LE CASSE-TETE DE L’ENDETTEMENT PUBLIC
Sur la base de ce qui apparait comme une Fake News économique, une certaine presse avait affirmé que la Côte d’Ivoire avait quitté la liste des pays à revenus intermédiaires pour retourner à celle des « Pays Pauvres Très Endettés »
Sur la base de ce qui apparait comme une Fake News économique, une certaine presse avait affirmé que la Côte d’Ivoire avait quitté la liste des pays à revenus intermédiaires pour retourner à celle des « Pays Pauvres Très Endettés » (PPTE).
Selon cette presse, ce retour en PPTE était imputable à un niveau d’endettement insoutenable pour le pays.
Les démentis n’ont pas tardé, en particulier de la part des « Big Three » (Moody’s, Fitch et S&P), considérés comme des agences sévères dans leur évaluation de la capacité des Etats africains à rembourser leurs dettes, rendant par conséquent malaisé leur accès au marché financier à des conditions « soutenables » (les notations basses en matière de risque souverain générant en effet des coûts d’emprunt — taux d’intérêts plus élevés).
C’est le lieu de constater le poids des évaluations des agences de notations sur l’accès au financement international.
Les investisseurs institutionnels, friands d’obligations souveraines d’origine africaine, sont à l’écoute de ces agences qui, par leurs seules appréciations, peuvent faire basculer les Etats dans la paralysie financière, quel que soit leur niveau d’endettement.
Le Ghana en fait l’amère expérience, et son exemple nous vient à l’esprit, s’agissant de nos relations avec les institutions financières internationales. En effet après avoir souverainement affirmé son intention de ne plus avoir recours au FMI, ce pays vient de solliciter l’appui financier de cette institution, faute d’alternative pour passer le cap de la situation d’impasse de trésorerie à laquelle il doit faire face.
Le Sénégal et la Côte d’Ivoire donnent le sentiment d’être « chouchoutés » par l’institution de Bretton Woods.
Pour ce qui concerne plus particulièrement notre pays, le FMI donne le sentiment de ne pas suffisamment tenir compte des capacités propres de remboursement de sa dette publique.
L’endettement public a connu une très forte hausse sous le magistère du président Macky SALL pour des investissements dont on ne mesure pas encore l’impact sur la transformation structurelle de l’économie, faute d’indicateurs internes suffisamment parlants et de liaisons inter sectorielles prouvant l’amorce d’un processus de développement économique endogène.
Au contraire, le modèle post colonial est toujours en vigueur. Il est caractérisé par une production agricole ne permettant pas de nourrir la population, une industrie peu développée, un secteur des services portant l’essentiel de la croissance économique (Banques, Assurance, Télécom etc.), un commerce extérieur structurellement en faveur des importations au détriment des exportations, pour l’essentiel constituées de produits miniers non transformés (or, zircon etc.) avec une faible participation de l’Etat dans « les tours de table » des sociétés minières étrangères en charge de l’exploitation.
Il en va de même des entreprises privées chargées de l’exploitation de services publics dans le cadre de contrats de délégation de services publics comme les PPP, laissant la portion congrue aux sociétés publiques de gestion de patrimoine, destinées au remboursement des emprunts.
L’Etat du Sénégal a de plus en plus recours au marché obligataire régional et international pour couvrir ses besoins de financement.
Les ministres des Finances et budgets de Macky SALL ont fait des succès des d’émissions obligataires ou d’eurobonds, des arguments de robustesse d’une économie en passe, selon eux, d’atteindre l’émergence économique (concept très flou d’ailleurs).
Il n’était pas rare d’entendre : « les investisseurs ont souscrit plus que ce dont nous avions besoin », vantant par ce biais la qualité de la signature du Sénégal.
Comment pouvait-on à ce point se prévaloir de la turpide d’emprunter, s’en réjouir publiquement, puis aller dans les fora internationaux pour demander l’annulation de la dette qu’on emprunte à tour de bras ?
Cet endettement tous azimuts coûte aux populations de payer l’électricité plus cher puisqu’il est demandé au Gouvernement de supprimer la subvention sur l’électricité afin de réduire les dépenses budgétaires.
La dette publique renvoie à son utilité et à son efficacité. Depuis son départ, l’ancien président de la République ne nous a pas encore édifiés sur le stade auquel le pays est parvenu en termes d’émergence économique, dont il avait fixé le terme en 2035.
Au final, nous nous sommes retrouvés avec un PSE dépensier, dont les réalisations n’ont pas généré le retour permettant de soulager la trésorerie publique car marqué par la réalisation d’infrastructures de prestige privilégiant le confort des usagers et exploitées par des entreprises transnationales au détriment du secteur privé national (L’Etat et le secteur privé local étaient prévus pour détenir ensemble un total de 30 % dans le capital de la future société d’exploitation du BRT).
L’utilisation des fonds COVID est venue donner une tournure plus tragique à la question de l’endettement. Les rapports des corps de contrôle ont fait état d’une utilisation plus que douteuse des fonds COVID. Des rapports commandités par ses soins et non transmis aux autorités judiciaires pour des sanctions exemplaires à l’encontre des gestionnaires, ce qui fait que l’ancien Président Macky SALL ne pourrait se soustraire des responsabilités de cette débâcle financière.
Les institutions financières internationales en sont sans aucun doute conscientes, ce qui peut expliquer une certaine propension à trouver avec les nouvelles autorités des solutions équitables et justes par rapport à la dette et aux conditionnalités.
Cependant, malgré l’appréciation de son niveau considéré comme élevé, la dette africaine reste tout de même dans les normes mondiales.
Les institutions financières et agences de notation plus sévères avec les pays africains qu’avec les Occidentaux !
