LE SÉNÉGAL ENTRE CONTINUITÉ ÉTATIQUE ET PERSPECTIVE HISTORIQUE
Dans un pays où l’opposition peut gagner la mairie de la capitale, où la majorité parlementaire ne repose que sur un député de plus, perdre son temps sur la question de la transparence électorale relève de l’anachronisme
Dans l’histoire de l’art, il arrive qu’un tableau résume mieux une période historique que tous les historiens et autres politologues, sociologues ou journalistes. Les artistes ont cette capacité et cette facilité à saisir et à graver instantanément l’Histoire. Qui mieux que le peintre préromantique Antoine-Jean Gros, avec son tableau de Bonaparte sur le pont d’Arcole, a saisi la vision et l’ambition de Napoléon ? Dans ce tableau, on voit déjà Napoléon poindre derrière le Général Bonaparte. On sent nettement comment du Général Bonaparte jaillirait Napoléon, avec la détermination et l’ambition contenues dans un regard. Il en est de même du tableau de Kehinde Wiley sur le Président Macky Sall. Ce tableau résume parfaitement les 12 ans de Macky Sall mieux que tous les livres et analyses de politologues, sociologues et journalistes. Aujourd’hui l’émergence est à portée de main et le tableau de Kehinde Wiley l’illustre mieux que tous les discours.
Le président Sall y est dans la même posture que Moïse après la traversée de la Mer Rouge. Comme Moïse, il n’atteindra pas la Terre Promise, mais il a fait le plus difficile en montrant la voie et en guidant son Peuple jusqu’à ce que la terre promise soit visible. Aujourd’hui, la terre promise de l’émergence est visible et à portée de regard et de main. Le Sénégal devait l’atteindre en 2035, mais à l’époque nous n’avions pas le pétrole et le gaz. Avec ces ressources, les délais pourraient être réduits, avec le pétrole qui est non seulement une bénédiction, mais un accélérateur d’émergence. L’enjeu de la présidentielle doit porter sur comment accélérer notre marche vers l’émergence en nous libérant enfin de la démocratie de Sisyphe (notre propension à toujours revenir sur les règles du jeu, cet éternel recommencement, et à réduire le débat politique à la simple question électorale). Il est temps de fermer la page de cette démocratie de Sisyphe, ouverte depuis les élections de 1983 et qui ne profite aujourd’hui qu’aux rentiers de la tension.
Dans un pays où l’opposition peut gagner la mairie de la capitale, où un membre de la Société civile peut conquérir une grande ville comme Kaolack, où une ville aussi symbolique que Ziguinchor est entre les mains de l’opposition et enfin, où la majorité parlementaire ne repose que sur un député de plus, perdre son temps sur la question de la transparence électorale relève de l’anachronisme. Nous allons avoir l’élection la plus ouverte de notre histoire et la plus inclusive avec 20 candidats. La démocratie étant la compétition des réponses que les citoyens se posent, cette Présidentielle est l’occasion de sortir de la démocratie de Sisyphe et de poser enfin les vrais débats.
Notre pays a été un îlot de démocratie dans un océan de dictatures et de partis uniques, des indépendances jusqu’aux conférences nationales et à la Conférence de la Baule ; aujourd’hui nous sommes redevenus un îlot de stabilité dans un océan de turbulences de coups d’Etat et de djihadisme. Le terrorisme et le djihadisme sont à nos frontières. Il serait bon qu’on sache ce que pensent les candidats de ces questions essentielles. Quelles sont leurs idées sur la défense nationale, la sécurité nationale, nos rapports avec nos voisins. Il serait bon qu’on sache l’opinion économique des candidats sur le Pse, devenu la matrice des politiques publiques depuis 2014. En cas d’alternance, quelle serait l’alternative ? Quelles solutions préconisent les candidats pour l’école publique, pour l’université, pour une paix définitive en Casamance ? Voilà autant de questions qui devraient être au cœur de cette élection.
Quand on interroge l’histoire électorale du Sénégal depuis l’Indépendance, on a l’impression que notre pays est à la quête d’institutions parfaites ; d’où les éternels changements, pour ne pas dire l’éternel retour à la question électorale, qui est la phase infantile de la démocratie. Notre démocratie a besoin d’un nouvel horizon, d’ouvrir une nouvelle page. Ce nouvel horizon est économique et devrait être au centre du débat électoral malheureusement cannibalisé par la question des règles du jeu. Des institutions parfaites n’ont jamais existé nulle part. Elles le deviennent avec le temps. Elles sont comme du bon vin. Et l’histoire montre qu’il n’y a pas de lien dialectique entre réforme politique, modernité des institutions et efficacité économique. La France a été le pays de l’une des plus grandes révolutions au monde, que Hegel qualifia de «superbe lever de soleil», mais ce sera l’Angleterre, avec ses institutions «archaïques» vieilles de cinq siècles, qui sera à l’origine de la révolution industrielle, comme le Japon le sera pour la révolution technologique avec des institutions qui remontent à l’ère du Meiji (1868).
