PRIÈRE D’UN ENFANT TALIBÉ
Un sort scellé. Un destin brisé. Une vie en lambeaux. Une grande déchirure. Conscience violée. Je ne suis qu’un objet qui vole au gré du vent. Aucun regard. Aucun amour. Aucune haine même. Parce que je suis inexistant
Ô mon Dieu, pourquoi suis-je destiné à être cet être que tout le monde balaie du regard dans les rues ? Et surtout dans les rues de Dakar, où nous pullulons tels des rats d’égout. Ô bon Dieu, pourquoi tant de pitié envers l’être que je suis ? Pourquoi un tel évitement du regard des gens ? L’on me fuit et me poursuit. Je suis une proie facile. L’on me viole du regard. Toujours à la recherche de la pitance. En guenilles. La main tendue et dans le froid. Je grelotte. Je pleure. En effet, la pitié se lit sur le visage de bon nombre de passants. Je suis très fatigué, bon Dieu. Je pense à mes parents qui, emportés par une irresponsabilité sourde et faute de moyens voire d’une crise économique aigüe, m’ont abandonné dans les bras de quelqu’un qui se fait passer pour un maître coranique. Alors qu’il est un faux dévot. Ô Dieu, pourquoi cette vie de chien ? Même un chien a une vie plus confortable que la mienne. Personne, je pèse et soupèse mes mots, ne m’aime ! Aucun regard. Aucun amour. Aucune haine même. Parce que je suis inexistant. L’on fait semblant de me voir mais je suis invisible. Je ne compte pour personne. Ce qui importe pour mon maître coranique, c’est ce que je rapporte tous les soirs, à la fin d’une journée de marathon et de dur labeur. Seule la pitance l’intéresse. Ô sacrilège ! Ô désespoir ! Mon Dieu, pardonne à mes parents, à mon maître censé m’apprendre le Coran et à l’Etat parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font !
L’irresponsabilité de mes parents
Je devais être un élève ou disciple apprenant le Coran. Tels sont mes dessein et destin. Que nenni. Le maître coranique, à la voix mielleuse, habillé de jolis atours et d’un boubou blanc, fit croire à mes pauvres parents que j’étais destiné à l’apprentissage du Coran. En effet, il m’enleva de la tendresse familiale et fit de moi son esclave. Un destin brisé auquel je fais face tous les jours. Et pourtant, j’étais un bon élève avant que l’on m’arrachât à l’affection de mes parents. L’on me prédit un bel avenir mais mes parents n’y avaient peu ou pas cru. L’occasion s’offrit et l’on m’offrit à ce charlatan des mots. Ce charlatan qui fait du Coran son fonds de commerce. Je ne puis croire que c’est mon destin mais en l’alchimie de la condescendance et de la bonne parole qui a germé dans certains esprits malsains. En effet, le mot talibé découle du mot apprenti. Celui qui veut apprendre et a une soif de connaissance. C’est ce qu’on dit à mes parents que je ne condamne pas. Ils sont ce qu’ils sont. Et moi, l’objet de leur désir. Un être ne devant pas avoir droit au chapitre. Un être calfeutré dans un silence assourdissant et la mort dans l’âme. C’est fort de café ce que je veux dire : j’ai été vendu comme un vilain esclave.
Mon maître coranique
Ô mon maître ! Lui-là, je le condamne fermement ! Il fit de moi ce qu’il voulut que je fusse. C’est-à-dire son objet. Sa chose. Son jouet. M’a-t-il appris quelque chose ? En effet, il a mis dans mon crâne, embué de contre-vérités, que quelques versets du livre saint. Lui-là, c’est faites ce que je dis mais ne dites pas ce que je fais. La chicotte est sa communication. Il est très économe de parole. Un sacré artiste, celui-là ! Et que dire de l’heure de la prière, il n’en fait pas trop son affaire. Pour lui, cela le dérange à tel point qu’il préfère aller dormir. Un de ses jeux favoris, c’est de nous réveiller en nous versant des sceaux d’eau froide sur le visage. Et tout en nous répétant d’aller à la quête de la pitance et de nous exiger le montant que nous devions ramener à la maison. A défaut de somme exigée, la chicotte fera sa mue. En rire ou en pleurer ? Telle est la vie dans la plupart des daras de ce Sénégal-là. Et moi, qu’est-ce que j’ai fait pour mériter cette chienne de vie ? Je ne peux le dire. J’ai du mal à trouver les mots parce qu’ils n’arrivent pas à sortir de ma gorge profonde. Un sort scellé. Un destin brisé. Une vie en lambeaux. Une grande déchirure. Conscience violée. Je ne suis qu’un objet qui vole au gré du vent.
Le rôle de l’Etat
L’Etat sénégalais dans toute sa splendeur. Cet Etat dans toute sa providence. Cet Etat protecteur. Qu’a-t-il fait pour parer à cette décrépitude de la société ? Une sans loi et encore moins investie dans l’amour du prochain. Rien et tout dans le vent ! Alors autant vaut la parole publique ? Elle n’est plus sacrée et surtout au Sénégal. Ce pays a failli à une de ses missions premières. Celle de protéger ses propres enfants. Mais à l’heure actuelle, l’on assiste à une résurgence de ce phénomène social. La pauvreté à tous les étages. A chaque coin, il existe des moi et des moi, en loques, la morve au nez, le visage si triste à réveiller un mort, et tendant la main et ne sachant même pas réciter un verset du Coran. Il est des moments où l’Etat semble oublier ce qui fait sa force de demain, sa jeunesse. Cette richesse qui coule de source que nous envie la vieille Europe. L’Etat, les talibés et la responsabilité des hommes ? Une drôle d‘histoire menée de main de maître par certains lobbys tapis à l’ombre. Et chacun y trouvant son compte. Mais bon Dieu, fais que ma situation change ! Me demande si je pourrais tenir face à cette dangereuse cavalcade parce que je suis las de vivre ainsi. Vivement que la vieille faucheuse vienne m’emporter et autant en emporte l’enfant talibé que je suis ! Né pour souffrir. Né pour ne plus compter dans ce bas-monde happé par la décadence d’une société. L’on parle in fine de Sénégal-50 et de son Agenda national de transformation, l’ère du président Diomaye Faye et de son Premier ministre Ousmane Sonko. De zéro talibé dans les rues de Dakar et dans les grandes villes du Sénégal. Vivement la repentance de tous les acteurs ! Vivement que demain soit aujourd’hui. