L’AVORTEMENT MÉDICALISÉ EN CAS DE VIOL OU D’INCESTE DOIT ÊTRE AUTORISÉ
EXCLUSIF SENEPLUS - User de discours pseudo-scientifique pour servir des desseins rétrogrades à l’endroit des femmes qui risquent leur vie ou sinon la perdent, pour ne pas avoir à subir une grossesse monstrueuse, est un procédé extrêmement dangereux
L’avortement médicalisé en cas de viol ou d’inceste au Sénégal, une réponse sociale, sanitaire, éthique et humanisée dans un cadre juridique clair et sur des bases réellement scientifiques.
En prenant connaissance, une nouvelle fois, d’articles de « religieux » habitués à soutenir l’insoutenable dans les médias sociaux et traditionnels et de l’annonce d’une conférence de presse de diverses organisations islamiques, nous avons été troublés de constater l’usage fallacieux d’une rhétorique pseudo-scientifique, non adossée à un état actuel de la science et spécieuse qui tend à égarer un public non averti. Cela en même temps qu’une volte-face, à peine surprenante, de certains de ces messieurs qui pourtant avaient marqué, à la télévision, leur besoin de reconnaissance, leur désir ardent d’être sollicités dans les instances de réflexion et leur volonté de travailler avec l’Association des Juristes Sénégalaises et la Task force créée par l’État du Sénégal et constituée de diverses organisations féminines. De plus, nous avons été stupéfait.e.s que ces messieurs s’en prennent de manière totalement diffamatoire aux féministes qui n’ont pas grand-chose à voir avec les associations féminines engagées dans la Task force. Nous les mettons au défi de nous citer un nom de féministes sénégalais.e.s connu.e.s, reconnu.e.s et confirmé.e.s par leurs pairs impliqué.e.s dans les instances de la Task force. Sauf à admettre qu’ils ne savent pas de quoi ils parlent concernant le féminisme et un organisme de l’État. Dans ce cas, le principe de prudence qui préside à toute prise de parole publique de personne ayant un minimum de crédit leur reste impénétrable, comme les voies du Seigneur manifestement. En même temps, comment pourrait-il ne pas l’être pour des personnes ignares se prétendant objecteurs de conscience d’une morale sexuelle préislamique ? Cela nous donne à voir à minima de l’amateurisme et de l’inconscience ou à maxima, une volonté délibérée, de jeter en pâture les féministes et à en faire le point de mire de la haine et de la vindicte populaire. Dans ce cas, ils devront pouvoir aussi répondre de tout ce qu’il adviendra des féministes sénégalais.e.s dans l’espace public, à partir de ce jour.
Pour rappel, Mame Mactar Gueye (MMG), face caméra et sans pressions d’aucune sorte, à partir de la 38e minute d’une émission, publiée le 28 août 2020, par le site seneweb.com et animée par Mme Maria Diop, consacrée à l’avortement médicalisé, a admis la gravité des situations de viols et d’incestes suivis de grossesse chez les jeunes filles mineures. Qu’au surplus, il dit lui-même qu’il était impensable de laisser prospérer des grossesses de petites filles tout juste pubères (9 ans) et victimes d’inceste ou de viol du fait de l’immaturité de leur corps. Le même veut se fendre, aujourd’hui, d’une « synthèse de recherches d’équipe », dont il dit n’avoir aucun mérite personnel, alors que pourtant son laïus bégayé au micro pendant plus 30 interminables minutes, reprend sa rhétorique habituelle et fallacieuse, en conférence de presse, pour nous dire tout à fait le contraire et jouer à manipuler l’esprit des populations en agitant des images d’horreur d’aspiration de fœtus âgés de plus de 3 mois, puisque suffisamment formé pour distinguer une « bouche ». Or, par définition, l’avortement sous quelques formes que ce soit est l’expulsion du fœtus avant qu’il ne soit viable.
En ce qui concerne l’avortement médicalisé demandé par la Task force, donc l’État du Sénégal, il s’agit au mieux d’expulser à l’aide de pilule abortive un amas cellulaire de moins de 5 cm et âgé de moins de 9 semaines au maximum. Au pire, il sera procédé à une aspiration d’un fœtus de 12 à 14 semaines maximum, selon le délai légal qui sera retenu au Sénégal. Dans un cas comme dans l’autre très largement en dessous de la limite de viabilité d’un fœtus fixée par l’OMS à 22 semaines et à un poids de 500g. Par ailleurs dans une volonté d’égarer le public, d’insulter leur intelligence et de jouer avec leurs émotions, ce monsieur fait sciemment l’amalgame entre avortement médicalisé, interruption médicale ou thérapeutique de grossesse, IVG et avortement clandestin.
