POURQUOI DEVONS-NOUS FORCER LE PRÉSIDENT MACKY SALL À REDEVENIR LIBRE
EXCLUSIF SENEPLUS - Le sens commun et certains dictionnaires généralistes ont pris l’habitude de définir la liberté comme l’absence de contrainte. Mais, autant dire tout de suite qu’il n’en est rien. Selon moi, la liberté est la seconde âme de l'humain
Le sens commun et certains dictionnaires généralistes ont pris l’habitude de définir la liberté comme l’absence de contrainte. Mais, autant dire tout de suite qu’il n’en est rien. Selon moi, la liberté est la seconde âme de l'humain. C'est ce qui fait qu'on peut le condamner ou le porter aux nues, le punir ou le récompenser... Quiconque perd cette liberté, on ne peut plus lui demander légitimement des comptes, il redevient comme l'enfant ou même l'animal. C'est uniquement grâce à elle qu'il est imputable et qu'on peut le mettre sur le banc des accusés. Une personne dont la liberté n'est pas attestée ne saurait être justement condamnée, lorsqu’elle pose des actes répréhensibles. Point d'enfer ni de paradis sans liberté ! Perdre sa liberté, c’est perdre sa responsabilité !
À ce sujet, Jean-Jacques Rousseau nous rappelle que la liberté ne saurait se confondre avec l’indépendance. En effet, une posture sous-jacente à l’indépendance est de considérer que les personnes indépendantes les unes des autres peuvent faire ce qu’elles veulent. Or, dit Rousseau : « Quand chacun fait ce qu’il lui plaît, on fait souvent ce qui déplaît à d’autres, et cela ne s’appelle pas un état libre[1]. » En quoi consiste alors la liberté ?
Selon Rousseau : « La liberté consiste moins à agir selon sa volonté qu’à n’être pas soumis à celle d’autrui ; elle consiste encore à ne pas soumettre la volonté d’autrui à la nôtre. » Ce qui signifie que je reste libre tant et aussi longtemps que ma volonté n’est soumise à aucune autre volonté et que ma volonté ne soumet aucune autre volonté. Si telle est la liberté du citoyen, qu’en est-il de la liberté du Maître ?
La réponse de Rousseau à cette question est sans appel : « Quiconque est maître ne peut être libre, et régner c’est obéir. » Le secret du commandement est dans la servitude et l’abandon de soi au profit exclusif de sa communauté. Ce fut le cas de l’empereur du Ier siècle, Othon, qui pour éviter de plonger son empire dans une guerre civile, a préféré mettre fin à ses jours. C'est ainsi que le 16 avril 69, il se suicida après avoir déclaré, d’après l’Histoire romaine de Dion Cassius : « Je vais me libérer afin que tous (sic) puissent apprendre de l'événement que vous avez choisi pour votre empereur celui qui ne vous abandonna pas pour se sauver lui-même, mais choisit plutôt de s'abandonner pour vous sauver[2]. »
Concernant la mort de cet empereur, Suétone nous dit ceci : « Othon décida de se suicider. Il est plus probable que sa conscience l'empêcha de continuer à risquer des vies et des trésors dans une quête à la souveraineté que penser que ses hommes étaient devenus démoralisés et peu fiables... » Ses hommes, cependant, lui restèrent fidèles, même dans la mort. « Plusieurs soldats se rendirent sur son lit de mort où ils lui baisèrent les mains et les pieds, le louant comme l'homme le plus courageux qu'ils aient jamais connu, et le meilleur empereur que l'on puisse imaginer[3]... »
Bien entendu, personne ne demande au président Macky Sall de se suicider, mais simplement de faire la seule chose qui fait de nous des sénégalais libres et dignes : obéir aux lois que nous nous sommes collégialement fixées et auxquelles nous avons décidé de nous soumettre tant qu’elles seront en vigueur.