Au 1er février 2022, la dette américaine était d’environ 30 610 milliards de dollars, soit 130% du PIB des USA, (110% du PIB pour la France pour une limite fixée à 60%) tandis que la limite est fixée à 70% du PIB par l’UEMOA).
Seulement, les institutions financières et leurs partenaires chargés d’évaluer les risques souverains sont moins regardants sur le respect des indicateurs en la matière par des pays occidentaux où il sera davantage tenu compte du « profil de la dette ».
De plus, ces pays ont des solutions de financement alternatives plus diversifiées, via la Banque Centrale Européenne (BCE) pour la zone euro, et la FED (le Trésor américain) pour les USA, dont nous avons parlé dans de précédentes contributions.
L’Afrique évolue donc dans les marchés financiers sous une contrainte plus forte des bailleurs de fonds. Les financements PPP seront plus aisés à collecter, du fait que les revenus seront encaissés par l’exploitant qui « gère les fonds » et paie la redevance directement au bailleur.
La liberté ou souveraineté passe par se débarrasser du joug financier qui nous étreint depuis le milieu des années 70, caractérisé par un budget public ne bénéficiant plus de subventions au profit de l’arachide, spéculation elle-même en proie à la concurrence et dépréciée sur le marché international. En guise de rappel, l’arachide sénégalaise et l’huile fabriquée au Sénégal ont bénéficié d’un marché français protégé jusqu’en 1966.
La suppression des tarifs préférentiels accordés par la France, suivie de quatre années de sécheresse (1969-1973), et enfin la concurrence d’autres huiles (soja, colza et tournesol) ont sonné le glas du système arachidier, entrainant les banques dans la débâcle financière via l’ONCAD.
Principaux pourvoyeurs de recettes publiques, l’arachide et ses dérivés ont entraîné une plus grande sollicitation du FMI. Depuis lors, notre Etat est accoutumé à boucler son budget avec l’appui financier de cette institution basée à Washington pour faire face à ses dépenses qu’il juge incompressibles.
L’endettement est ainsi devenu une constante en matière d’ajustement budgétaire
A force, on en arrive même à une situation où les titulaires de la gestion des budgets et des finances n’hésitent pas à montrer leur grande satisfaction d’obtenir sur les marchés financiers des ressources pour des volumes dépassant leurs prévisions initiales. De supposés hauts faits d’armes prouvant à leurs vis-à-vis leur propre expertise et la confiance des investisseurs en la « robustesse » de l’économie du pays dont ils ont la charge !
Cette propension quasi exclusive au recours à l’endettement public dure depuis bientôt 40 ans.
Pourtant, le pays est encore en voie d’émergence ; de surcroît, dans le rapport 2022 du PNUD (IDH) il est classé dans la catégorie des pays de développement humain faible à la 170ème place sur 193 pays.
En définitive, nous demeurons convaincus que ceux qui nous tiennent par le portefeuille sont ceux-là qui nous maintiennent dans le modèle de domination économique en vigueur depuis l’indépendance, laissant nos dirigeants utiliser l’argent public avec laxisme.
Aussi nous rejoignons ceux qui militent en faveur d’une réforme des institutions de Bretton-WOODS allant dans le sens de la transformation structurelle de l’économie africaine, laquelle serait bien entendu accompagnée d’un système monétaire africain tendu vers le même objectif transformationnel.
L’option choisie par ces institutions de financer des économies balkanisées et enclavées, ne pouvant saisir les opportunités offertes par un marché sous régional homogène de près de 300 millions d’habitants, est très éloignée d’une réelle volonté de favoriser un développement économique intégré.
C’est le lieu de féliciter le Président FAYE pour ses déplacements réservés à la sous-région, qui marquent, à n’en point douter, une volonté de donner plus d’envergure à la coopération économique sous-régionale.
Nous pensons en effet que l’émergence économique en solo des pays africains est une chimère et favorise une exploitation économique plus aisée pour d’autres pays à la recherche de matières premières à transformer.
Les investissements permettant de désenclaver les pays naturellement fondés à œuvrer pour des projets et programmes complémentaires doivent être érigés en priorité, avant la mise en place de la Zone de Libre Echange Continentale Africaine (Zlecaf) conçue comme étant le marché régional où s’échangent les produits fabriqués en Afrique.
Pour finir sur l’endettement souverain, nous croyons que la vraie question ne réside pas dans le coût ni dans la devise de l’emprunt ; la problématique réelle tourne autour de la rentabilité des investissements auxquels ces ressources financières sont affectées et surtout leur capacité à générer des retours suffisants pour le remboursement et une marge d’autofinancement.
Le contrôle de l’utilisation de ces ressources par les gestionnaires doit être rigoureux. Il ressort des analyses économiques sur l’Afrique que l’endettement souverain s’est fortement accentué avec la mise à disposition des fonds liés au COVID 19.
Pour ce qui concerne le Sénégal, les rapports des corps de contrôle sur l’utilisation des ressources affectées à la pandémie soutiennent que des distractions frauduleuses ont été opérées par les gestionnaires.
Ces rapports ont fait état de cas de détournements de fonds publics reliés à la pandémie.
Il s’agit de faits que la morale réprouve d’autant plus qu’il s’agit de maladie et de pertes en vies humaine. Il s’agit également d’emprunts souscrits au nom du Sénégal et que les Sénégalais doivent rembourser aux organismes prêteurs, qui ont été soustraits. Il serait par conséquent inconvenant que les fauteurs fussent épargnés.
C’est la raison pour laquelle les nouvelles autorités doivent sévir avec fermeté et ordonner un audit global de la dette souveraine pour y voir clair, mettre en place à court terme des procédures de contrôle rapproché et un « monitoring » permettant de relier à tout instant les ressources affectées à un investissement, à sa rentabilité économique et sociale.