Par souci de pédagogie, nous allons reprendre ces différents concepts et les éclaircir. Par définition, une « fausse couche » est un avortement spontané d’un fœtus non viable. Une interruption médicale ou thérapeutique de grossesse (IMG) est décidée par le corps médical et les patientes dans le cas où la grossesse menace la vie de la mère, ou parce que l’embryon ou le fœtus est atteint de malformations telles, qu’il n’a aucune chance de survie ou que ce dont il est atteint est incurable. L’IVG repose sur le principe du droit des femmes à disposer de leur corps et se décide, uniquement par celle-ci, dans un cadre légal clairement défini et avec des procédures d’encadrement médical. Il s’agit d’un parcours de soin avec des rendez-vous médicaux et psychologiques dans des délais spécifiques définis par la législation des pays qui l’autorisent. Ce qui n’est ni le cas du Sénégal ni ce qui est demandé par la Task force. Il y a en sus un référencement à des services de planning familial, pour ne pas faire de l’IVG, un mode de contraception ; contrairement à ce qu’affirme MMG qui manque cruellement de renseignements sur ce qui se fait dans ce domaine dans tous les pays qui autorisent l’IVG. Mais comme au Sénégal parler de ce que l’on ne maîtrise pas est un sport national, eh bien voilà le résultat !
L’avortement clandestin est celui qui se fait en dehors du cadre légal prévu. Ce que l’AJS et les autres associations féminines ont porté à la connaissance de tous et spécialement de l’État pour que ces infractions cessent et qu’il n’y ait pas qu’une réponse pénale appliquée sans humanité. L’avortement clandestin peut s’avérer extrêmement dangereux du fait des conditions d’asepsie qui ne sont pas toujours au rendez-vous puisqu’elles ne sont optimales que dans un bloc opératoire. De plus, il n’y a pas d’anesthésie ou de sédatif proposé à ces femmes qui de ce fait endurent des douleurs inhumaines, des chocs émotionnels qui peuvent remettre en cause l’intégrité physique et psychique du sujet avec des manifestations somatiques incontrôlables dont l’acmé est la mort. Le matériel utilisé peut causer de graves dommages au corps de la femme et en particulier à son appareil uro-génital avec un risque de mort par hémorragie. Cela est majoré par les conditions matérielles qui ne permettent pas d’interventions d’urgence. Au surplus, ces avortements ne sont pas correctement suivis en « post-op » puisqu’aucun traitement antibiotique n’est administré pour éviter toutes formes d’infection ni même les immunoglobulines pour les femmes de groupe sanguin Rh négatif. Ce qui accroît le nombre potentiel de suites défavorables aux femmes, dont la mort à distance de l’opération, par septicémie par exemple (CAD empoisonnement du sang par des agents infectieux endommageant tout ou partie des organes et entraînant la défaillance de ceux-ci puis la mort). Pour finir, la surveillance de l’état psycho-affectif de la femme comme l’évaluation de son état mental au cours de l’avortement et par suite ne sont pas effectuées par des spécialistes du psychisme humain (psychiatres ou psychologues cliniciens). C’est aussi pourquoi on ne peut prévenir ni des bouffées délirantes aiguës, ni les psychoses puerpérales, ni les dépressions du post-partum qui peuvent avoir des répercussions médico-légales graves.
