NIGER : L'IMPOSSIBLE JUSTIFICATION DU COUP D'ÉTAT
Le putsch conduit du général Tchiani confirme l’idée que n’importe quel individu en treillis pourrait désormais, sur la base d’appréciations personnelles, pointer son arme sur le représentant légitime d’un État pour en exiger la destitution
S’exprimant le 30 septembre dernier sur une chaîne de télévision nationale, le chef de la junte nigérienne, le général Abdourahamane Tchiani, a une fois encore tenté de justifier le coup d’Etat perpétré deux mois plus tôt. Loin de convaincre tous ceux qui condamnent l’action des putschistes de Niamey, cet exercice a confirmé l’isolement du pays sur la scène régionale.
Pour la première fois depuis le coup d’Etat du 26 juillet 2023 contre le président Mohamed Bazoum, élu en 2021, le général AbdourahamaneTchiani, président autoproclamé du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP),s’est prêté à l’exercice d’un entretien télévisé sur Télé Sahel. Plus exactement, deux entretiens diffusés le 30 septembre dernier, en langues haussa et zarma. Une fois encore, le chef de la junte a tenté d’expliciter les « raisons » d’un putsch qu’une partie de l’opinion africaine continue de considérer comme « le plus indéfendable et absurde » de tous ceux qui bouleversent depuis 2020 l’espace Cédéao(Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest). Il faut rappeler que les premières tentatives de justification de ce qui ressemblait initialement à un règlement de comptes personnels entre des officiers d’une garde présidentielle et le chef de l’exécutif, ne résistaient pas à l’épreuve du bon sens. Deux mois après le putsch, ce sont pourtant les mêmes motifs que le général Tchiani s’est appliqué à avancer à la télévision, dans l’espoir, peut-être, d’une inflexion de la position de la Cédéao qui, selon lui, « n'a même pas cherché à connaître les raisons du coup d'Etat… »
« Le coup d’Etat de trop »
Il est vrai que si les coups d’Etat survenus précédemment au Mali, au Burkina Faso et en Guinée ont su bénéficier d’une tacite concessionde « circonstances atténuantes », l’opération menée par les militaires de Niamey continue d’être considérée comme « le coup de trop » par les responsables de la communauté régionale. En effet, au regard des circonstances, le coup d’Etat conduit par le général Tchiani, chef de la garde présidentielle, confirme, aux confins de la caricature, l’idée que n’importe quel individu en treillis pourrait désormais et en tout lieu, sur la base d’appréciations personnelles, voire subjectives, pointer son arme sur le représentant légal et légitime d’un État pour en exiger la destitution. Une telle logique consacrerait unebanalisation des anomalies, une négation de la notion même de l’Etat et de sa sacralité.
Lors des interviews du 30 septembre dernier à Télé sahel, le chef de la junte nigérienne s’est donc efforcé à rappeler que son putsch sanctionnait les lacunes de la lutte contre les groupes terroristes. Occultant ainsi, grossièrement, la responsabilité cardinale de l’armée dans cette guerre. Sans compter que, peu avant son coup d’Etat, le même général associait sa voix à celles de tous ceux qui soulignaient les remarquables avancées du Niger dans la lutte contre le terrorisme, sous la houlette du président Mohamed Bazoum. Aujourd’hui, le généralaffirme qu’il a fallu « prendre des mesures pour éviter que le pays ne disparaisse, parce que les gens au pouvoir n’écoutaient pas leurs conseillers militaires ». Le coup d’Etat était aussi destiné, selon le général Tchiani, à « mettre fin à la mal gouvernance et à la dilapidation des deniers publics » par les dirigeants sous la présidence de Mohamed Bazoum. Difficile de plaider la cause d’un putschsur la base de tels soupçons dont l’appréciation est en principe soumise à la Justice et a fortiori auverdict des électeurs dans un Etat normalement constitué.
Par ailleurs, on pourrait y voir une inversion de la réalité, quand l’on sait que la lutte contre la corruption était devenue l’un des principaux objectifs du président Bazoum. Parmi les personnalités visées, le général Tchiani et certains de ses proches qui, au fil des années, se sont constitué un patrimoine particulièrement conséquent, jusqu’ici conservé à l’abri de tout soupçon. Toujours sur Télé Sahel, le général s’est étendu sur le turbulent chapitre des relations de son pays avec la France, au lendemain du départ forcé de l’ambassadeur Sylvain Itté, alors que se prépare le retrait des soldats français du Niger. Selon Abdourahamane Tchiani, « non seulement les Français n'ont pas chassé les terroristes mais les terroristes sont de plus en plus nombreux ».
