POUR UN VRAI PROJET D’ÉCOLE
EXCLUSIF SENEPLUS #SilenceDuTemps – On sent l’angoisse de ces jeunes qui se demandent ce que vaudra cette d’année sous Covid. Cette période, et nous devons leur faire comprendre, ne doit pas être source de relâchement mais de dépassement
Jour 17
#SilenceDuTemps - À Gorée, le confinement est de fait depuis trois semaines, ne rentrent dans l’île que ceux qui y habitent. La situation est sous contrôle si on peut dire car faisant preuve depuis le début d’une grande vigilance. L’île s’est construite en se protégeant des intempéries avec ses barrières de pierres, les maisons se sont construites autour d’un cœur de patio et/ou jardin protégeant la vie de ses habitants, malgré le vis-à-vis des façades extérieures.
Elle jouit de sa réputation légendaire qui fait dire « ouvrir une bouteille de champagne à la goréenne », suggérant par là sans que personne à l’extérieur ne l’entende.
Bref, Gorée pourrait être un bel échantillon pour repousser les limites de ce virus, et si le pays en avait les moyens un bon terrain pour pratiquer les tests à l’ensemble de la population.
Mais à défaut, l’équiper entièrement de masques. Ce que nous allons tenter, question de renforcer les gestes barrière et ne pas arriver à la situation où on dira : « tousser/éternuer à la goréenne ! »
Mon amie Tiatiaka qui très tôt le matin a l’oreille vissée à la radio en entend des vertes et des pas mûres. Ce matin, un (faux) marabout à propos de la Covid semblait très au courant : « puisque le virus touche plus les femmes que les hommes alors djigeen dafa woro’nn tog’ keurgui ! » Mana, les femmes çà doit rester à la maison…
Le fou ! Il n’a pas l’air de voir autour de lui que sans les femmes très peu de DQ (dépense quotidienne).
Et des sornettes pareilles, il y en a plein, semble-t-il le matin surtout, mais pas seulement le matin. On a eu droit il y a très peu de temps à un vrai-faux médecin qui s’est payé plusieurs plateaux de TV … En donnant la parole à n’importe qui, la presse se nuit à elle-même.
J’ai fait ma sortie de la semaine pour la préparation du repas de Pâques qui sera réduit à sa plus simple expression. Je suis allée chercher les ingrédients pour accompagner les cuisses de canard de la mère Mich’.
Bien masquée, j’ai enfin vu comment mettre ce masque dans le bon sens. Me voilà dans les rues de Dakar, toujours et encore avec ses marchands ambulants, ses commerçants sur le pas de leur porte et des gens comme moi je suppose, qui vont et qui viennent pour ceci, pour cela.
Plus nombreux sont ceux qui maintenant portent un masque, geste appréciable. Mais pour réussir à respecter la distanciation sociale, il m’a fallu faire un véritable gymkhana, allant de gauche à droite et je me suis même retrouvée souvent au milieu de la chaussée quand devant moi, les trottoirs et bords de chaussée trop encombrés.
Cette fois-ci je me suis passée du chariot du magasin et j’ai mis mes achats directement dans mon propre panier. « S’il y a des caméras peut-être penseront-ils que je suis en train de chaparder des marchandises ! » À la caisse, j’ai ouvert grand et présenté mon panier vidé à la caissière et j’ai bien compris qu’elle était sur un autre nuage que le mien.
Il y a une dizaine de jours, un de mes immeubles voisins que je vois bien depuis mon poste de travail a changé de couleur. Le seul immeuble de ce gabarit-là, R+2 coincé entre 2/3 immeubles de 5 à 8 étages. Il est à l’angle de deux rues, au rez-de-chaussée de la pharmacie, avec des murs revêtus de grands carreaux beiges et les autres niveaux sont maintenant peints en … noir ! De loin, j’aime bien. Cela est vraiment étrange à Dakar, peut-être le seul à être ainsi d’ailleurs ; je serai curieuse de savoir ce qui a guidé le propriétaire et surtout comment réagissent entourage et passants ; mais au fait, l’ont-ils même remarqué ?
