LES SÉNÉGALAIS ONT CHOISI LA DÉMOCRATIE
EXCLUSIF SENEPLUS - La vocation du Sénégal n'est pas de suivre les aventuriers de l’AES. Le 24 mars, le peuple a lancé un message clair au nouveau pouvoir. Il faut savoir l’entendre et se méfier des sirènes nationalistes
Le général Mamadi Doumbouya, le colonel Assimi Goïta et le capitaine Ibrahim Traoré devaient être dans leurs petits souliers quand Bassirou Diomaye Faye, président légitimement élu du Sénégal, est venu leur rendre visite. Malgré les tensions qui ont eu cours au Sénégal à la suite des nombreuses « affaires Sonko » et du report de la présidentielle décidé par Macky Sall, le pays a tenu. Le Conseil constitutionnel a censuré l’Exécutif, qui s’est plié aux exigences des Sept Sages. Le peuple sénégalais a fait le reste, en se rendant massivement aux urnes pour élire son président parmi dix-neuf candidats. Le scrutin, marqué par un calme exceptionnel, a été libre, démocratique et transparent en dépit des Cassandre qui, de l’intérieur et de l’étranger, agitaient la menace du chaos généralisé voire de l’effondrement du pays.
Le Sénégal a confirmé son ancrage dans la démocratie libérale et du modèle électoral ouvert qui permettent une compétition entre des projets concurrents avec comme arbitre suprême le peuple souverain.
La présidentielle du 24 mars dernier a été une respiration pour tous ceux qui désespéraient de la démocratie dans une région ouest-africaine engluée dans les putschs, les dérives autoritaires et l’assujettissement à des puissances étrangères, dont certaines envisagent de devenir maîtresses et alliées des nouveaux autoritarismes tropicaux.
En faisant le choix d’élire son président au suffrage universel, ce qui signifie tourner le dos à la tentation du pire, le peuple sénégalais a lancé un message clair au nouveau pouvoir : nous ne voulons pas du modèle illibéral vendu notamment par des puissances conquérantes à leurs nouveaux alliés, mais de la poursuite dans la voie de la démocratie libérale qui seule permet l’alternance au pouvoir et la garantie de l’effectivité des libertés publiques. Il ne faudrait pas que les nouvelles autorités sénégalaises se trompent dans le décryptage du message des électeurs. Celui-ci est éloquent, car il consacre, avec la victoire d’un candidat de l’opposition sans expérience de l’élection ni du gouvernement, la compétition électorale pour choisir librement à qui confier le pouvoir.
Que le président sénégalais fasse la tournée des voisins après son élection est tout à fait normal. Mais il lui faut toujours garder à l’esprit que le Sénégal n’est ni le Mali, ni le Burkina Faso encore moins la Guinée. Aussi, il lui faut se souvenir de la manière dont il est arrivé au pouvoir ; ni par les armes ni par une insurrection. Il a été élu démocratiquement et installé à la suite d'une prestation de serment devant le président du Conseil constitutionnel et d'une passation de service en bonne et due forme avec son prédécesseur. L’heure n’est pas au rapprochement avec des régimes autoritaires dont les dirigeants ont arraché le pouvoir par le fusil sous prétexte que la situation de leur pays était déplorable et que l’armée subissait des défaites face aux bandes armées. Désormais, ils jouissent du confort du pouvoir dans des palais cossus, loin des théâtres d'opérations, se partagent les postes de responsabilité, répriment toute voix discordante et décident de se maintenir au pouvoir sans mandat populaire.
Au Burkina Faso, des opposants et des membres de la société civile sont régulièrement arrêtés s’ils ne sont tout bonnement envoyés au front. En janvier Me Guy Hervé Kam, avocat d’Ousmane Sonko, est enlevé et détenu au secret. Libéré le 30 mai, il a, le même soir, encore été arrêté par la gendarmerie. Récemment, le capitaine Ibrahim Traoré s’est octroyé sans coup férir un mandat « cadeau » de cinq ans.
Au Mali, la junte non seulement refuse de rendre le pouvoir après quatre années de transition, mais Assimi Goïta a suspendu par un décret du 10 avril 2024, les activités des partis et des associations politiques. Les médias ont également reçu l’ordre de ne plus traiter l'actualité politique.
Au Niger, non content de détenir l’ancien président élu démocratiquement Mohamed Bazoum, le régime putschiste empêche toute forme d’expression démocratique. Le général Abdourahamane Tiani, chef de la junte, déroule le tapis rouge à Niamey à Kémi Séba et Nathalie Yamb, activistes pseudo-panafricanistes, mais en vérité relais propagandistes de Moscou en Afrique francophone. En Guinée, quatre radios et une télévision ont été interdites par le régime au mois de mai.
Les délires anti-impérialistes, qui sont en réalité une manière de masquer ses carences en matière économique et de transformation sociale, masquent mal une incapacité à gouverner dans la transparence et la vertu. Il est attendu des dirigeants de la sous-région une volonté et une ambition pour plonger leurs pays dans la modernité mais pas dans la reconstitution d’un agenda qui fait office de vieilles reliques tiers-mondistes. Les discours enflammés sur la souveraineté, le nationalisme économique et le patriotisme ne sont que leurre face aux vraies urgences qui relèvent de la transformation de l’économie, de l’industrialisation, de la réalisation d’infrastructures modernes et de l’attrait des investissements en vue de générer de la croissance et des emplois massifs. La compétition entre les pays du champ devrait se situer au niveau de savoir qui attire les plus grandes multinationales pour lutter contre le chômage des jeunes et non qui montrerait le plus d’attachement à la milice Wagner pour sécuriser son territoire.
Heureusement que le président Faye a catégoriquement fermé la porte d’une adhésion du Sénégal à l’Association des États du Sahel. Le Sénégal est un leader de la Cedeao et de la zone Franc et devrait l’assumer en pesant de tout son poids diplomatique pour renforcer l’intégration régionale, la monnaie commune et la dynamique d’échanges commerciaux au sein de la communauté régionale.
La vocation du Sénégal n'est pas de suivre les aventuriers de l’AES, mais de rester dans le giron des grandes démocraties de la région, avec le Ghana et le Cap Vert. Il s’agit aussi pour le Sénégal de rattraper le voisin et rival ivoirien dont le miracle économique se réalise sous nos yeux. Dakar doit s’éloigner de la tentation autoritaire et renforcer sa coopération avec des puissances démocratiques comme le Nigéria, l’Afrique du Sud, sur le continent, la France, l’Allemagne et le Brésil, hors de nos frontières. Trêve de fanfaronnades nationalistes ! Le Sénégal a vocation à s’ouvrir à toutes les partenaires économiques qui respectent le principe de non-ingérence et qui apportent de la valeur ajoutée à son ambition économique.
Les Sénégalais votent depuis un siècle et demi. Ils ont expérimenté la presse privée depuis les années 70. Le droit de marche est inscrit dans la Constitution depuis janvier 2001. Nos compatriotes, qui en 2022, ont donné plus de députés à l’opposition au Parlement, ont plusieurs fois réalisé une alternance au sommet de l’État par le biais du suffrage universel. Ce peuple est jaloux de sa liberté et de son pouvoir conférés par la Constitution. Il a, le 24 mars dernier, fait une nouvelle fois le choix de la pérennité d’un modèle démocratique qui connaît ses limites certes mais garantit l’exercice des libertés fondamentales. Les Sénégalais ont choisi la démocratie, il faut savoir l’entendre, se méfier des sirènes nationalistes et faire nôtre le rendez-vous senghorien du donner et du recevoir.
Birane Gaye est enseignant.