LES CAUSES PROFONDES DES ACCIDENTS DE LA ROUTE
EXCLUSIF SENEPLUS - Les mesures de sécurité minimum ne sont pas respectées. Les autorités ont cédé au chantage des conducteurs de Jakarta. Insouciance, indiscipline, laxisme…. les mêmes tares à l'origine du naufrage du Joola demeurent
Le soleil ne s’est pas levé ce dimanche, comme pour pleurer avec le Sénégal tout entier la mort tragique de 39 personnes dans un violent nouvel accident de la route à Sikilo, dans la région de Kaffrine. Le choc entre deux (2) bus communément appelés horaire dans la nuit du 7 au 8 janvier a aussi occasionné une centaine de blessés graves, dont certains dans un état critique. Le bilan est encore provisoire. Le vœu le plus ardent est qu’ils recouvrent vite la santé.
Un deuil national de trois jours (3) décrété, des récitals de Coran recommandés, un conseil interministériel organisé 24 heures après le drame, des messages de sympathie venant de tous bords, les médias organisant des éditions spéciales. C’est le choc. L’émotion est à son comble. Il s’agirait de l’un des accidents de la route les plus meurtriers au Sénégal, avec autant de pertes en vies humaines en quelques minutes.
Mais ne nous y trompons point. En vérité, le cumul du nombre de victimes des accidents enregistrés sur nos routes chaque semaine donne des frissons. En 2021, plus de 800 personnes ont perdu la vie sur nos routes. Nous étions pourtant de plain-pied dans la pandémie à Covid-19 avec des restrictions dont celles portant interdiction de la circulation interurbaine, donc moins de mouvements de véhicule d’une région à une autre et normalement moins d’accidents. A l’heure du bilan, ce fut l’hécatombe.
Cinq grands facteurs sont considérés comme étant les principales causes principales des accidents : les facteurs liés à l’usager, les facteurs liés à l’infrastructure, les facteurs liés aux véhicules, les facteurs liés à l’alerte et aux soins et les facteurs liés à l’environnement (conditions météorologiques et autres éléments perturbants). Il serait intéressant de tenter d’établir un diagnostic non exhaustif du comportement et de ce que devrait être le rôle des différents acteurs de la route que sont les usagers, les forces de défense et de sécurité et le gouvernement, pour situer les responsabilités et proposer des pistes de solution.
Diagnostic
L’arrivée de nouveaux acteurs que sont les vélos-taxis communément appelés Jakarta, allonge la liste des morts et/ou blessés graves. Après avoir pris le contrôle du transport dans les régions, ces engins ont aussi pris d’assaut la capitale. Depuis, il ne se passent pas un seul jour sans qu’un accident mortel ou entrainant des dommages corporels, impliquant ces Jakartas, ne soit enregistré. D’ailleurs, dans certains hôpitaux régionaux comme à Thiès, une salle d’urgence leur est spécialement réservé. De plus en plus prisés, les Jakartas présents partout dans le pays proposent des tarifs compétitifs. Ils permettent en même temps de pallier le déficit de transports publics et de contourner les embouteillages qui constituent un véritable casse-tête.
Les mesures de sécurité, telles que le port de casque – le minimum –, ne sont pas respectées, malgré le rappel récent et nécessaire de l’arrêté n° 00 89 03 du 29 octobre 2012 réglementant le transport par vélo-taxi dans les régions. Le même document interdit formellement le transport public de personnes par vélo-taxi sur toute l’étendue de la région de Dakar. Une décision qui n’a jamais été respectée. Pire, les plus hautes autorités de ce pays ont cédé au chantage des conducteurs de Jakarta ou tiak-tiak, de plus en plus nombreux et constituant surtout un poids électoral. Ils concourent aussi à absorber une grande partie de la main-d’œuvre jeune sans emplois et sans formation pour l’essentiel. Malheureusement, les conducteurs très souvent sans casques, slaloment entre les files de véhicules, déboulant à gauche ou à droite, l’essentiel pour eux, c’est de se frayer un chemin, quitte à mettre en danger leur vie, celle des automobilistes mais aussi des piétons. Les piétons, qui sont malheureusement les plus exposés.
Les grands chantiers, les véhicules empruntant les sens interdits, l’encombrement des trottoirs par des magasins débordant ou autres marchands ambulants, l’occupation anarchique de la voie publique, ……c’est le même décor presque partout dans le pays où plus de 90% des accidents sont dus aux facteurs humains. Hé oui, nos comportements hélas : insouciance, inconscience, indiscipline, laxisme, …. Exactement les mêmes tares qui avaient conduit au naufrage du bateau le Joola et qui sont toujours bien présentes malheureusement.
