L’AMOUR NE SE MESURE PAS A UN TEST DE GROSSESSE
Le cas de Fatel, jeune épouse de l’artiste Ngaaka Blindé, a suffi à rallumer la machine à rumeurs, déclenchant un flot de commentaires, d’accusations et de suppositions sur sa fertilité. La vie intime d’une femme est devenue le théâtre d'un débat public

On ne les connaît pas vraiment. On ne vit pas chez eux. On ne sait pas ce qu’ils espèrent, ce qu’ils traversent, ce qu’ils taisent. Et pourtant, dès qu’un couple n’a pas encore d’enfant, les spéculations s’invitent. On questionne, on soupçonne, on juge. On invente des diagnostics. Surtout quand il s’agit de la femme. Toujours la femme.
Le récent cas de Fatel, jeune épouse de l’artiste Ngaaka Blindé, a suffi à rallumer la machine à rumeurs, déclenchant un flot de commentaires, d’accusations et de suppositions sur sa fertilité. Une fois de plus, la vie intime d’une femme est devenue le théâtre d’un débat public brutal. Ce n’est plus une conversation, c’est un jugement collectif. Et ce n’est pas un cas isolé. A travers elle, c’est toute une société qui révèle son obsession de contrôler les corps des femmes, de vérifier si elles sont «bonnes pour enfanter», de scruter leur silence, leur ventre, leur vie.
Ce n’est pas de l’intérêt, c’est une intrusion. Une violence déguisée en curiosité. Ce qu’on appelle «opinion» est souvent un masque pour juger, pour imposer, pour humilier. Et trop souvent, la cible reste la même : la femme. Toujours la femme. C’est elle qu’on interroge, qu’on soupçonne, qu’on blâme. Comme si son utérus appartenait au monde. Comme si aimer, vivre, exister passait nécessairement par la maternité. Au lieu de jeter systématiquement le regard sur la femme uniquement, pourquoi ne pas envisager toutes les réalités possibles ? Dans certains cas, c’est l’homme qui n’a pas ce qu’il faut pour procréer. Mais cette hypothèse est rarement évoquée, tant elle dérange l’ordre établi d’une masculinité supposément toute-puissante. L’infertilité masculine reste un tabou dans le tabou. Et quand elle est reconnue, elle est souvent minimisée ou cachée, pour préserver un honneur masculin fragile.
Dans d’autres cas, c’est la femme qui traverse ce parcours douloureux, entre examens médicaux, traitements hormonaux, et attentes souvent solitaires. Mais faut-il pour autant faire d’elle une coupable ? Pourquoi son corps devrait-il être mis à nu dans les conversations publiques ? Pourquoi les regards pèsent-ils sur elle plus lourdement que sur le couple lui-même ?
C’est l’organisation patriarcale de nos sociétés qui nous fait croire que l’essence de la femme se résume à sa capacité à enfanter. Dès l’adolescence, on projette sur elle des attentes : à peine avons-nous 16 ans qu’on commence à nous demander si on a un prétendant, un futur mari. Une fois mariées, c’est aussitôt : «à quand l’enfant ?». Comme si chaque étape de notre vie n’avait de sens qu’en fonction du regard social et de la reproduction. Cette pression n’est pas anodine : elle enferme, elle étouffe, elle génère des traumatismes. Elle fait peser sur les épaules des femmes une mission sacrée qu’elles n’ont pas choisie. Elle fait du ventre féminin un bien public, une affaire collective, un devoir national. En réalité, on ne parle pas de désir d’enfant, mais de dette à rembourser à la société, à la famille, aux traditions.
Or, notre présence ici-bas ne se justifie pas par le fait de mettre des enfants au monde. Etre une femme ne devrait jamais être une fonction à remplir. C’est un être, une liberté, un chemin propre. Si la maternité est un choix, elle peut être belle et puissante. Mais si elle devient une obligation, alors elle se transforme en chaîne. Et ce n’est pas cela, vivre. Ce n’est pas cela, aimer. Ce n’est pas cela, être libre.
Et puis, il existe aussi des couples qui prennent une décision commune : celle de ne pas avoir d’enfants. Par choix, par conviction, ou parce qu’ils veulent écrire leur histoire autrement. Ce choix, profondément intime et souvent mûrement réfléchi, devrait être respecté. Et pourtant, il est perçu comme une anomalie, un défi à l’ordre établi. Comme si refuser de procréer revenait à renier l’amour, la normalité, la morale.
Dans l’imaginaire collectif, un couple sans enfant est un couple incomplet, suspect, égoïste. On leur reproche de penser à eux-mêmes, comme si le bonheur ne pouvait exister qu’à travers la parentalité. On les soupçonne de se mentir à eux-mêmes, comme si le désir d’enfant était une évidence universelle. Et pire encore, on fait de la femme le symbole d’une rébellion inacceptable : une femme qui ose dire non à la maternité dérange, menace, fait peur. Elle échappe au contrôle, elle refuse de se soumettre.
Mais choisir de ne pas avoir d’enfants n’est ni un rejet de l’amour ni un acte égoïste. C’est une autre manière d’habiter le monde, d’aimer, de construire. C’est un droit fondamental. Et c’est aussi un acte de lucidité, parfois, face à un monde incertain, une société inégalitaire ou une volonté de se préserver. La liberté de ne pas enfanter devrait être aussi précieuse que celle de le faire. Car au fond, la vraie transgression, ce n’est pas de vivre sans enfants : c’est d’exiger qu’on vive tous et toutes selon un seul modèle.