MMG cite dans sa diatribe, un court métrage d’un médecin « repenti » dit-il, le Dr Nathenson datant de 1984. Peut-on se repentir d’un crime qu’on n’a pas commis (puisque l’avortement n’en est pas un) ? Par ailleurs en dehors de citer des références datant des années 80 MMG semble oublier d’actualiser ses sources puisque la science est dynamique et évolue sans cesse. À moins que MMG veuille aussi immobiliser la science dans un hors temps, ce qui dénote davantage chez lui, d’une volonté de tuer la vitalité de la recherche scientifique. Mais soit ! À toutes fins utiles, nous rappelons que le journal Libération du 25 octobre 1985 publiait un article dans lequel ce documentaire américain était qualifié comme « un document délirant dans sa pseudo scientificité, sa misogynie, son racisme, l’invraisemblable violence et stupidité qu’il véhicule. Il repose sur le principe classique du chantage affectif, du terrorisme intellectuel et du discours totalitaire. » (R. Braidotti, 1985 « Le cri silencieux ou l’art de la fœtus-graphie », in revue GRIF, n°32, pp147-149). L’article publié par Braidotti traite, en outre, ce film de pornographie médicale avec recours au viol symbolique du corps maternel par un œil pervers et avide de nous dévoiler les tréfonds du corps d’une femme. « Une haine infinie des femmes, une haine sans fond ». De plus ce film, d’extrême droite a permis d’argumenter la thèse du grand remplacement soutenue, de nos jours, par Zemmour en France. C’est être donc tombé bien bas que de récupérer des arguments racistes et rétrogrades d’extrême droite pour tirer à boulets rouges sur des femmes noires, sénégalaises, particulièrement démunies. Puisqu’on le sait, la critique féministe l’ayant démontré, que cette question de l’avortement remet sur la table la lutte des classes. En effet, les féministes relèvent le fait que celles qui sont le plus impactées par ce retard de l’application de la loi sont les femmes démunies financièrement et socialement et non les bourgeoises qui continueront à se faire avorter dans des conditions optimales puisqu’elles ont de quoi se le payer.
C’est en considération de la totalité de ces risques, en vue de préserver une vie humaine par le choix éthique de sauver la femme plutôt qu’un fœtus non encore viable, dans le but de mettre toutes les femmes sur le même pied d’égalité parce que toutes les vies comptent autant celle de la bourgeoise que de la prolétaire, dans le but de se conformer à la loi, y compris le Protocol de Maputo signé et ratifié et qui est supranational (comprenez au-dessus de la loi nationale) que la Task force travaille de concert avec l’État, des associations féminines et des personnalités singulières de la société civile (influenceurs, journalistes, experts, etc.). Ces associations ne demandent pas une avancée du droit avec l’octroi de nouveaux droits, mais un respect de la législation en vigueur dans toute la CEDEAO et une harmonisation des droits qui nous sont d’ores et déjà conférés par le Protocol de Maputo. Donc l’agitation et le pseudo-activisme de ces associations (en retard sur leur temps comme toujours) sont nuls et non avenus. Il ne sert strictement à rien à l’heure actuelle si ce n’est d’encombrer l’espace médiatique, nous saouler de paroles inutiles en diffusant de fausses informations et agiter la haine des femmes qui gangrène notre société. Cela pose, de plus, la question de la sincérité de leurs engagements, de l’intérêt et de la pertinence de leurs propos. Cela décrédibilise l’image et l’autorité des guides religieux érudits, respectables et respectueux de la vie humaine et des textes sacrés qu’ils maîtrisent. Cela questionne encore quant à l’objectif poursuivi par ce monsieur bien versatile qui surfe sur la polémique pour exister sur la scène publique. Lequel n’a bien souvent d’intérêt que pour ce qui tourne qu’autour du sexe ou de la sexualité de jeunes gens, mais plus rarement, voire jamais, ne concerne les faits de harcèlements sexuels de rue, d’agressions sexuelles, de viols d’incestes ou de pédophilie commis au Sénégal et qui y sont légions. Pourtant, ce n’est pas faute d’être tagué sur les réseaux sociaux lors de médiatisation de ces problèmes hautement plus graves qu’un décolleté, qu’une cuisse à l’air ou qu’une vague accolade. Alors à quoi joue ce monsieur et dans quoi entraîne-t-il d’autres personnes qui peuvent sans doute jouir du bénéfice du doute quant à leurs objectifs affichés ? On peut à juste titre s’interroger sur les objectifs poursuivis par cet homme et quels sont les lobbies derrière autant de versatilité. « Seuls les imbéciles ne changent pas d’avis », nous direz-vous, comme le veut l’adage. Pourtant, aujourd’hui la chose est plus grave. En effet, le recours au discours pseudo scientifique pour servir des desseins rétrogrades et meurtriers à l’endroit des milliers de femmes qui, chaque année, risquent leur vie ou sinon la perdent, pour ne pas avoir à subir une grossesse monstrueuse issue de viol et d’inceste, est un procédé de manipulation extrêmement dangereux, qui devrait mobiliser l’appareil d’État ainsi que nos guides religieux qui font autorité depuis des décennies et qui n’ont aucunement besoin que de basses considérations matérielles dictent leur prise de parole publique.
Ndeye Khaïra Thiam est psychologue clinicienne, criminologue, féministe radicale sénégalaise.