NOTRE EMBLEME DERACINÉ
Bientôt, le baobab ne sera plus que l’emblème fictif du Sénégal, abîmé et enserré dans une virtualité du fait de son abattage effréné. Désespérante perspective qui en dit long sur la totale absence de vision qui gangrène le pays.
Le Baobab, symbole emblématique inscrit dans les Armoiries de la République du Sénégal, a été placé au cœur du nouveau référentiel des politiques publiques. Dénommé « Vision Sénégal 2050 », ce nouveau cadre macro-économique est structuré autour de quatre axes fondamentaux devant à terme aboutir à la transformation systémique du pays, d’ici 25 ans. Seulement, aussi emblématique qu’il fût au Sénégal, le symbole du Baobab n’a cessé de s’effriter dans le temps. Pour diverses raisons que relevait déjà Calame, une publication de Sud Quotidien du 23 juillet 2020. Retour sur ces avatars qui ont jalonné la réalité de l’arbre-emblème, aujourd’hui « réhabilité » par le nouveau référentiel des politiques publiques édicté par le régime en place.
Bientôt, le baobab ne sera plus que l’emblème fictif du Sénégal, abîmé et enserré dans une virtualité du fait de son abattage effréné. Désespérante perspective qui en dit long sur la totale absence de vision qui gangrène le pays.
A Ndingler, des reportages ont montré des baobabs déboulonnés, arrachés de leur sol, mis à terre, dans une ambiance à fendre le cœur. A cette allure, bientôt, le baobab ne sera plus que l’emblème fictif du Sénégal, abîmé et enserré dans une virtualité du fait de son abattage effréné.
Désespérante perspective qui en dit long sur la totale absence de vision qui gangrène le pays. Une vision, c’est en effet une projection, un horizon. C’est un projet, une générosité qui englobe les générations à venir et s’inscrit par conséquent dans une trajectoire de bâtisseur d’avenir.
Vision aujourd’hui délaissée et fracassée au profit d’une immédiateté qui a comme point de mire la rentabilité à court terme. Quitte à brûler les étapes, à ruiner le futur, au profit d’un présent éphémère, délesté de toute ambition. Qu’il est loin l’époque du ravissement ! Jusqu’au début des années 80, à quelques encablures de Nguekokh, il y avait une forêt de baobabs qui invitaient au calme et à la tranquillité.
C’était un plaisir d’arpenter la route de Mbour, de se pâmer devant ces grands espaces qui donnaient à goûter les différentes nuances sahéliennes de baobabs drapés dans leur somptueuse majesté. Au rythme des saisons sèche et pluvieuse, dépouillés ou revêtus de leurs frondaisons, se laissant aller à des postures lascives, portés par des branches qui donnaient l’impression de bras bagués de verdure, s’affaissant vers le sol ou s’élevant vers le ciel. On les regardait, s’extasiant devant leurs troncs énormes, la tête fourmillant de légendes et d’histoires merveilleuses où se bousculaient des esprits et des djinns dotés de pouvoirs étranges. C’était à couper le souffle. 30 ans plus tard, la bêtise et l’ignorance sont passées par là, enveloppées dans leur pulsion destructrice.
Tout récemment du côté de Diass, la construction d’une usine de carreaux a occasionné la destruction d’une cinquantaine de baobabs alors que d’autres lotissements privés sont en cours de réalisation sur fond de désastre écologique. Abattus un à un, réduits à une portion lilliputienne, les baobabs sont ainsi bousculés. Et les voir, déracinés et terrassés, est simplement pathétique.
Pourtant, le code forestier dans son chapitre V classe l’Andansonia digitata (nom scientifique du baobab) parmi les espèces forestières partiellement protégées. Dans l’article R.61 du même chapitre, il est indiqué : «les espèces partiellement protégées ne peuvent être abattues, ébranchées ou arrachées sauf autorisation préalable du Service des Eaux et Forêts». Cette condition administrative a-t-elle été remplie? Le ministère en charge doit impérativement nous renseigner.
