NE FAUDRAIT-IL PAS LUI COUPER LA LANGUE ?
Le porte-parole d’une entité devrait comprendre qu’il n’a pas à exprimer des opinions personnelles, encore moins ses sentiments ou s’interroger comme le ferait un citoyen ordinaire.

Emile Zola, dans Germinal, décrit une scène réaliste d’un tableau avec des couleurs dominantes, significatives, symboliques (le rouge et le noir), mais aussi la référence à la Révolution française (la guillotine, la Marseillaise) et à une révolution future. Cette révolte présente des mineurs s’inscrit dans cette perspective idéale ; elle devient elle-même une révolution, ou mieux, elle incarne l’idée même de la révolution. Et le cri «du pain, du pain», qui termine le passage, nous ramène à la réalité la plus élémentaire : c’est au nom du pain, de l’existence, de la survie, que ces hommes et ces femmes se révoltent. Les mineurs (les prolétaires) ne veulent pas le luxe, le superflu : ils veulent seulement le strict nécessaire pour vivre, avec dignité, chose qui leur est niée par les bourgeois. Nous ne vivons certes pas la grande révolte de Germinal au Sénégal, mais ça gronde en sourdine à cause de la situation économique et sociale difficile. La campagne agricole n’a pas eu les résultats escomptés, malgré les annonces en grande pompe du ministre Mabouba Diagne qui promettait deux (2) millions de tonnes d’arachide, pour ensuite nous annoncer moins de sept cent mille (700 000). Diagne, pour justifier son échec, les pires résultats depuis plus de 20 ans, annonce que les résultats antérieurs étaient faux. Une situation qui, selon Agrhymet, le Système régional intégré d’information agricole de la Cedeao, pourrait plonger un million trois cent mille (1 300 000) personnes dans une insécurité alimentaire. C’est à ce moment précis que le Conseiller technique n°1 du ministère de la Famille et des solidarités, Oumar Samb, a annoncé la suspension temporaire du programme de Bourses de sécurité familiale pour, dit-il, «mener une évaluation approfondie». «C’est un programme que nous avons suspendu temporairement pour faire l’évaluation. Beaucoup de personnes estiment qu’il y a des ajustements à apporter dans la manière de sélectionner les bénéficiaires. Nous sommes en train de revoir le Registre national unique, qui est l’outil permettant de choisir les ayants droit», avait-il déclaré dans l’émission Salam Sénégal sur Radio Sénégal.
Le secteur du Btp est également une autre illustration de la morosité dans laquelle vivent les Sénégalais. La dernière note de conjoncture de la Direction de la prévision et des études économiques (Dpee) renseigne que la production de ciment a fortement diminué au quatrième trimestre 2024. Sur cette période, l’activité a baissé de 9, 3%. Cela, à cause de «la baisse de 26, 8% des commandes étrangères». Par ailleurs, relève la dernière note de conjoncture, «la demande locale a reculé de 5, 4% sur la période, en liaison avec la suspension de certains projets de construction». La réalité demeure implacable à partir de ces deux exemples que l’on pourrait généraliser à tous les secteurs : la morosité économique est partout et ce gouvernement peine à répondre aux attentes légitimes de la population. En effet, les Sénégalais sont confrontés à des difficultés grandissantes. La vie devient de plus en plus chère, le chômage des jeunes explose (et pas plus tard que cette semaine, une embarcation de migrants a été interceptée), beaucoup de chantiers sont à l’arrêt avec leur lot de personnes mises au chômage. Dans une absence manifeste de vision stratégique et avec comme leviers de gouvernance l’improvisation et l’approximation, ce pouvoir se complait dans l’invective et la surenchère, avec des discours enflammés au lieu de mesures concrètes qui améliorent le quotidien des Sénégalais. L’on nous installe dès lors dans la stratégie de la diversion permanente pour orienter le débat public sur ce qu’il n’est pas. Or, en le faisant, nous assistons à une gouvernance polémique. La dernière polémique est du récidiviste Moustapha Sarré, ministre de la Formation professionnelle et non moins porteparole du gouvernement. Sans détour, il a déclaré que l’ancien ministre Moustapha Ba a été tué en France. «Ils ont menti sur les chiffres, ils ont menti au Peuple sénégalais et aux partenaires. Lors de sa rencontre avec le Président Bassirou Diomaye Faye et le Premier ministre Ousmane Sonko, Moustapha Ba leur a révélé que les chiffres n’étaient pas exacts. Nous devons élucider les circonstances de sa mort, car il a été tué dans des conditions troubles», dit-il lors d’une activité politique à Mbao. Et face au tollé que ses propos ont suscités, il remet une couche encore plus maladroite en accusant ses adversaires apéristes de fabriquer «des polémiques» parce que manquant «d’arguments».
