MEDIAS, RESEAUX SOCIAUX ET JUSTICE : QUI VIOLE LA PRESOMPTION D’INNOCENCE ?
Dans le cadre de la préservation de l’ordre public et de la protection des droits fondamentaux, le rôle du procureur de la République revêt une importance cruciale, en particulier lorsqu’il s’agit de communication publique.
Dans le cadre de la préservation de l’ordre public et de la protection des droits fondamentaux, le rôle du procureur de la République revêt une importance cruciale, en particulier lorsqu’il s’agit de communication publique.
Face à la prolifération d’informations inexactes ou incomplètes qui peuvent compromettre le bon déroulement des enquêtes ou semer la confusion au sein de l’opinion publique, il est parfois nécessaire pour le procureur d’intervenir afin de rétablir une information claire et objective. Toutefois, cette intervention doit être rigoureusement encadrée pour ne pas porter atteinte à la présomption d’innocence, un principe fondamental du droit pénal.
Malheureusement, les chefs de parquets n’ont pas recours de manière systématique aux points de presse, bien que l’article 11 alinéa 3 du Code de procédure pénale les autorise à le faire dans certaines circonstances, notamment pour prévenir la propagation de rumeurs ou apaiser des tensions susceptibles de troubler l’ordre public.
En concertation avec sa hiérarchie, le procureur peut rendre publics certains éléments d'une procédure judiciaire en cours, à condition que cette communication soit strictement limitée aux faits objectifs et qu’elle n’émette aucun jugement sur la culpabilité ou l’innocence des personnes concernées. L’objectif est de fournir une information transparente tout en respectant les droits des personnes impliquées et en préservant l’intégrité de l’enquête. Cette pratique, bien que délicate, vise à concilier la nécessité d'informer le public avec le respect des principes fondamentaux du droit.
La communication du parquet est essentielle, car elle protège l’intégrité de la procédure judiciaire tout en répondant aux besoins d’information du public, notamment lorsque l’ordre public est menacé par des rumeurs ou des informations incorrectes. Elle contribue également à maintenir la confiance du public dans le système judiciaire en assurant une certaine transparence, tout en respectant les droits des personnes concernées. Bien que le procureur ne soit pas tenu de communiquer systématiquement, il peut le faire lorsque cela est nécessaire pour préserver l’ordre public et éviter des perturbations supplémentaires.
I. Consécration et Protection de la Présomption d’Innocence La présomption d’innocence est un principe fondamental du droit pénal, reconnu par de nombreux textes internationaux et nationaux. Selon ce principe, toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité soit légalement prouvée. Ce principe est protégé par des textes tels que :
A. Les Sources Internationales
• Article 11 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 : «Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées.»
• Article 9 du Pacte International Relatif aux Droits Civils et Politiques (PIDCP) : Ce texte réaffirme également la protection de ce principe.
B. Les Sources Nationales
1. En droit français : La violation de la présomption d’innocence est encadrée par l’article 9-1 du Code civil, qui permet à toute personne de demander réparation lorsque ce principe a été violé, par exemple, par la diffusion publique d’informations laissant entendre qu’elle est coupable avant un jugement définitif. Cette infraction peut également être punie pénalement, notamment si elle se manifeste par la diffamation ou l’atteinte à l’honneur, comme le prévoit l’article 226- 10 du Code pénal qui sanctionne la dénonciation calomnieuse.
2. En droit sénégalais : La présomption d’innocence est un droit fondamental protégé par la Constitution ainsi que par les conventions internationales ratifiées par le Sénégal. Ce principe stipule qu’une personne accusée d’un crime ou d’un délit est considérée comme innocente jusqu’à ce que sa culpabilité soit légalement établie. Toute atteinte à ce droit peut entraîner des sanctions civiles et pénales, notamment lorsque cette atteinte nuit à l’honneur ou à la réputation de l’individu concerné. La diffamation, régie par le Code pénal sénégalais, fournit un cadre juridique pour sanctionner les atteintes à la présomption d’innocence lorsqu'elles prennent la forme de déclarations fausses ou malveillantes qui portent préjudice à une personne. Les peines encourues pour diffamation peuvent inclure des amendes et, dans certains cas, des peines d’emprisonnement.
Ainsi, la garantie de la présomption d’innocence, renforcée par les sanctions prévues en cas de diffamation, est essentielle pour le respect des droits fondamentaux et pour la protection de la dignité humaine dans le cadre juridique sénégalais.
II. Les Sanctions de la Violation de la Présomption d’Innocence
Les conséquences juridiques de la violation de la présomption d'innocence peuvent inclure :
1. Sanctions civiles : Dommages et intérêts pour réparer le préjudice moral subi par la personne concernée.
2. Sanctions pénales : Lorsque la violation prend la forme de diffamation ou de dénonciation calomnieuse.
Exemples Jurisprudentiels en Droit Français :
• Affaire «Outreau» (2004) : Cette affaire a mis en lumière les dangers d’une atteinte à la présomption d’innocence en raison de la médiatisation excessive. Plusieurs médias ont été condamnés pour avoir présenté les accusés comme coupables avant le jugement définitif.