Jour 18
Aujourd’hui, vendredi saint pour certains, mais pour tous c’est « ngalax ». Les curés avaient demandé puisque le pays est en crise, d’éviter ce ballet de bouteilles allant des maisons des catholiques vers celles de leurs parents, voisins, amis … de toute autre religion… hum ! Même le journal TV du soir en a fait un élément assez long.
Et cette blague sur les réseaux sociaux d’une bonne dame qui menace depuis une semaine les faiseurs de « ngalax ». Covid ou pas, elle veut le sien ! À mourir de rire. D’ailleurs, je ne me suis pas gênée de la partager, cette vidéo avec mon curé préféré et lui de me répondre d’un anodin SMS : « c’est quoi la suite ? »
J’ai fait le mort 3/4 jours puis je l’appelle avant hier et avant même de ne pouvoir lui dire « bonjour », il m’interpelle : « en tout cas, j’attends mon ngalax » ! c’est un grand plaisantin.
Adeye Ababa la plus catho’ d’entre nous a fait livrer dans toutes nos maisons une bouteille remplie de ngalax dans la pure tradition de Mamina, comme le fait remarquer Mamilou et dans le respect du geste barrière ; elle ne sera pas la seule à avoir transgressé … LOL
Qui peut me dire combien de temps durant une journée son attention est totalement déconnectée de cette terrible actualité ? Ceux-là ne seront pas nombreux hélas. Notre parisien de fils lui décide de ne plus écouter ni regarder la TV…, et pourtant quand tous les jours nous échangeons longuement, c’est toujours autour de cette actualité-là qu’il nous entraîne ! « dax’i covid daal… dafa metti ! »
Difficile de lui tourner le dos à cette actualité, il faut donc l’apprivoiser, la contourner, la caresser non pas dans le sens de son poil, mais du nôtre et à chacun sa mesure, ne pas la subir surtout.
J’ai passé beaucoup d’heures avec les étudiants sur Skype en réunion. C’est fastidieux et en même temps stimulant ; derrière l’écran on sent l’angoisse de ces jeunes-là qui se demandent ce que vaudra cette d’année, Licence, Master ? Il faut donner le meilleur de soi, sévère, et en même temps lâcher du lest sur les retards et pas trop par exemple, mais pas sur la qualité, la rigueur. Cette période, et nous devons leur faire comprendre, ne doit pas être source de relâchement, mais de dépassement. Certains sont encore des gamins en manque de maturité. J’ai la mauvaise manie de vouloir les materner, mes chers confrères « rectifient » quand je pousse un peu trop ! Je n’ai pas vraiment la fibre de l’enseignant, mais les résultats sont palpables et cela est gratifiant.
Cette période doit nous faire accoucher d’un vrai projet d’école, qui couve de toute façon depuis quelque temps.
Épuisée vous ai-je dit par ces longues séances de Skype-cours et rêvant de me vautrer dans mon canapé anti-C.
Mais une petite voix est venue me réveiller de mon rêve. Vous devinez que Djélika est là, finie la fatigue. Nous avons passé un grand moment de l’après-midi avec le Papi Viou, deux neuneus de grands-parents à jouer, chanter, danser, courant après pigeons et lézards sur la terrasse … bref le bonheur !
Réactions,
Corrections,
Suggestions
J’entends et apprécie toutes les observations faites à mes posts que je vous impose !
Merci.
Annie Jouga est architecte, élue à l’île de Gorée et à la ville de Dakar, administrateur et enseignante au collège universitaire d’architecture de Dakar. Annie Jouga a créé en 2008 avec deux collègues architectes, le collège universitaire d’Architecture de Dakar dont elle est administratrice.
Épisode 1 : AINSI COMMENÇAIENT LES PREMIERS JOURS CORONÉS
Épisode 2 : AVEC LA BÉNÉDICTION DE FRANÇOIS, LE PAPE LE PLUS AVANT-GARDISTE
Épisode 3 : SOCIALISER EN TEMPS DE COVID
Épisode 4 : PREMIÈRE SORTIE EN PLEIN COVID
Épisode 5 : SOUVENIRS DES INDÉPENDANCES