LES DIPLOMATES DE PETIT CALIBRE
Traiter le sujet sensible de la présence militaire française en Afrique sans beaucoup de délicatesse a provoqué l’ire au sein des opinions publiques de nombreuses capitales africaines.
Lors de son allocution à la Conférence des Ambassadeurs français, Emmanuel Macron a évoqué le sujet des relations avec les Etats africains sur un ton désinvolte et méprisant. Traiter le sujet sensible de la présence militaire française en Afrique sans beaucoup de délicatesse a provoqué l’ire au sein des opinions publiques de nombreuses capitales africaines.
Pour rappel, tout ceci nous vient de l’instrumentalisation de la relation à la France des élites africaines, de la défiance croissante des citoyens, ainsi que des revendications de souveraineté et de relations équilibrées.
La coupe est pleine si l’on y ajoute les campagnes de désinformation des relais locaux de Moscou, histoire de renforcer la fibre de l’anti-France qui a germé au cœur de nos sociétés.
Précision utile : si le ton est condamnable, le propos en lui-même n’est pas totalement dénué de sens. N’eut été l’intervention de l’Armée française dans le cadre de l’opération Serval en janvier 2013, les groupes armés terroristes auraient sans doute pris Bamako et imposé la Charia comme ils l’avaient réussi dans le Nord du Mali.
Je renvoie aux articles de presse de l’époque et même au cinéma et à la littérature avec l’excellent film de Abderrahmane Sissako, Timbuktu, et le brillant roman de Mbougar Sarr, Terre Ceinte. Je me souviens de la liesse qui a accueilli François Hollande à Bamako, en février 2013 ; lui-même, ému ou juste feignant l’émotion, avait déclaré vivre le plus beau jour de sa carrière politique. Je ne reviens pas sur les bébés nés cette année-là et prénommés François Hollande...
Sur ce point et uniquement sur ce point précis, Macron a raison. En revanche, il nuance la vérité : l’ambition de la France n’était pas une fermeture totale des bases et un départ définitif de ses troupes, mais une reconfiguration de la présence militaire française en Afrique à travers un schéma plus ou moins précis.
Le 24 octobre 2024, le quotidien Le Dakarois révélait que l’Armée française se préparait redimensionner ses effectifs dans ses différentes bases africaines dont celles du Sénégal, dans la foulée des retraits progressifs entamés en 2007 sous Wade
Etaient concernées les bases d’Abidjan, de Libreville, Ndjamena et Dakar. Djibouti, au regard de l’enjeu stratégique qu’est l’IndoPacifique, n’était pas concerné. Il était question, selon des informations rapportées par Le Monde, de «conserver une centaine de militaires au Gabon (contre 350 alors), autant au Sénégal (contre 350) et en Côte d’Ivoire (600 auparavant) ainsi que quelque 300 au Tchad (contre 1000)».
Autres points saillants du rapport : le passage sous commandement commun de la France et du pays concerné de la base et la transformation des emprises, accompagné d’une éventuelle mutualisation avec les Américains ou d’autres membres de l’Otan pour des missions de formation avec les armées locales. Toutes ces informations sont contenues dans le rapport Jean-Marie Bockel, ancien ministre sous Nicolas Sarkozy, à qui le gouvernement français a confié une étude concernant les bases militaires. Pour la petite histoire, le fils de l’ancien sénateur, Pierre-Emmanuel Bockel, officier au sein du 5ème Régiment d’hélicoptères de combat de Pau, est mort en opération en novembre 2019 au Mali.
Dans la mise en œuvre de sa mission, Jean-Marie Bockel a rencontré les autorités des pays concernés sauf celles du Sénégal dont l’agenda politique et électoral a abouti à un changement de gouvernement. Ses différentes requêtes pour rencontrer les nouveaux dirigeants sénégalais ont toutes reçu une fin de non-recevoir dont les justifications ne sont pas nécessaires de rappeler ici.
En France, les diplomates poussent depuis longtemps pour une fermeture des bases, contrairement aux militaires qui, eux, sont partisans de leur maintien. Il faut dire que, traditionnellement, les priorités des deux mamelles de la capacité de projection française à l’international que sont le Quai d’Orsay et l’Hôtel de Brienne sont souvent en dissonance.
L’un dans l’autre, la présence militaire française telle qu’elle se configure actuellement, s’achève.
La base d’Abidjan a été rétrocédée aux autorités ivoiriennes dans le cadre de négociations saines et apaisées. Alassane Ouattara, en homme d’Etat sérieux, expérimenté et pragmatique, en a fait l’annonce lors de son discours de la Saint-Sylvestre. Il n’a pas fait recours aux arguments populistes et aux propos outranciers.
Auparavant, le Tchad, fin novembre, a publié un communiqué pour dénoncer les accords de Défense qui le liaient à la France. Depuis, le retrait se déroule sereinement.
Au Sénégal, l’annonce a été plusieurs fois réitérée par les dirigeants du parti populiste autoritaire au pouvoir, d’une fin de la présence militaire «étrangère» sur le territoire national.
Dans son discours cité plus haut, Macron annonce la couleur de la nouvelle diplomatie française en Afrique, qui, hélas, est passée inaperçue à cause de la polémique. Il y évoque la volonté de changer les «lunettes» de la France sur l’Afrique. En français facile, il s’agit moins de se consacrer à l’exportation de la culture, de la langue et des valeurs que de se réorienter dans le business pour remporter des parts de marchés ; ceci dans un contexte où le premier investisseur en Afrique est la Chine.
Preuve peut-être d’un renversement progressif d’alliance, Paris a accueilli récemment le Président nigérian Tinubu, le prochain sommet France-Afrique se tiendra cette année pour la première fois dans un pays anglophone, au Kenya.
La France perd ses positions partout en Afrique. Les critiques des opinions publiques fusent autour des questions mémorielles, du Cfa, des bases militaires et de l’arrogance française sur le continent ; la France a jusque-là regardé l’Afrique francophone avec les yeux du passé, se contentant d’un certain statu quo. Désormais, en plus d’une résurgence du discours souverainiste, la manipulation sponsorisée par le Kremlin a provoqué une perception négative de Paris auprès notamment des jeunesses africaines.
Ma conviction est que la relation entre la France et ses partenaires africains peut être réinventée autour de nouveaux paradigmes de respect mutuel et d’équilibre concerté. Nous sommes liés par une histoire douloureuse mais avons un futur en commun à bâtir.
Les dirigeants africains ont un devoir de vérité vis-à-vis de leurs opinions publiques. Taper sur la France au quotidien ne saurait être une politique digne des attentes nombreuses en matière d’éducation, de santé ou d’emploi.
Des dirigeants médiocres trahissent un complexe d’infériorité visà-vis de la France et jouent sur la rente de l’anticolonialisme, aidés en cela par des intellectuels dont la vie des idées se résume à critiquer Paris en tous lieux et toutes circonstances.
Aller sur les réseaux et rédiger de longues phrases creuses aux allures pamphlétaires et brandir la rengaine victimaire tiers-mondiste ne peuvent justifier les 840 milliards de francs Cfa de déficit en huit mois d’exercice. La démagogie et le ridicule consacrent cette manière de bander les muscles sur Facebook en vue de s’attirer les vivats de la foule, pour ensuite compter sur les sapeurs pompiers français quand une passerelle tombe en pleine capitale. La diplomatie est une affaire trop sérieuse pour être résumée à des fanfaronnades sur les réseaux sociaux ou à des gesticulations de gens de très petit calibre.