Aujourd’hui, les Etats-Unis, le pays de Google, Facebook, de Twitter, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus moderne, ont pourtant un des systèmes électoraux les plus archaïques, avec des règles qui remontent au 18e siècle mais auxquelles tout le monde s’adapte. Lors de la dernière élection en 2020, le vote postal était au centre de tous les débats au pays de Google. C’est ce qu’il nous faut dans notre pays, en laissant à nos institutions le temps de la maturation.
Immédiatement après la présidentielle, les rentiers de la tension électorale vont encore proposer la création de nouvelles institutions et de nouvelles règles, alors que le bon sens politique et historique recommande de corriger quelques failles pour rendre le système plus performant. Notre vieille démocratie a su tenir le choc de l’intermède de l’insurrection de l’ex-Pastef, parce que nous avons la chance d’avoir un Etat qui, comme le roseau, peut plier mais ne rompt pas. Cet avantage comparatif du Sénégal qu’est son Etat, nous le devons à plusieurs générations de présidents de la République, mais aussi à des générations de fonctionnaires qui l’ont renforcé. C’est pourquoi le Président Sall a été très inspiré de rendre hommage à ses prédécesseurs lors de son dernier discours à la Nation, insistant ainsi sur la continuité étatique. Les présidents passent, les régimes passent, mais l’Etat demeure. Léopold Sédar Senghor a posé les jalons de la Nation solide en faisant du Sénégal l’une des rares sociétés «désethnicisées» et détribalisées en Afrique.
Le président Diouf a consacré essentiellement ses 20 ans à renforcer un Etat dont on a découvert les vertus de la solidité avec l’ouragan populiste faite de brutalité et de vulgarité, mais qui grâce à la robustesse de notre Etat, n’aura été qu’un intermède tragique. Aujourd’hui le Droit a repris sa place et a remplacé les cocktails avec le retour à la judiciarisation des conflits politiques, qui est un critère de l’Etat de Droit. Et celui-ci ne saurait accepter qu’on puisse exprimer ses idées avec les cocktails Molotov sur les bus et l’incendie de l’Université. C’est pourquoi il n’y a pas de prisonniers politiques au Sénégal, sauf à admettre que balancer des cocktails Molotov sur des bus, sur des maisons ou à l’université soit une idée politique. Appeler à l’insurrection et à renverser un pouvoir démocratique élu n’est pas de l’opposition légale, et n’est ni acceptable ni tolérable.
Abdoulaye Wade, grâce son opposition légale contraire à celle insurrectionnelle, a fait avancer les libertés publiques et fait faire à notre démocratie un bond qualitatif avec l’alternance politique. De Senghor à Wade, nous avons ainsi un cycle politique et historique. Wade est ainsi le dernier des anciens et ferme le long «cycle senghorien» comme disait Pathé Diagne. Si Wade est le dernier des anciens, Macky Sall est le premier des modernes, et la modernité politique aujourd’hui ne peut signifier le fait de discuter du sexe des anges comme les règles du jeu électoral, mais c’est d’aller vers l’émergence comme la Malaisie, les Emirats, Singapour. Ce débat est le seul qui vaille, et il doit être au cœur de la présidentielle.
De Senghor à Macky Sall, nous avons une continuité étatique, mais maintenant il nous faut une autre perspective historique qui est l’émergence, cette nouvelle frontière que nous devons conquérir, ce nouvel horizon que nous devons atteindre en faisant confiance à nos institutions tout en étant vigilant car le Président a raison de nous rappeler la fragilité des démocraties. Il ne faut jamais oublier que la Grèce, la Patrie de la démocratie, a connu la dictature des colonels jusqu’en 1974, des siècles après celle de 30 tyrans qui détruisirent la démocratie en 404 avant JC. L’Allemagne, le pays de la pensée, le pays de Goethe, Schiller, de Kant, de Fichte, de Hegel…, est tombée entre les mains des barbares nazis à cause de la faiblesse et de la myopie politique, et du manque de courage des dirigeants de la République de Weimar. L’Allemagne entraînera dans sa chute dans la barbarie l’Autriche, qui était le phare culturel de l’Europe à l’époque, entraînant ainsi le suicide du grand écrivain Stephan Zweig, qui ne pouvait supporter le triomphe de la barbarie à Vienne et la disparition du «monde d’hier» fait de débats civilisés et de concurrence dans le raffinement culturel et esthétique. Le pays de Senghor a aussi failli sombrer comme celui de Goethe.
