LE NORD SOUS L’EAU !
Les eaux envahissent le Nord du Sénégal. Pluies diluviennes et fortes crues du fleuve éponyme se combinent pour encercler de vastes étendues de terres totalement immergées.
Les eaux envahissent le Nord du Sénégal. Pluies diluviennes et fortes crues du fleuve éponyme se combinent pour encercler de vastes étendues de terres totalement immergées.
En divers endroits, le flot monte, s’écoule et déborde son lit naturel avec une succession ininterrompue de mouvements d’ondulation dont la puissance d’injection inquiète en raison des gros risques d’effondrement de maisons. Dans ces zones, il n’y a plus de mobilité.
Déjà impraticables en saison normale, les routes ont totalement disparu sous les eaux. Des digues ont cédé dans la région de Matam. Les rares ponts et bretelles ainsi que les barrages de protection chancellent dangereusement.
Plus bas que terres, certains villages vont inexorablement être engloutis, obligeant les occupants au scénario du pire : quitter pour une destination inconnue. Surprises par ces phénomènes conjugués, les populations ne parviennent pas à se déplacer. Elles en appellent à l’aide urgente. La course contre la montre est engagée : organiser assez vite les secours et surveiller les débits du fleuve et les cours secondaires.
Il faudra un trésor d’ingéniosité pour rompre l’isolement des habitants. Même les réflexes primaires de solidarité ne fonctionnent. Le sauve-qui-peut s’érige en ligne de conduite comme un instinct grégaire de survie dans ce chaos généralisé.
Toute l’aire du Walo est sous les eaux. Les états de choc sont perceptibles, de même que l’exaspération et la sidération. Car ici la vie dépend de plusieurs autres facteurs qui interagissent avec le diéry, vivier d’approvisionnement par excellence. Santé, nourriture et les besoins courants sont impactés. Les échanges et les transactions sont à l’arrêt voire suspendus faute de suivi de consommation.
Géographiquement parlant, les perturbations ainsi occasionnées touchent le nord et l’est du Sénégal, principalement la Falémé. Et même au-delà, puisque la partie sud de la Mauritanie ploie sous la charge des eaux. De part et d’autre les populations vivent le même sort guère enviable.
Très peu de villages ou de communes sont dotés de pirogues ou de vedettes à moteur. Or ces moyens de mobilité rapide devraient exister dans cet environnement pour naviguer en toutes circonstances, assurer différents services et surtout dépanner ceux et celles en quasi dépendance : évacuations sanitaires, accomplissement de devoirs citoyens ou sociaux, ouverture des classes, visites et inspection des officiels, mesures appropriées à prendre pour écourter les souffrances.
Ces intempéries surviennent inhabituellement, croient savoir nos compatriotes vivant dans ces espaces. Ils n’ont pas tort. En vérité, ils n’intègrent pas les changements de saison, donc de climat. D’où l’absence de prévision et d’anticipation ou d’adaptation à cette nouvelle donne écologique.
Les autorités non plus ne se montrent pas disposées à aller au-devant des besoins et des désirs. Ce déficit de prévenance s’applique à tous les régimes qui se sont succédé. Sans doute l’éloignement du « théâtre des malheurs » atténue la pression qui devrait s’exercer sur elles.
Or l’équité, plus vantée que vécue, fait obligation morale au pouvoir politique de diligenter des opérations d’envergure. Hélas, celui-ci ne perçoit pas l’ampleur du sinistre et de la catastrophe qui s’annonce ! Les discordances de voix dans le Nord n’arrangent pas non plus la situation de nos compatriotes piégés par ces eaux abondantes et destructrices.
Les hommes politiques issus de cette région (qui englobe Matam, Podor et Bakel) restent éparpillés et dévorés par de petites et sordides ambitions sans consistance réelle. Aucun leader n’émerge à cette échelle. Le poids de la région et ses potentialités économiques ne se traduisent pas par une considération accrue.
A quoi s’ajoutent des égoïsmes absurdes devant des naufrages collectifs. D’ailleurs il s’établit une corrélation de circonstances entre cette tragédie en cours et les élections législatives de novembre prochain. Les politiques iront-ils à la pêche aux voix dans ces contrées et ces conditions ? Comment pourront-ils accéder aux électeurs ? Quel discours leur tiendraient-ils ? Sauront-ils convaincre sans donner des gages ?
L’échéance approche. Mais le débat s’oriente vers des sujets moins prioritaires qui ne reflètent pas, loin s’en faut, les attentes et les préoccupations des populations. Elles semblent se résigner, confiant leur sort à qui peut les soulager.
L’autre fait marquant a trait à une réalité sociologique : les bras valides n’existent pas. Sur place il n’y a que les personnes âgées, les enfants et les femmes. Lesquelles affichent une déconcertante vaillance et s’efforcent de conjuguer les efforts pour endiguer la montée des eaux. L’impossible recule devant le courage de ces dames qui, téléphones collés à l’oreille, multiplient les appels, coordonnent les actions et entretiennent l’espoir en développant sans relâche des initiatives hardies.
Dans l’épreuve des figures émergent, quand d’autres pâlissent. Dans cette partie du pays, le Fouta en l’occurrence, se joue le destin d’hommes et de femmes très peu avantagés en termes d’infrastructures. Avec les élites, qui ne le sont que de nom, rien n’a été acquis dans la durée. Elles ont utilisé les populations comme du bétail électoral.
Pendant longtemps, le silence et le mensonge ont prévalu. Mais la succession des crises a révélé au grand jour l’hypocrisie d’une grandiloquence qui s’est révélée ridicule. Où sont les anciens ministres, les anciens directeurs centraux, les anciens et actuels conseillers spéciaux, les Crésus des sables mouvants ? Ils rasent les murs et détournent le regard sans remords.
Mais les mauvaises pensées hantent leurs esprits. Pour accéder à des strapontins, tous les stratagèmes ont servi à cette fin. Au final, l’incurie des dirigeants a plongé le Fouta dans l’arriération. Les contraintes traditionnelles subsistent mais l’individualisme progresse. Des menaces pèsent sur la cohésion sociale dans ce Fouta prétendument homogène.
Quelle discipline s’imposera dans cette région en proie à des mutations en profondeur ? A coup sûr, avec ce cataclysme, les négligences extrêmes laissent deviner l’abandon et l’indifférence. Pendant longtemps la mystification a tenu lieu de romance fictionnelle avec un enchaînement (sans fin) de réécritures de l’histoire.
Dès lors, sommes-nous arrivés au point culminant ? Comment mettre fin aux pompeuses prétentions et recréer un ordre social ? L’embarras actuel vient du fait qu’aucune voix n’a de résonnance profonde. Existe-t-il un seul leader dont le charisme enjambe ses limites provinciales ?
Les clivages dissimulés et les silences troublants vicient l’atmosphère d’autant que les gens du diéry ne relayent pas le drame en cours dans le Daandé Mayo semblable à une extinction des feux.
Une telle dichotomie fragilise le Nord et voit s’éloigner la perspective d’une approche globale, transcendant les sottes arrogances au demeurant insupportables. La bêtise tue.
Pour preuve, l’intérêt général ne transparaît dans un aucun propos. Du bout des lèvres, certaines conversations ne servent qu’à se faire bonne conscience, l’œil distrait. La solidarité agissante tarde à se manifester envers ceux qui en on réellement besoin : les insulaires malgré eux !
Comme la fonte des glaces, le Sénégal se morcelle.