c’est quelqu’un d’autre qui doit en prendre soin. Les solutions préconisées par la théorie économique pour résoudre ce problème de « passager clandestin » seraient alors, de faire intervenir l’État, ou des sociétés privées pour prendre en charge l’éclairage public ou pour mettre des camions de ramassage d’ordures à la disposition des ménages. En contrepartie, ils obligeraient les citoyens à en payer le prix sous forme de taxes.
Prenons notre environnement politique. Le Pastef refuse les « passagers clandestins » dans cette élection législative. Il a décidé de ne pas s’embarquer dans une coalition souvent encombrante où il jouerait tout seul le rôle de la locomotive et les autres, de wagons. De son expérience avec la coalition « Yeewi Askaan Wi », le Pastef a tiré la leçon des « passagers clandestins » ayant profité de sa notoriété, de son envergure et de l’aura de son chef. Cette fois, il livrera la bataille sous sa bannière. Cela est nouveau dans le paysage politique sénégalais. Plein de « Rodri » ayant profité des indicateurs collectifs positifs du Pastef se sont grassement installés comme maires et députés. C’est le cas notamment du plus turbulent d’entre eux, le maire de Dakar.
La peur de l’indicateur individuel les hante, au point de les pousser à s’allier dans des coalitions contre nature, dans le seul but de se réfugier dans des indicateurs collectifs. Le peuple sénégalais n’est toutefois pas dupe, il a tôt fait de repérer ces partis « yobalé ma » *, car leurs jeux répétés de se mettre tout le temps en coalition et de ne jamais « se peser », c’est-à-dire profiter de l’éclairage public sans payer sa contribution, finit par les perdre.
Dr Tidiane Sow est Coach en Communication politique.
Notes :
-Palmarès de Rodri : Eueor 2024 ; meilleur joueur de l'Euro ; Premier League ; Coupe du monde des clubs ; Supercoupe de l’UEFA ; Community Shield
-*Rodri, Carvajal et Foden : joueurs de football
-*Yobalé ma : « emmènes-moi avec toi »