Et puis il y a l’impact silencieux, invisible, mais ravageur : celui sur la santé mentale. Pour beaucoup de femmes et de couples, l’infertilité devient une spirale d’angoisse, de honte, de solitude. On se sent coupable de ne pas réussir là où on attend de vous que ce soit «naturel». L’anxiété devient quotidienne, le stress médicalisé, les espoirs souvent brisés. Certaines sombrent dans la dépression, d’autres s’isolent, fatiguées de devoir justifier ce que leur propre corps refuse ou ce qu’elles ne désirent pas. Et le pire, c’est que cette souffrance est souvent réduite au silence, invisible pour une société qui attend des résultats, pas des émotions.
Et que dire du rôle des médias et des influenceurs ? Trop souvent, ils alimentent cette culture du jugement, cette obsession du ventre féminin. On glorifie la maternité sans jamais parler de celles qui peinent à enfanter ou qui n’en veulent pas. On interroge les célébrités sur leurs projets d’enfants comme si c’était un passage obligé. On fait des publications, des spéculations, des likes sur ce qui devrait relever de la plus stricte intimité. Les médias ont une responsabilité immense : celle de cesser d’instrumentaliser la maternité et de nourrir les injonctions. Il est temps de raconter aussi les autres récits : ceux du doute, du choix, de l’attente ou de l’abstention assumée. Car derrière chaque situation, il y a des vies, des douleurs, des choix, et parfois des nondits qui méritent la dignité et la discrétion.
Il n’y a plus de respect pour la vie privée, surtout quand il s’agit de célébrités. Pourquoi ce besoin compulsif de nous mettre au cœur de leur foyer ? De parler en leur nom, de spéculer sur leurs choix, leurs douleurs, leurs silences ? On oublie trop souvent que la notoriété ne donne pas accès aux entrailles des êtres. Nous n’avons ni le droit ni la légitimité de nourrir des récits sur la vie d’autrui comme s’ils nous appartenaient. Ce besoin d’exister à travers l’intimité des autres en dit long sur nos propres frustrations et sur l’absence d’une culture du respect.
Dans nos sociétés où la parentalité est souvent érigée en accomplissement suprême, l’infertilité demeure un mot qu’on chuchote à voix basse, un drame intime vécu dans l’ombre, parfois même dans la honte. Et trop souvent, ce silence pèse davantage sur les femmes que sur les hommes, comme si le corps féminin était seul responsable du miracle ou de l’échec de la vie.
Dans un couple, l’infertilité est une épreuve. Une de celles qui fait vaciller les certitudes, bouscule l’intimité et questionne le sens même du mot «famille». Mais au-delà du médical, elle révèle aussi à quel point nos rapports au corps, à l’amour, au genre et à la norme sont traversés d’injustices. Car si l’infertilité est statistiquement partagée -à peu près autant masculine que féminine-, la culpabilité, elle, ne l’est pas. Combien de femmes sont regardées avec suspicion, traitées de «femmes incomplètes», voire rejetées par leurs belles-familles ? Combien de fois la souffrance est-elle intériorisée, en silence, pour éviter le stigmate ou préserver un amour déjà fragilisé par les tentatives, les échecs, les examens invasifs, et les attentes sociales insupportables ?
Dans un couple, l’infertilité est une épreuve. Une de celles qui fait vaciller les certitudes, bouscule l’intimité et questionne le sens même du mot «famille». Mais au-delà du médical, elle révèle aussi à quel point nos rapports au corps, à l’amour, au genre et à la norme sont traversés d’injustices. Car si l’infertilité est statistiquement partagée -à peu près autant masculine que féminine-, la culpabilité, elle, ne l’est pas. Combien de femmes sont regardées avec suspicion, traitées de «femmes incomplètes», voire rejetées par leurs belles-familles ? Combien de fois la souffrance estelle intériorisée, en silence, pour éviter le stigmate ou préserver un amour déjà fragilisé par les tentatives, les échecs, les examens invasifs, et les attentes sociales insupportables ?
Et pourtant, il n’y a pas de faute. Il n’y a pas de honte à ne pas pouvoir avoir d’enfant. Il n’y a pas non plus de honte à ne pas en vouloir. Ce qui est honteux, c’est la pression constante, le regard social qui fait de la maternité une injonction, un devoir plus qu’un choix, et qui oublie trop souvent les réalités biologiques, les douleurs psychologiques, et la complexité des parcours. Parler d’infertilité, c’est aussi parler de justice reproductive. De l’accès aux soins, au diagnostic, aux parcours de Pma qui reste hors de portée pour beaucoup. C’est parler de santé mentale, de violence symbolique, de solitudes que personne ne voit. C’est aussi parler de cyberviolence, quand les réseaux deviennent des tribunaux qui jugent, humilient et détruisent. C’est parler de dignité, de liberté, de la possibilité de vivre pleinement son humanité, qu’on soit parent ou non. Il est temps de rappeler que l’amour, le couple, l’accomplissement ne se mesurent pas à un test de grossesse.