LE PRESIDENT DIOMAYE, EN VISITE A BAMAKO ET OUAGA, A VU LE CONTRE-MODÈLE
Que tous ceux qui, au Sénégal, saluaient avec enthousiasme les putschs, fassent un tour à Bamako, Ouaga et Niamey pour bien réaliser qu’ils ne souhaiteraient pas vivre le sort de ces habitants
Le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, lors de sa visite à Bamako le jeudi 30 mai 2024, a fait une déclaration qui a sonné comme une douche froide auprès de ses hôtes maliens. Le chef de l’Etat sénégalais, à l’occasion d’une conférence de presse conjointe avec le Colonel Assimi Goïta, a été sans ambages pour répondre à la question d’un journaliste qui lui demandait s’il était envisageable que le Sénégal rejoigne l’Alliance des Etats du Sahel (Aes), constituée par le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Bassirou Diomaye Faye a été catégorique : «Ce n’est pas à l’ordre du jour.» Le Sénégal manifeste sa préférence pour la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et soutient les efforts de l’organisation communautaire régionale pour ramener les frères égarés dans la maison familiale. Pour autant, Bassirou Diomaye Faye se voudrait encore clair : «Je ne suis le médiateur de personne, ni de la Cedeao.»
La déclaration a pu passer inaperçue à Dakar, mais elle alimente les commentaires à Bamako. La classe politique malienne s’est sentie soulagée par cette forte prise de position du chef de l’Etat sénégalais. Pourtant, force est de dire qu’ils étaient assez nombreux, les Maliens, à regarder Bassirou Diomaye Faye de haut, pour ne pas dire qu’ils s’en méfiaient quelque peu. Pour sa part, la junte malienne trouvait plus ou moins discourtois que le Président du Sénégal tardât à visiter le Mali. Mais d’un autre côté, les rapprochements et les visites annoncés par le Premier ministre Ousmane Sonko pour raffermir les relations avec les juntes au pouvoir dans les trois pays membres de l’Aes pouvaient étonner, sinon inquiéter les acteurs politiques. Les hommes politiques et les responsables d’organisations de la Société civile du Mali, qui avaient applaudi les putschistes à leurs débuts, ont vite déchanté. Les partis politiques et les mouvements de la Société civile sont désormais interdits au Mali et les dirigeants pourchassés. La presse ? Une chape de plomb pèse sur la tête des journalistes critiques à l’endroit des colonels au pouvoir qui pensent d’ailleurs qu’il est temps de garnir leurs épaulettes des étoiles du grade de Général. Des journalistes disparaissent ou, au meilleur des cas, croupissent en prison.
Le modèle, pour ne pas dire le contre-modèle malien, ne saurait donc être inspirant et nos «frères» du Mali exhortent le Sénégal à envisager d’autres perspectives, encore que la transition du Colonel Goïta semble partie pour devenir éternelle. Le Colonel Goïta a accaparé tout le pouvoir après un deuxième coup de force, le 28 mai 2021. Il avait perpétré un premier putsch contre le Président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), le 18 août 2020, et restait dans un «petit» rôle de vice-président, sous l’ombre d’un Général à la retraite, Bah Ndaw. Le Colonel Goïta ne songe pas encore à fixer un calendrier d’élections pour rendre le pouvoir aux civils. Le «jeune frère» du Burkina Faso, le Capitaine Traoré, a, lui, fini de montrer la voie en s’octroyant un «mandat» de cinq ans, à compter de l’expiration du premier délai de transition de 21 mois qui était prévu pour s’achever en juillet 2024. Un «septennat cadeau», en quelque sorte. Nous ne voulions pas encore nous tromper sur les intentions des putschistes et préconisions de mettre le Mali sous administration provisoire de l’Onu (voir Le Quotidien du 25 mai 2021).
