L’HONNEUR HYPER ONÉREUX DE NOTRE AMI, LE PRINCE MBAYE NIANG
Jamais procès en diffamation n’avait nécessité la sortie de chars de combat, la mise en état de siège du domicile d’un prévenu. Jamais plaignant n’avait eu autant de privilèges que notre ministre du Tourisme face à une partie défenderesse
Homme béni des dieux, un rejeton doré sur tranche, un « Coumba Am Ndey », un plaignant chouchouté. Un Sénégalais dont « l’honneur » — enfin, on suppose qu’il en a — est inestimable au point qu’il ne faut même passe hasarder à l’évaluer. Sa valeur dépasse tout entendement, tout ce que l’on peut raisonnablement imaginer. C’est pourquoi, quand il entend le laver devant les tribunaux, eh bien le fléau de la balance de la justice se détraque, penche outrageusement d’un côté, le sien bien sûr, et Thémis s’affole. Les citoyens sont égaux devant la justice ?
Foutaises, lorsque le citoyen en question s’appelle Mame Mbaye Niang, lorsqu’il est sous-ministre de la République et le chouchou de la Première dame ! Et lorsque son « honneur » — puisqu’il nous dit qu’il en a ! — est en jeu.
Dans ce pays, on a vu le ministre d’Etat (à l’époque, sous le président Abdou Diouf, il était le seul à porter ce titre à ce moment-là) Abdoulaye Wade porter plainte contre un journal et son directeur. Il s’agissait du « Témoin » et de Mamadou Oumar Ndiaye. Avant cela, en tant que simple opposant, il avait attrait le défunt directeur du quotidien national « Le Soleil », Bara Diouf, devant les tribunaux puis, grand seigneur, avait retiré sa plainte à la barre du tribunal. On a vu le richissime Jean-Claude Mimran traîner en justice l’alors tout-puissant groupe Sud Communication. On a vu les frères Pierre-Babacar et Mansour, alors au sommet de leur influence, faire un procès à un journal. Ou l’alors très craint éditeur français Joël Decupper, patron de la revue Africa, porter plainte contre Béchir Ben Yahmad, dont le journal « Jeune Afrique » faisait — et continue de faire — la pluie et le beau temps sur le continent.
Toutes ces affaires de diffamation ont été jugées par la justice sénégalaise. Le droit a été dit, certains prévenus ont été condamnés, d’autres ont été relaxés. Toujours est-il que ces procès se sont tenus dans les règles de l’art avec des affluences plus ou moins grandes selon la notoriété des parties. Mais jamais, alors là jamais, les prévenus dans ces affaires de diffamation n’ont été gazés et leurs avocats avec eux, malmenés par la police et conduits dans un état presque inconscient dans la salle du tribunal ! Jamais aucun d’entre eux n’a été conduit pieds et poings liés devant les juges, quelle que fût la puissance des plaignants. Jamais leurs véhicules n’ont fait l’objet de « car-jacking » parles forces de l’ordre, n’ont été caillassés, leurs portières ouvertes par effraction et eux sortis de force pour être transportés dans des fourgons.
Mais surtout jamais, à l’occasion de tous ces procès, l’économie n’a été paralysée, les écoles fermées, les rideaux des magasins baissés, la ville placée en état d’urgence. Jamais il n’y a eu des saccages se chiffrant à des milliards de francs — rien que Dakar Dem Dikk a chiffré son préjudice à 400 millions avec trois bus brûlés et trois autres caillassés —, jamais il n’y a eu un climat de guerre civile, en tout cas d’insurrection marquée par des affrontements entre des jeunes gens et les forces de l’ordre. Jamais aucune de ces affaires judiciaires n’a installé notre pays au bord du chaos. Jamais procès en diffamation n’avait nécessité la mobilisation de centaines de policiers et de gendarmes, la sortie de chars de combat, la mise en état de siège du domicile d’un prévenu. Bref, jamais plaignant n’avait eu autant de privilèges face à une partie défenderesse.
La présidentielle 2024, véritable enjeu d’un procès hors normes
En réalité, tout le monde a compris qu’en choisissant de porter plainte devant le chef de l’opposition et candidat hyper-favori à la présidentielle de 2024, Mame Mbaye Niang se fout éperdument de son propre honneur car ce qui l’intéresse c’est de faire condamner un opposant — ce qui n’est pas difficile quand on sait, disons, la bienveillance de notre justice à l’égard de l’Exécutif et la difficulté de réchapper aux procès en diffamation ! — pour faire invalider sa candidature. Dans ces conditions, on ne s’étonnera pas que, s’agissant d’un procès qui sort de l’ordinaire et dont l’enjeu réel est en réalité la possibilité ou non pour un sérieux candidat de prendre part à la compétition de 2024, les partisans de ce candidat sonnent la résistance. Et soient prêts à tout pour que leur champion ne soit pas l’agneau du sacrifice judiciaire. Surtout quand cette même justice a déjà égorgé dans le passé les deux candidats susceptibles de constituer des obstacles à la réélection du patron de Mame Mbaye Niang à la présidentielle de 2019 !
On retiendra en tout cas que l’honneur supposé de Mame Mbaye Niang vaut plus les honneurs réunis de toutes les illustres parties civiles dont il est question ci-dessus et qu’il est plus important que la stabilité sociale de ce pays. Mais bon le Sénégal peut brûler, la guerre civile peut s’y installer, des vies humaines peuvent être perdues, des infrastructures détruites, l’économie s’affaisser, des propriétés saccagées… tout cela n’a pas d’importance pourvu que l’honneur de Mame Mbaye Niang soit lavé ! Quand on vous disait que ce jeune homme sort de l’ordinaire et qu’il est hyper privilégié… En Arabie Saoudite, on connaît le superpuissant Mohamed Ben Salman alias MBS, véritable détenteur du trône, eh bien au Sénégal nous avons le prince MMBN !