Sinon comment comprendre et admettre le téléphone au volant et souvent, c’est en apparence des personnes bien instruites, au volant de très belles voitures, censées connaitre les risques, qui s’adonnent à cette pratique. Comment expliquer la surcharge des cars-rapides et autres Ndiaga Ndiaye jusque sur les marchepieds, des carcasses ambulantes, destinées depuis de nombreuses années à la casse, tout comme le renouvellement plusieurs fois annoncé, mais toujours attendu du parc automobile ? Comment tolérer la non-limitation de la vitesse aussi bien en ville qu’en rase-campagne ? Comment des bus bondés arrivent à échapper au contrôle routier ? Les médias nous apprennent qu’il y avait dans le cadre l’accident ce dimanche, surnombre avec 140 passagers enregistrés dans les bus qui roulaient avec des pneus……usés. Qu’est devenue l’interdiction faite aux camions et gros porteurs de circuler en ville aux heures de fort trafic ? Quid du permis à points ?
Les conditions de délivrance des permis de conduire et les visites techniques de complaisance, une véritable mafia. Les quelques billets de banque glissés discrètement à des agents indélicats préposés au contrôle routier pour éviter le retrait du permis ou l’immobilisation du véhicule.
Inadmissible !
On ne peut pas toujours se réfugier derrière la fatalité. Les causes des accidents sont connues et sont d'ordre structurel : absence de rigueur et de sérieux ainsi que le manque de volonté politique de nos autorités. Un Conseil interministériel, pourquoi faire ? Sinon sortir des recommandations qui ne seront certainement jamais suivies de mise en œuvre effective. Le dernier Conseil interministériel du gouvernement de Macky Sall consacré à la sécurité routière remonte au 9 février 2017 avec l’adoption de 10 recommandations majeures. Cinq ans après, nous en sommes où ?
Une journée sans morts sur nos routes est-ce possible ?
Quelles approches pour une solution pérenne
Au niveau mondial, les accidents de la circulation causent chaque année près de 1,3 million de décès évitables et un nombre de traumatismes estimé à 50 millions selon un décompte de l’OMS. « Reconnaissant l’importance du problème et la nécessité d’agir, les gouvernements du monde entier ont proclamé à l’unanimité la période 2021-2030 deuxième Décennie d’action pour la sécurité routière, par la résolution 74/299 de l’Assemblée générale des Nations Unies, avec pour objectif clair de réduire d’au moins 50 % le nombre de morts et de blessés sur les routes pendant cette période »[1].
Le document promeut une approche intégrée pour un système sûr afin de réduire d’au moins 50% le nombre de morts et de blessés sur les routes. Il recommande une approche pluridisciplinaire et pluri-acteurs comprenant des membres du gouvernement, la société civile, le secteur privé et les partenaires techniques et financiers entre autres.
Au Sénégal, le véritable défi est l’application effective de la législation quel que soit le moyen de transport. Tout a été étudié, pensé et écrit mais presque jamais appliqué. Il urge de s’attaquer à la grande corruption dans ce secteur pour sauver des vies. Il est tout aussi urgent de ramener dans les écoles les cours d’instruction civique qui permettaient aux élèves de savoir comment traverser la route. Les médias qui ne parlent de sécurité routière qu’en cas d’hécatombe sont aussi interpellés. Des émissions dédiées doivent être pensées. La presse ayant aussi une mission de sensibilisation.
Nous sommes tous sidérés et révoltés par le laxisme et l'inefficacité du gouvernement. Ils ont la difficulté de saisir l'ampleur et la profondeur du choc que l’accident de Sikilo a provoqué chez les populations. Ils devaient saisir cette situation de malheur, qui se présente aussi comme une opportunité, pour prendre des mesures qui marqueront à jamais les esprits et qui annonceront une rupture avec le laxisme ambiant.
La tenue d'un Conseil interministériel ne suffit pas. Combien de personnes vont prendre le temps de lire les mesures qui seront prises lors du Conseil interministériel ? Il fallait immédiatement annoncer des mesures conservatoires comme, par exemple, celles 1) suspendant tous les voyages interrégionaux effectués au moyens de bus et 2) exiger que tous les bus se livrant au transport interrégional subissent, de nouveau, un examen technique préalablement à leur remise en service, peu importe la validité en cours de leur dernière visite technique.
Le peuple aurait ainsi adhéré en contrebalançant le pouvoir des puissants syndicats de transports !
[1] https://cdn.who.int/media/docs/default-source/documents/health-topics/ro...