POUR L’AFRIQUE, COMPTER SUR SOI-MEME
Pressentant la guerre commerciale qui se préparait, c’est le message du secrétaire américain au Trésor, Scott Bessent, dans la foulée de l’annonce, par le Président américain Donald Trump, d’une série de nouveaux tarifs douaniers le 2 avril

«Tout le monde s’assoit, respire profondément, ne riposte pas immédiatement, voyons où cela nous mène.» Pressentant la guerre commerciale qui se préparait, c’est le message du secrétaire américain au Trésor, Scott Bessent, dans la foulée de l’annonce, par le Président américain Donald Trump, d’une série de nouveaux tarifs douaniers le 2 avril.
La fin de 50 ans de mondialisation
Par cette annonce, le Président Donald Trump a mis fin à 80 ans de mondialisation. Ce «jour de libération» pour les Etats-Unis a été un choc pour les pays concernés. Mais alors que la Maison Blanche s’apprête à imposer des droits de douane de 10% à tous les partenaires commerciaux des Etats-Unis, et jusqu’à 50% à une soixantaine de pays, cette annonce n’aurait pourtant dû surprendre personne. On se souvient qu’à Davos, en janvier dernier, il avait clairement annoncé la couleur, devant les participants du Forum économique mondial : «Si vous ne fabriquez pas votre produit en Amérique, ce qui est votre droit, alors, très simplement, vous devrez payer un tarif -des montants différents, mais un tarif- qui dirigera des centaines de milliards de dollars et même des milliards de milliards de dollars vers notre Trésor pour renforcer notre économie et rembourser la dette.»
Les alliés, premiers touchés
Désormais, personne n’est épargné, surtout pas les alliés européens et Israël qui, se voyant respectivement appliquer des taux de 20 et 17%, ont protesté. Des pays comme la Suisse, qui avaient renoncé à taxer les produits américains, ont subi un sort encore plus terrible (31%). Toujours à l’offensive depuis que les Etats-Unis ont promis d’en faire le 51e Etat américain, le Canada, par la voix de son Premier ministre Mark Carney, a tonné : «L’économie mondiale est fondamentalement différente aujourd’hui de ce qu’elle était hier… Le système de commerce mondial ancré sur les Etats-Unis... est terminé. Notre ancienne relation d’intégration de plus en plus profonde avec les Etats-Unis est terminée. La période de 80 ans où les Etats-Unis ont adopté le manteau du leadership économique mondial, où ils ont forgé des alliances fondées sur la confiance et le respect mutuel... est terminé.»
America first
Insensible aux protestations et aux critiques de la plupart des économistes qui voient en ces droits de douane une source d’inflation et de récession, Donald Trump a livré les raisons de cette révolution commerciale dont il a reconnu qu’elle sera douloureuse à court terme pour les consommateurs américains. Il parie qu’à terme, ces derniers y gagneront. Il voit dans ces tarifs douaniers, un moyen de corriger les déséquilibres du système commercial mondial -en 2024, les Etats-Unis ont enregistré un déficit commercial de 918 milliards de dollars, en hausse de 17% par rapport à l’année précédente- et d’obliger les multinationales à rapatrier leurs activités aux Etats-Unis où ils créeront des emplois nécessaires à la réindustrialisation du pays. Pour lui, c’est une question d’«urgence nationale qui menace notre sécurité et notre mode de vie». N’oublions pas que ces nouvelles annonces tarifaires ont ravi les syndicats de travailleurs américains où se recrutent beaucoup d’électeurs trumpistes. Selon les estimations de Peter Navarro, principal conseiller commercial de la Maison Blanche, ces mesures pourraient générer des revenus annuels allant jusqu’à 600 milliards de dollars, un pactole qui permettra de baisser les impôts des citoyens américains.
Dans le monde, les réactions, diverses, ne se sont pas fait attendre, entre la France qui demandé à ses entreprises de suspendre tout investissement aux Etats-Unis et la Chine qui a décidé d’appliquer 34% de tarifs douaniers aux importations américaines.
La fin de l’Agoa
De nombreux pays africains ont bien sûr été touchés. Le Kenya, le Ghana, la Tanzanie et le Sénégal se verront ainsi appliquer des droits de douane de référence de 10% pour les importations. Certains souffriront néanmoins plus que d’autres, comme le Lesotho, petit pays enclavé, avec 50%, le taux le plus élevé parmi les pays ciblés, ainsi que Madagascar et Maurice, pays exportateurs de textile vers les EtatsUnis. Trois pays africains ont été épargnés : la Somalie, les Seychelles et le Burkina Faso. En conséquence, beaucoup considèrent que l’Agoa (African Growth and Opportunity Act) est mort. Il devrait expirer en septembre, si le Congrès ne le renouvelle pas. L’Agoa est le programme commercial préférentiel américain qui a permis, depuis 25 ans, à 32 pays d’Afrique subsaharienne d’exporter en franchise de droits de douane vers les Etats-Unis sur environ 7000 produits. En 2024, les pays africains ont exporté pour environ 8 milliards de dollars de marchandises vers les Etats-Unis dans ce cadre. L’Afrique du Sud, le Nigeria et Madagascar en ont été les premiers bénéficiaires.
Pas nécessairement une mauvaise nouvelle
Pourtant, comme pour l’Usaid, la fin de l’Agoa n’est pas nécessairement la catastrophe annoncée pour l’Afrique. D’abord, il n’est pas malsain de ne plus dépendre de tous ces dispositifs, soumis au bon vouloir des agendas électoraux extérieurs. Si les Africains veulent reprendre leur destin en main comme la demande de souverainisme des nouvelles générations l’exprime, il est indispensable de s’en libérer et de trouver en Afrique même les ressources de leur prospérité. Ensuite, l’impact de ces mesures tarifaires sera certainement limité en Afrique, en raison des nombreuses exemptions sur les ressources naturelles telles que le pétrole et l’or, qui constituent une grande partie des exportations africaines vers les Etats-Unis et, pour le reste, en raison de la relative faiblesse des relations commerciales entre les Etats-Unis et les pays africains : selon les données du Bureau du Trade Representative des EtatsUnis, les exportations africaines totales -y compris Agoa- de biens américains vers les Etats-Unis s’élevaient à moins de 40 milliards de dollars, soit trois fois moins que les exportations vers la Chine. Il n’empêche, comme le reste du monde, les Africains se trouvent confrontés à la nécessité de réévaluer leur relation commerciale avec les Etats-Unis. Deux options s’offrent à eux.
Deux options
A l’image de la cinquantaine de pays dans le monde qui, selon le conseiller Navarro, ont déjà pris contact avec la Maison Blanche, la première option consisterait à se précipiter à Washington pour négocier pour chaque pays, chaque produit. Sous l’effet de la panique que ne justifie même pas le niveau relativement faible de ses échanges avec les Etats-Unis, l’Afrique présenterait un visage de désunion avec une vision court-termiste. Puisque la diversification de leurs partenariats économiques est déjà actée depuis vingt ans, la seconde option supposerait de revoir collectivement leur stratégie commerciale en accélérant leur intégration économique avec leur propre Zone de libre-échange africaine, comme le relève Dr Frannie Leautier, senior fellow à Atlantic Council. Dans un cas, ils s’appuieraient sur les Etats-Unis. Dans l’autre cas, ils ne compteraient que sur eux-mêmes ! Alors que dans deux semaines, s’ouvrent, à Washington, les Assemblées de printemps de la Banque mondiale et du Fmi, on espère pour l’Afrique qu’elle fera, cette fois, le bon choix.