Selon le théoricien du Contrat social, il n’y a de volonté vraiment libre que celle à laquelle nul n’a le droit d’opposer de la résistance. « Dans la liberté commune, nul n’a le droit de faire ce que la liberté d’un autre lui interdit, et la vraie liberté n’est jamais destructive d’elle-même. Ainsi la liberté sans la justice est une véritable contradiction ; car comme qu’on s’y prenne tout gêne dans l’exécution d’une volonté désordonnée[4]. » Puisque la liberté est impossible sans la justice et qu’aux fondements de cette justice il n’y a pas n’importe quelles lois, mais des lois justes. C’est pourquoi : « Il n’y a donc point de liberté sans Lois, ni où quelqu’un est au-dessus des Lois : dans l’état même de nature, l’homme n’est libre qu’à la faveur de la Loi naturelle qui commande à tous. »
En définitive, si les Sénégalais restent libres, c’est parce qu’ils ne servent ni le président Macky Sall ni aucune autorité autre que la Loi qui est au-dessus de tous et que personne ne peut surplomber ou mettre sous son coude. Ce qu’il faut que le Président et ses alliés sachent pour de bon, c’est qu’« Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas ; il a des chefs et non pas des maîtres ; il obéit aux Lois, mais il n’obéit qu’aux Lois et c’est par la force des Lois qu’il n’obéit pas aux hommes. (….). Un peuple est libre, quelque forme qu’ait son Gouvernement, quand dans celui qui gouverne il ne voit point l’homme, mais l’organe de la loi[5]. »
Si le président de la République et ses acolytes refusent d’être libres, malgré tout, nous, en tant que peuple et partie prenante du contrat initial qui nous lie les uns aux autres, devons, par pure générosité citoyenne, les forcer à rester libres en usant de tous les moyens prévus par la Loi et particulièrement notre Loi fondamentale, la Constitution de la République sénégalaise. Rousseau ne dit rien d’autre lorsqu’il affirme que :
Afin donc que le pacte social ne soit pas un vain formulaire, il renferme tacitement cet engagement qui seul peut donner de la force aux autres, que quiconque refusera d’obéir à la volonté générale y sera contraint par tout le corps : ce qui ne signifie autre chose sinon qu’on le forcera à être libre ; car telle est la condition qui donnant chaque citoyen à la patrie le garantit de toute dépendance personnelle ; condition qui fait l’artifice et le jeu de la machine politique, et qui seule rend légitimes les engagements civils, lesquels sans cela seraient absurdes, tyranniques, et sujets aux plus énormes abus.
Jean-Jacques Rousseau (2001), Du contrat social ou principes du droit politique, Éditions Mozambook, p. 27
Seriñ Tuuba ne : « Kuy def lu ko neex, dina daje ak lu ko naqari ta du ko mën a faj. » Seriñ Saam Mbay yokku si ne : « Ku la yàqal sa adduna, nga yàqal ko alaaxiraam. »
[1] Rousseau, Jean-Jacques, Lettres écrites de la Montagne. In Œuvres, Tome II, Bibliothèques de la Pléiade, Ed. Gallimard, p. 841
[2] https://www.worldhistory.org/trans/fr/1-10436/othon/
[3] https://www.worldhistory.org/trans/fr/1-10436/othon/
[4] Rousseau, Jean-Jacques, Lettres écrites de la Montagne. In Œuvres, Tome II, Bibliothèques de la Pléiade, Ed. Gallimard, p. 841
[5] Rousseau, Jean-Jacques, Lettres écrites de la Montagne. In Œuvres, Tome II, Bibliothèques de la Pléiade, Ed. Gallimard, p. 841
Thierno Guèye est Docteur en Philosophie et M.A. en Science politique, Enseignant-chercheur/Formateur à la FASTEF [U.CAD], syndicaliste/Membre du Collectif des Universitaires pour la Démocratie [CUD]. Auteur et co-auteur du Manuel de Philosophie : Cours et textes pour apprendre à philosopher, présenté au public en janvier 2024.
[1] Rousseau, Jean-Jacques, Lettres écrites de la Montagne. In Œuvres, Tome II, Bibliothèques de la Pléiade, Ed. Gallimard, p. 841
[2] https://www.worldhistory.org/trans/fr/1-10436/othon/
[3] https://www.worldhistory.org/trans/fr/1-10436/othon/
[4] Rousseau, Jean-Jacques, Lettres écrites de la Montagne. In Œuvres, Tome II, Bibliothèques de la Pléiade, Ed. Gallimard, p. 841
[5] Rousseau, Jean-Jacques, Lettres écrites de la Montagne. In Œuvres, Tome II, Bibliothèques de la Pléiade, Ed. Gallimard, p. 841