NOS CŒURS SAIGNENT
Occupation anarchique de centenaire. Considéré à l’époque comme les Champs- Elysées de Dakar, le Boulevard du Général De Gaulle est défiguré par une balafre qui, si l’on n’y prend garde, va se transformer en une plaie béante au cœur de Dakar.
Considéré à l’époque comme les Champs- Elysées de Dakar, le Boulevard du Général De Gaulle est défiguré par une balafre qui, si l’on n’y prend garde, va se transformer en une plaie béante au cœur de Dakar.
Construit en 1959, le Boulevard du GDG est niché en plein cœur de Dakar avec à l’Est le quartier résidentiel de Gibraltar (à l’origine créé pour les hauts fonctionnaires), et à l’Ouest le quartier de la Médina qui fut le premier quartier indigène de la ville.
Depuis sa construction, cette artère accueille le défilé du 4 avril, jour de fête nationale. Chaque année, des milliers de Sénégalais s’empressent d’y suivre la parade civile et militaire. Centenaire est alors, sous la houlette de l’Armée, parée de ses plus beaux atours pour recevoir ses invités d’ici et d’ailleurs.
Plus connu sous le nom des « Allées du Centenaire », le Boulevard GDG faisait partie d’un plan d’urbanisation voulue par le Président Senghor qui entendait ainsi mettre en pratique une vision déjà pensée et dessinée par le colonisateur dès 1946. Celui-ci prévoyait une expansion jusqu’à Mbour et Thiès… Mais arrêtons de rêver et revenons à notre triste réalité.
Mor SOW, un résident, témoigne sur Sud Fm : « j’habite ce quartier depuis 1965, mais à mon grand regret, je constate impuissant la dégradation de ce quartier qui faisait la fierté de ses occupants. Nous ne reconnaissons plus notre quartier avec cette occupation anarchique par les commerçants gargotiers, gros porteurs, charrettes etc. Chacun en toute impunité s’installe. L’insécurité a pris ses marques ».
Ce cri de cœur est loin d’être isolé. La plaie s’est étendue aussi à Gibraltar 1 comme 2, et si rien n’est fait, ce sera Gibraltar 3.
Entre 1990 et 2000, les maisons situées sur les Allées du Centenaire ont commencé à accueillir les premiers commerçants chinois. Ceux-ci paient rubis sur ongle et à un prix défiant toute concurrence.
L’occasion faisant le larron, les grossistes chinois ont « créé » des détaillants qui ne se sont pas gênés pour s’installer à même les trottoirs et vendre leurs marchandises. La nature ayant horreur du vide, les propriétaires de « pousse-pousse », ces engins à deux roues prévus au transport des marchandises à la force du biceps, entrent en action et contribuent à l’étranglement de l’espace. Le « laisser-faire » et le « laisser-aller » des autorités compétentes faisant le lit de l’anarchie, des mannequins et des ballots vont sortir comme par enchantement pour mieux encombrer les trottoirs Après tout, « mbédou buur leu ! », littéralement la rue appartient à tout le monde, vous rétorqueront les plus enhardis !
Comme il faut des moyens de transports pour ce beau monde, les conducteurs de Tiak Tiak et de voitures dits « clandos », excusez du peu, décident un beau jour de créer des « garages » et aires de stationnement, en toute impunité. Le comble est que ce garage est placé juste au pied des policiers en charge de la circulation !
Parlant justement de circulation, sur le Boulevard Général De Gaulle nous assistons à un paradoxe qui n’existe que sous nos cieux. Inauguré en grandes pompes, il y a tout juste un mois (en Avril 2024) par les nouvelle autorités, le BRT (Bus Rapide Transit), un bijou de technologie et un diamant qui, dans son tronçon Allées Papa Guéye Fall– Centenaire) offre à ses passagers un spectacle de désordre, de bruit et d’insalubrité avec comme corollaire une insécurité avec les motocyclistes qui ne respectent aucun code de la circulation. Un autre danger qui guette.
RIVERAIN EN DANGER / RIVERAIN ETRANGER CHEZ LUI
Le visage de Centenaire et de Gibraltar est devenu désormais méconnaissable. C’est l’architecture même de ses quartiers qui a été transformée. D’abord par la plupart des propriétaires qui, à cause de la cherté du prix du loyer et certaines contingences familiales, transforment à leur gré l’habitat originel. Ensuite, les nouveaux propriétaires en majorité les occupants des magasins sur les Allées du Centenaire qui décident de résider à Gibraltar en transformant toutes ces maisons acquises en véritables forteresses, ce qui ajoute à son hideuse transformation Se déplacer à pied devient un parcours du combattant, il n’y a plus de trottoir, et se risquer à emprunter un bout de trottoir est lourd de conséquences. Des riverains ont été percutés par des motocyclistes alors qu’ils se trouvaient sur le trottoir, d’autres ont subi des menaces pour avoir voulu empêcher des gros porteurs de stationner devant chez eux pour transborder des marchandises.
Les plus jeunes n’ont pas la chance de pouvoir gambader dans leurs quartiers comme le faisaient leurs parents à cause de l’insécurité galopante. A part un terrain de sable qui sert de terrain de football à près de cinq quartiers (Centenaire Gibraltar 1, 2, 3 et la Médina), il n’existe aucun espace de loisirs pour des milliers de résidents. Et voilà qu’un beau jour, on annonce à ces anciens paisibles quartiers de Centenaire et Gibraltar l’installation par la mairie de toilettes publiques ! Raison invoquée, la construction d’un ilot de magasins qui a fini de transformer ces quartiers en véritables souks. Face à la farouche détermination d’un seul homme d’abord, Souleyname Sy, suivi aussitôt par la plupart des résidents conscients que la survie même de leurs quartiers est en jeu, les riverains font bloc. Cette détermination va payer avec l’arrêt par la DESCOS des travaux et par la décision de la municipale de mettre un terme à ce projet d’une autre époque. Après plus de vingt ans de silence face à la détérioration de leur environnement, les résidents se sentent envahis, étouffés et malmenés de toutes parts. Les sentiments les mieux partagés ont pour nom ; frustration, dégoût (l’insalubrité gagne du terrain avec les eaux usées laissées par les garrottes et les propriétaires de « pousse-pousse » qui dorment sur un lit de cartons à même leur engin) .
LES HABITANTS DE CES QUARTIERS DANS UN ELAN CITOYEN ONT DECIDE DE PRENDRE A BRAS-LE CORPS LE MAL.
Constitués en collectif qui ne se réclame d’aucune chapelle, les résidents ont décidé d’agir de concert pour s’indigner et contrer les autorités compétentes d’en face. En disant STOP à l’occupation anarchique de l’espace, STOP à l’insalubrité, STOP au stationnement des gros porteurs et au déchargement dans la rue des marchandises. STOP à la transformation des villas en hangar de stockage, en restaurants et autres supermarchés. L’alerte est lancée car le feu bouillonne tel un volcan en éruption. Les riverains sont déterminés à aller jusqu’au bout, tout en restant dans la légalité face eux vendeurs et connexes qui estiment qu’ils sont dans le cadre de leur gagne-pain dans un Sénégal où chacun est libre de vaquer à ses activités.
Le Sénégalais est un voisin pacifique, accueillant et très ouvert à l’autre, mais le plus pacifiste au monde ne saurait accepter d’être agressé. L’annonce par Monsieur le Président de la République d’une journée d’investissement humain pour assainir nos habitations sonne comme une réponse à l’appel au secours qui dure depuis plus de deux décennies. Cela en valait la peine. L’espoir est permis.
Par Tina DIOME - ECG