Si beaucoup d’intellectuels ont commis la même erreur coupable que Heidegger qui a soutenu les nazis, l’Etat du Sénégal n’a pas commis la même erreur que la République de Weimar. Au-delà des infrastructures, de la croissance, de la Coupe d’Afrique, l’histoire retiendra aussi de Macky Sall, le sauvetage de la République, à l’image d’un Lincoln qui a sauvé les Etats-Unis de la sécession. Aujourd’hui, le Sénégal est soulagé d’avoir retrouvé son «monde d’hier», comme aurait dit Zweig, avec la fin définitive de l’intermède Pastef. Nous avons eu plus de 260 candidats, qui ont sillonné le pays pendant des mois pour chercher des parrainages sans aucun incident majeur. Sur les plus de 260 candidats, 20 ont été validés par le Conseil constitutionnel. Cette étape ultime a été précédée par la judiciarisation des conflits électoraux, qui a permis de montrer l’indépendance de la Justice et des magistrats. Loin d’être «clochardisés», ils sont au cœur de notre démocratie, car la Justice est le seul service de l’Etat qui porte le nom d’une vertu. Ce long bras de fer entre les avocats de Sonko et l’Etat du Sénégal, et la longue guérilla des procédures, a montré toute l’indépendance de la Justice, que reconnaissent même aujourd’hui ceux qui traitaient les magistrats de clochards et les menaçaient.
Le Sénégal a retrouvé son «monde d’hier» ; ses valeurs avec le débat d’idées et non plus celui des cocktails Molotov, avec des conflits qui se règlent devant les tribunaux et des polémiques quotidiennes dans les médias. L’Etat est debout, la République sauvée et une vitalité démocratique retrouvée. La campagne va s’ouvrir dans quelques jours et les Sénégalais choisiront librement comme d’habitude leur Président. Ce ne sera point un miracle, ni une prouesse, mais une banalité démocratique pour l’une des plus vieilles démocraties du continent, au plus grand regret des rentiers de la tension, théoriciens, promoteurs et apôtres de la chimérique guerre civile entre des partisans de changement anticonstitutionnel et des régimes de transition. Ils rêvent de mettre fin à l’exception sénégalaise, un des rares pays africains à n’avoir jamais connu de rupture anticonstitutionnelle.
Avec l’intermède de l’insurrection géré dans le cadre de l’Etat de Droit, le Sénégal a tenu son rang, comme le reconnaissent la Cour de justice de la Cedeao et le Haut-commissariat des droits de l’Homme. Ce dernier organe a invité le Président Sall pour le 75e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Ces deux évènements sont les meilleures réponses à la campagne de manipulation nationale et internationale dont l’objectif est la négation du Sénégal et son statut d’exception. En désespoir de cause, la dernière manipulation consiste, face à la flagrance du bilan, à vouloir opposer bilan matériel et bilan immatériel. Ce qui n’a aucun sens.
Dans un article en date du 17 avril 2023, je rappelais que quand on parle du bilan du président Sall, on pense automatiquement et naturellement au Ter, au Brt, aux ponts, aux autoroutes, aux stades, aux hôpitaux… Le bilan est tellement flagrant qu’on en oublie l’essentiel : l’esprit qui le sous-tend. Cet esprit que Alain Peyrefitte appelle le «tiers facteur immatériel», à côté du capital et travail. Ce tiers facteur immatériel qui permet d’expliquer les miracles économiques malgré un «désavantage initial», comme les Pays Bas qui, au XVIème siècle, transcendent le déterminisme géographique pour se lancer à la conquête du monde (le siècle d’or), puis l’Angleterre au XVIIIème (une petite île devenue la seule thalassocratie de l’histoire), ou le Japon et l’Allemagne, complètement détruits après la Deuxième guerre mondiale et qui vont ressusciter économiquement, et Singapour (un ancien entrepôt de la Marine britannique sur la route des Indes). Pour Peyrefitte, «le tiers facteur immatériel est un signe qualitatif et invisible qui valorise ou inhibe, féconde ou stérilise les deux premiers facteurs matériels, visibles qualitatifs du capital et du travail».
Le bilan immatériel de Macky Sall est aussi dans ce «tiers facteur immatériel» qui a permis d’ouvrir la boîte de Pandore de l’univers des possibles. C’est ce qui explique qu’en 12 ans que le Sénégal est en train de passer de l’indigence à l’émergence, de gagner la Coupe d’Afrique, d’avoir des centaines de km d’autoroutes et d’avoir réglé les 3 problèmes qu’on croyait insolubles : le pont de Farafegny, la paix en Casamance et la question de l’énergie. Face à un tel bilan matériel et immatériel, la manipulation reste la seule arme des partisans du projet de négation du Sénégal. La manipulation va continuer aussi bien au niveau national qu’international, car pour les partisans de la négation du Sénégal, elle n’est plus seulement un instrument, mais est devenue l’essence du projet, si elle n’a pas toujours été le projet.