«Après avoir plongé le pays dans une situation économique catastrophique, les champions du maquillage des chiffres et de la diversion tentent aujourd’hui d’exister autrement qu’en assumant leur bilan. Ce week-end, j’ai lancé avec fierté les activités de l’Ecole du parti Daaray Cheikh Anta Diop à Mbao, pour un militantisme engagé et au service du développement. Mais au lieu de débattre sur les véritables enjeux qui concernent les Sénégalais, certains préfèrent manipuler des propos sortis de leur contexte. Soyons clairs : comme tout citoyen, j’ai le droit de m’interroger sur des faits marquants de notre actualité, sans pour autant faire d’affirmations. Ceux qui veulent faire diversion pour éviter les débats de fond sur la gouvernance et l’avenir du pays se fatiguent en vain. Pendant qu’ils polémiquent, nous avançons, déterminés à bâtir un Sénégal nouveau, sur la base de la vérité, de la rigueur et du développement pour tous.» Mieux valait ne pas faire cette précision, car Sarré ne s’est pas posé de questions, il a plutôt affirmé. Et son affirmation «laisserait croire que les autorités de la France, pays où Moustapha Ba est mort, auraient fermé les yeux sur un meurtre» (Madiambal Diagne). Pire, le procureur Ibrahima Ndoye serait lui aussi complice pour avoir autorisé son enterrement sans élucider les circonstances du décès. Et que dire de Adama Gaye qui fut interpellé par la police pour avoir insinué de tels propos ? N’oublions pas que le même Sarré s’est payé le luxe de traiter l’ancien président de la République, Macky Sall, de «chef de gang» quand celui-ci avait rejeté les conclusions du rapport de la Cour des comptes sur la gestion des finances publiques de 2019 à 2023. «Il ne peut pas échapper à la Justice parce que c’est lui qui était derrière tout ça. Il est, en quelque sorte, le chef de gang», avait-il déclaré sur les ondes de la Rfm, ajoutant : «Les Sénégalais lui avaient fait confiance pour améliorer leurs conditions de vie, mais il a posé ces actes et caché la vérité. Si ce que la Cour des comptes a certifié est transmis aux autorités judiciaires, il devra répondre devant la Justice, car nous savons tous qu’aucun acte de malversation ne peut être posé sans qu’il n’en soit informé. S’il pense qu’il n’a rien fait, il n’a qu’à revenir et assurer sa propre défense devant la Justice.»