Bamako et tout le Mali se meurent
Si vous voulez vivre sans électricité durant 72 heures d’affilée, dans une villecapitale, allez à Bamako ! La société Electricité du Mali (Edm) baisse les bras, faute de pouvoir assurer une fourniture d’énergie. «Certes, le Mali connaissait de grosses coupures d’électricité du temps où les civils étaient au pouvoir, mais pas avec cette permanence des coupures, de longs jours durant ; toutes les limites sont dépassées», se lamente-t-on à Niamana, Sikoroni, Danfina, 1008 Logements et autres quartiers de Bamako. Les conséquences sont fatales pour l’économie. Les grands hôtels ferment et ne peuvent répondre à la moindre qualité de services convenable. «Des investissements colossaux sont nécessaires», assure un responsable d’un des rares réceptifs de la capitale malienne qui accueillent encore des hôtes. «Nous sommes obligés de faire tourner des groupes électrogènes tout le temps ou de consentir de très gros investissements dans les parcs solaires, et cela renchérit les coûts d’exploitation. Si l’électricité revient, ce n’est jamais pour plus de deux heures.» Il s’y ajoute que les clients se font rares. Les visiteurs d’affaires ou de tourisme se détournent du Mali. La morosité économique gagne tous les secteurs. L’économie du pays vit un marasme. D’ailleurs, le Mali n’arrive plus à mobiliser des fonds sur les marchés financiers régionaux. Le dernier emprunt obligataire lancé pour 80 milliards de francs Cfa n’a été couvert qu’à hauteur de 33%. La confiance des milieux financiers est perdue et, dans son édition du 30 mai 2024, le magazine La Nouvelle Libération explique la faible confiance des investisseurs par le fait que «l’argent n’aime pas le bruit». En effet, les rodomontades souverainistes des autorités maliennes effraient les investisseurs. La prime de risque est plus élevée sur les obligations du Burkina Faso, du Mali et du Niger que dans les autres pays de l’espace de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa).
La situation sécuritaire se dégrade de jour en jour et pourtant les militaires maliens, comme du reste leurs camarades du Burkina Faso, pour s’emparer du pouvoir, prenaient prétexte de la nécessité de mieux juguler l’insécurité. A la faveur des nuits noires, les cambriolages, braquages et autres cas d’agression sont légion, notamment dans les quartiers de 1008 Logements ou à Magnambougou. Les terroristes islamistes font régner leur loi dans les provinces de l’intérieur du pays comme dans les districts de Ségou, de Mopti et dans la zone de Séwaré. Que fait le groupe Wagner qui était censé juguler les actions terroristes islamistes depuis son arrivée dans le pays en 2022 ? «Les mercenaires russes assurent surtout la sécurité des patrons de la junte.» Nous indiquions de manière prémonitoire que «le régime de Assimi Goïta se savait déjà sur la corde raide et a cherché à assurer sa propre sécurité, en allant se payer les services de mercenaires russes» (Voir la chronique du 4 octobre 2021 : «La solution Wagner ou le cynisme de la junte malienne»). Mais, plus grave, d’horribles exactions contre les populations civiles sont aussi signalées dans de nombreuses régions du centre et du Nord du Mali, notamment dans la zone de Mopti comme à Moura, Attara, Dioura, Dakka Sebbe ; l’Onu exige des enquêtes et autres missions d’experts dont certains, par la voix de Alioune Tine du Sénégal par exemple, ont affirmé avoir pu documenter des actions de tuerie de masses. Ces opérations des supplétifs en équipe avec des militaires maliens ont l’allure d’une épuration ethnique contre certaines populations.