En tout état de cause, le baobab, arbre protecteur et bienfaiteur, est présent depuis les temps immémoriaux dans nos rituels de vie et de mort. Si caractéristique de la savane sénégalaise, cet arbre emblématique qui taquine l’éternité avec ses mille ans de vie possible a tout pour lui.
Arbre-pharmacie, arbre-totem, les fruits oblongs qu’ils portent gracieusement, suspendus comme des jouets sont fortement appréciés par les hommes. Il est une ressource pour les populations autochtones ou pas. Rien n’est perdu dans le baobab. Ses feuilles riches en protéines sont utilisées en cuisine. Séchées et réduites en poudre, elles sont un liant dans le couscous, le rendant ainsi plus digeste. Elles sont également données en pâture au bétail. Le baobab est également un habitat pour un grand nombre d’animaux, et les singes ont fini d’y imprimer leurs marques, au point que ses fruits sont appelés pains de singe.
Outre d’être une composante essentielle et particulièrement prisée dans nos fameux ngalax, le « bouye », de son appellation locale, est particulièrement riche en éléments nutritifs. Il contient six fois plus de vitamines C qu’une orange, deux fois plus de calcium que le lait, et une quantité importante de phosphore (six fois plus qu’une banane) et de fer, sans compter les antioxydants. Le bouye est consommé en jus mais aussi sous forme de sirop, de glace, de confiture, de bonbons, gâteaux sucrés et de complément alimentaire. Utilisé à des fins médicinales, il agit aussi sur le transit intestinal.
Excellent anti-diarrhéique, prisé dans de nombreuses familles, il a aussi un effet pansement qui favorise la régularité des selles et évite la constipation. Particulièrement indiqué en cas de problèmes infectieux, de grippe, sans gluten, très peu allergisant, le « bouye » n’a pas de contre-indication. Ses graines, très riches en oligoéléments et vitamines, sont utilisées, après pressage à froid, pour une huile dite «de baobab», nourrissante, adoucissante, réparatrice, hydratante pour l’entretien de peau et des cheveux, dont elle favorise la croissance.
Torréfiées, mélangées au « diar » (aromatisant), elles sont connues pour leurs propriétés anti-microbiennes, efficaces contre la grippe, les bronchites ou la dysenterie. Certains en font une boisson chaude qui s’apparente au café. Le baobab a mille et une facettes. Son bois spongieux retient l’eau.
Son écorce sert à confectionner des cordes. Tout en lui est grâce. Mais le monde dans lequel nous vivons en ce moment, complétement perturbé par l’urgence de l’argent à accumuler au détriment de toute autre considération, a cadenassé ses émotions, se détournant du rythme des saisons, du silence des grands espaces pour le bruit assourdissant de la jouissance immédiate. Course effrénée et aveuglante qui fait basculer dans une cécité qui empêche de voir tous les bienfaits que l’on peut retirer de cet arbre iconique. Et pourtant, cela fait une dizaine d’années que le baobab et ses dérivés ont reçu l’autorisation d’être commercialisés sur le marché européen et américain.
Grâce à ses vertus d’antioxydants, de nutriments, de potassium, de phosphore, de niveau élevé de vitamine C (7 fois plus riche qu’une orange), de calcium et de fibres (9 fois plus que les pruneaux séchés), son usage a connu un bel essor. On aurait pu s’attendre à ce que le fruit du baobab, emblème du Sénégal, soit une source de revenus substantiels pour le pays.
En plus de participer à l’effort de sécurité et d’autonomie alimentaire, il peut jouer un rôle important dans la santé des populations tout en permettant des rentrées de devises importantes grâce à l’exportation. Au lieu de cela, il est réduit à de l’or blanc que l’on piétine avec une insolence et une irresponsabilité désarçonnâtes.
Au moment où la pandémie de Covid-19 nous oblige à revoir nos modèles en nous recentrant sur nous-mêmes, rappelant ainsi que l’indépendance à un prix. Compter sur soi pour se nourrir, se soigner, s’éduquer. Compter sur soi pour pouvoir aller à la rencontre des autres et à la conquête du monde.
Calame
Publication Sud Quotidien du 23/07/2020