La fabrique de fictions
Il est à tout le moins surprenant d’entendre ainsi le chef de la junte attribuer aux soldats français – placés sous commandement nigérien – l’exclusivité de la tâche et de la responsabilité de la lutte contre le terrorisme au Niger, tout en présentant avec une sidérante légèreté la France comme un « multiplicateur » de terroristes. Il semble que ce « modèle oratoire » ait été prestement emprunté à la junte voisine du Mali qui avait accusé en 2022, sans jamais en avoir apporté les preuves, la France d’armer, voire de générer des terroristes. Il faut bien constater que la junte nigérienne a elle aussi adopté cette fabrique de fictions devenue une marque identitaire des néo-putschistes du Sahel… Toutefois, le général Tchiani n’exclut pas une « reprise de notre coopération avec la France, etc'est le peuple souverain qui va dicter ces relations futures avec la France ». En attendant, il indique que son pays peut désormais compter sur de « nouveaux amis », sans plus de précision. Pour l’heure, les seuls alliés reconnus du Niger sont le Mali et le Burkina Faso, les trois pays ayant récemment scellé l’Alliance des Etats du Sahel (AES), une coalition de putschistes aux allures d’une entité dissidente ou d’un « front du refus » au sein de l’espace Cédéao.
On notera qu’au cours de ces entretiens télévisés, le général Tchiani n’a pas jugé utile de revenir sur l’accusation de « haute trahison » émise à l’encontre du président Bazoum le 15 août 2023. Une accusation effarante de la part d’auteurs d’un coup d’Etat – délit majeur, s’il en est – qui continuent à ce jour d’infliger au dirigeant nigérien un intolérable régime de séquestration. Le chef de la junte aura aussi évité les virulentes diatribes envers la Cédéao qui, après avoir annoncé l’option d’une intervention militaire dans le but de rétablir l’ordre constitutionnel à Niamey, fut, en août dernier, accusée de « préparer laguerre contre le peuple nigérien ». A présent, la junte se montre déterminée à instaurer une période de transition d’une durée de « trois ans, au plus ». Une transition informelle qu’aucune instance régionale et internationale ne semble disposée à reconnaître. A cet égard, le général Tchiani a tout de même jugé nécessaire de préciser que « nous n'avons pas le droit de passer cinq années au pouvoir, il faut être élu pour cela ».
Le bruit des bottes et la fureur des discours
Comment se déroulera cette transition ? Une fois passé le cap des arguments fallacieux, comment tenir les promesses des lendemains radieux et vertueux aux foules galvanisées par les slogans et les incantations opportunément inspirés des stratégies communicationnelles précédemment endossées par les putschistes du Mali et du Burkina Faso, et bruyamment promues par les activistes russolâtres de la place ? Au terme des agitations post-putschs, au Niger comme ailleurs, le projet politique des hommes en treillis qui se sont se sont emparés du pouvoir d’Etat, pourrait se réduire au bruit des bottes, à la fureur des discours, au vertige des impostures et des mensonges…
Tout en malmenant sans vergogne les concepts de souverainisme et de panafricanisme pour justifier un coup d’Etat, et en promettant d’apporter toutes les solutions de la Terre aux attentes légitimes despopulations, la junte nigérienne impose la loi des armes, convaincue d’avoir anéanti la menace d’une intervention armée de la Cédéao. Mais alors que cette dernière refuse toujours d’entériner ce « coup d’Etat de trop », le Niger s’installe peu à peu dans sa nouvelle situation de pays « paria » de la sous-région. Restée lettre morte, cette « exhortation » adressée aux militaires nigériens le 24 août dernier par la Commission de l’Union africaine « à placer les intérêts suprêmes du Niger au-dessus de tout, à retourner sans condition dans les casernes et se soumettre aux autorités civiles conformément à la Constitution. » Deux mois après le coup d’Etat « le plus injustifiable », et alors que l’on signale une alarmante dégradation de la situation sécuritaire dans le pays, à quoi ressemble la scène de crime ? À un invraisemblable gâchis.