Et comme par hasard, quelques jours après, le voilà qui se rétracte sur Walf Tv en soutenant : «Je parlais pour moi, pas pour le gouvernement.» Un porteparole qui exprime ses opinions personnelles sur des dossiers aussi graves, c’est peut-être une première dans les annales de l’histoire politique. Un porteparole qui ne parle que pour lui-même, c’est tout un symbole : un gouvernement où chacun dit ce qu’il veut, sans coordination, sans ligne directrice, sans conscience des conséquences. En effet, Sarré, à l’image de Ousmane Sonko, est fort à accuser sans preuves ni nuances. Et l’opinion publique commence à considérer ces accusations comme des manœuvres politiciennes sans fondement, qui affaiblissent la crédibilité de ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir. En avril dernier, juste quelques jours après l’installation du nouveau gouvernement, pendant que l’opposition semblait leur accorder un délai de grâce, le même Sarré a ouvert les hostilités politiques. Dans l’émission Grand Jury de la Rfm, il mettait en garde l’opposition alors majoritaire au Parlement : «Voter une motion de censeure contre le gouvernement serait ramer à contre-courant de la vision de la majorité du Peuple sénégalais. Si jamais il arrivait que des personnes cherchent à faire tomber le gouvernement, ils auraient certainement en face d’eux toute l’opinion publique ; en tout cas la plus grande partie de l’opinion publique du Sénégal. Parce que, jamais dans l’histoire de notre continent, un projet n’a jamais été aussi plébiscité dès le premier tour, venant surtout de l’opposition. Je crois que nos amis de l’opposition actuelle, qui sont majoritaires à l’Assemblée nationale, ne commettraient pas l’erreur de déposer une motion de censure. Les députés de l’opposition sont dans l’obligation de prendre en compte les résultats du scrutin présidentiel du 24 mars 2024 pour ne pas être désavoués par le Peuple.» Réplique de Abdou Mbow : «Le Groupe parlementaire Benno bokk yaakaar rappelle au porte-parole du gouvernement que la motion de censure fait partie de la panoplie d’instruments de contrôle de l’action gouvernementale dont dispose l’Assemblée nationale. A ce titre, sa mise en œuvre relève exclusivement de la compétence des députés quant à l’appréciation qu’ils feront du contenu de la Déclaration de politique générale du Premier ministre, comme ce fut le cas de la motion de censure déposée par le Groupe parlementaire Yewwi askan wi suite à la Déclaration de politique générale du Premier ministre Amadou Ba.» Moustapha Sarré est la preuve vivante de cette affirmation : «L’exercice de la communication n’a jamais été à la portée de tout le monde.» Dès lors, ne faudrait-il pas lui couper la langue ? Au sens figuré bien sûr ! Au moment où l’on prône la séparation des pouvoirs, il y a des propos qu’un ministre, de surcroît porte-parole du gouvernement, ne devrait pas tenir dans l’espace public. Il devrait apprendre à retourner cent fois sa langue avant de l’ouvrir. Le porte-parole d’une entité devrait comprendre qu’il n’a pas à exprimer des opinions personnelles, encore moins ses sentiments ou s’interroger comme le ferait un citoyen ordinaire. Il devrait faire preuve de tenue et de retenue, et s’en limiter uniquement à porter la parole du gouvernement. En un mot, savoir être un homme d’Etat et éviter d’être un homme de détails. Quand un porte-parole parle, ses propos engagent l’ensemble de l’Etat, ce qui exige une rigueur exemplaire dans ses déclarations.
En effet, chaque sortie semble vouloir surpasser la précédente en gravité, avec des accusations non fondées, des discours accusatoires et une tendance à la théâtralisation de la gestion antérieure. Au lieu de se concentrer sur la gestion quotidienne et les défis à relever pour le bien-être des citoyens dans son secteur, tel un matamore, il joue au procureur et au juge, accusant ceux qui les ont précédés au pouvoir ; ce qui est destructeur de l’image du gouvernement. Désormais, à chaque fois qu’il ouvrira la bouche, il faudra que les Sénégalais bouchent leurs oreilles. Il ne dit rien de bon. Et quand on dit que c’est ce monsieur qui gère l’Ecole du parti de Pastef, tout se comprend… Les figures de ce parti se distinguent souvent par leurs dérapages.
Une série de sorties qui fait tache
A l’image de Moustapha Sarré dont les déclarations controversées ont récemment fait couler beaucoup d’encre, d’autres figures du régime, comme Cheikh Oumar Diagne, Pape Mada Faye et Birame Soulèye Diop, ont également été au cœur de controverses médiatiques. Ces sorties posent la question de la gestion de la communication au sein d’un gouvernement qui se veut pourtant porteur d’un nouveau souffle politique.