L’économie du pays se meurt, le chômage touche un plus grand nombre de personnes et les grandes surfaces ferment leurs portes. Mais le calvaire des populations est accentué par le manque d’eau, dans un pays où le thermomètre affiche plus de 40 degrés, quelle que soit l’heure. Les étudiants du campus universitaire de Kabala ont été obligés de se faire entendre bruyamment, le mardi 28 mai 2024, avec des manifestations heurtées car n’ayant plus accès à l’eau courante depuis plusieurs mois. Face au mécontentement populaire qui monte, le régime militaire interdit toutes les activités politiques et associatives citoyennes. Et comme pour ne pas arranger les choses, une querelle féroce occupe les plus hauts dirigeants du pays. Le Premier ministre Choguel Maïga, qui avait renié toutes ses convictions démocratiques pour faire allégeance ou pactiser avec la junte, se trouve désormais dans le collimateur des militaires et ses partisans sont arrêtés tous les jours pour leurs prises de position dans les réseaux sociaux. La leçon de l’histoire est qu’il serait opportun que tous ceux qui, au Sénégal, saluaient avec enthousiasme les coups d’Etat militaires, fassent un tour du côté de Bamako, Ouagadougou et Niamey pour bien réaliser qu’ils ne souhaiteraient pas vivre le sort de leurs habitants. En effet, la situation à Ouagadougou et Niamey est encore pire qu’à Bamako. Gageons qu’après sa virée dans la sousrégion, Bassirou Diomaye Faye doit savoir ce qu’il faudrait éviter pour affoler les partenaires sans lesquels un pays comme le Sénégal ne pourrait continuer à être mieux loti que ses voisins.
Post scriptum : «Gouverner, ce n’est pas humilier, Monsieur le Président !»
Ce titre est emprunté à mon excellent confrère, Mamadou Oumar Ndiaye, du journal Le Témoin, qui avait publié un texte que beaucoup avaient bien applaudi, le 22 juin 2021. Il fustigeait les circonstances et péripéties «humiliantes» des limogeages par le Président Macky Sall, des généraux Birame Diop et JeanBaptiste Tine. Le texte a été republié à nouveau, avec une certaine malice par Le Témoin, au lendemain de la nomination de ces officiers généraux pour occuper dans le gouvernement de Ousmane Sonko, respectivement les fonctions de ministre des Forces armées et de ministre de l’Intérieur et de la sécurité publique. On ne pouvait s’empêcher de repenser à ce texte après le limogeage, la semaine dernière, encore sans ménagement, par le Président Bassirou Diomaye Faye, du Général Souleymane Kandé, chef d’Etat-major de l’Armée de Terre et cumulativement commandant des Forces spéciales. Le Général Kandé était de fait l’autorité militaire qui détenait la plus forte puissance de feu. Avaitil perdu la confiance du chef suprême des Armées ? Assurément ! Il n’est donc pas étonnant qu’il soit remplacé comme l’avaient été les officiers généraux Diop et Tine. Seulement, ces derniers semblent avoir été mieux traités. Les généraux «humiliés» par Macky Sall avaient été casés dans des postes prestigieux. Le Général Birame Diop a été promu Conseiller militaire au département des Opérations de la paix de l’Onu et le Général Tine s’était vu exilé comme ambassadeur à Moscou. Mais Souleymane Kandé essuiera l’humiliation suprême, en se voyant ravalé à un poste d’attaché de Défense dans une ambassade sénégalaise de troisième catégorie, la juridiction de l’Inde. Il va y remplacer le Colonel Abdoulaye Traoré. Il ne doit pas être courant, dans les armées organisées, de voir un Général d’Etat-major d’Armée nommé à un poste pour remplacer un Colonel ! Le Général Joseph Louis Tavarez Da Souza, que le Président Abdou Diouf accusera dans des mémoires d’avoir voulu perpétrer un coup d’Etat, avait été relevé le 31 mai 1988, de son commandement pour être nommé ambassadeur à Bonn (République fédérale d’Allemagne). Abdou Diouf y avait mis les formes. Le Général Da Souza sera rappelé plus tard à Dakar pour être mis à la retraite d’office. Pour autant, j’ai une supplique à vous faire, Général Kandé : ne boudez surtout pas vos galons que vous avez gagnés avec de très grands mérites. D’aucuns le craignent, mais ce serait faire le jeu de ceux que vous avez vaincus sur le terrain des opérations militaires. Il n’y a pas de récompense suffisante que la Nation pourrait vous faire pour vos états de services contre le Mouvement des forces démocratiques de Casamance. Ce n’est véritablement pas «patriotique» de ne pas vous reconnaître ce mérite inestimable. Je vais faire couler une statuette à votre image !