• Cass. civ. 2ème, 16 juillet 1992, n° 91-12.897 : La Cour de cassation a confirmé la condamnation d'un journal pour avoir publié un article laissant entendre qu’une personne était coupable de fraude fiscale avant toute condamnation judiciaire.
• Affaire «Le Pen c. France» (2005) : La Cour Européenne des Droits de l’Homme a condamné la France pour violation de la présomption d'innocence à la suite de déclarations publiques des autorités judiciaires contre Jean-Marie Le Pen.
Exemples Jurisprudentiels en Droit Sénégalais : Bien que les exemples de jurisprudence sénégalaise concernant la violation de la présomption d’innocence ne soient pas aussi documentés que ceux en droit français, le droit sénégalais prévoit des sanctions similaires.
• Affaire Karim Wade (2015) : Avant son jugement pour corruption et enrichissement illicite, Karim Wade a fait l'’objet de déclarations publiques et d’articles de presse laissant entendre sa culpabilité, soulevant des questions sur le respect de la présomption d’innocence.
• Affaire Cheikh Yérim Seck (2012) : Accusé de viol, Cheikh Yérim Seck a été présenté comme coupable par certains médias avant son procès, soulevant des discussions sur les limites de la presse dans le respect de la présomption d'innocence.
III. Recommandations pour mieux Protéger la Présomption d’Innocence ; Pour prévenir les violations de la présomption d’innocence, les autorités peuvent adopter une approche combinant des mesures législatives, judiciaires et médiatiques :
1. Renforcement du cadre législatif et encadrement de la communication judiciaire : Il est possible de renforcer les lois contre la violation de la présomption d'innocence en introduisant de nouvelles incriminations dans le Code pénal pour sanctionner les auteurs, y compris les médias. Les autorités judiciaires peuvent communiquer sur les affaires en cours, mais cette communication doit être encadrée pour éviter toute atteinte à la présomption d’innocence. Par exemple, les procureurs peuvent rendre publics certains éléments de la procédure pour éclairer le public tout en s’abstenant de tout commentaire sur la culpabilité ou l’innocence des personnes concernées.
2. Encadrement de la communication publique : Les autorités doivent mettre en place des protocoles stricts pour les déclarations publiques sur les affaires en cours, afin d'éviter tout commentaire préjudiciable.
3. Régulation des médias : La conciliation entre le droit à l’information et la protection de la présomption d’innocence est un exercice délicat qui nécessite un équilibre soigneusement mesuré. D’une part, le droit à l’information est un pilier fondamental de toute démocratie, permettant aux citoyens d’accéder à des informations cruciales, notamment en matière de justice, afin de garantir la transparence et le contrôle citoyen des institutions. D’autre part, la présomption d’innocence est un droit fondamental qui protège les individus accusés d’un crime de toute atteinte à leur dignité et à leur réputation avant qu’une culpabilité ne soit établie par une décision de justice définitive. Les autorités de régulation de la presse doivent imposer des sanctions contre les médias qui violent la présomption d’innocence et promouvoir des pratiques journalistiques éthiques.
4. Responsabilité des réseaux sociaux et éducation du public :
La présomption d’innocence est un pilier essentiel de tout système judiciaire équitable, garantissant que toute personne accusée bénéficie d’un traitement juste et impartial jusqu’à ce que sa culpabilité soit prouvée. La violation de ce principe, que ce soit par les médias, les réseaux sociaux ou des communications judiciaires non encadrées, peut avoir des conséquences graves non seulement pour les individus concernés mais aussi pour la crédibilité du système judiciaire dans son ensemble. Il est donc impératif de renforcer les dispositifs législatifs et réglementaires pour protéger ce droit fondamental, en veillant à ce que la communication publique et médiatique respecte scrupuleusement les limites nécessaires pour ne pas porter atteinte à la présomption d'innocence. Les autorités doivent non seulement encadrer la communication judiciaire mais aussi sensibiliser les médias et le public sur l’importance de ce principe, afin de prévenir les dérapages et de garantir une information responsable et équilibrée.
At last but not least, la protection de la présomption d’innocence est un enjeu crucial pour le maintien de la justice et de la dignité humaine. Elle nécessite un engagement collectif, tant des acteurs institutionnels que des médias et du grand public, pour assurer un équilibre entre le droit à l’information et le respect des droits fondamentaux.
El Amath THIIAM
Juriste-Consultant Président, «Justice Sans Frontière»
Courriel : justice100f@gmail.com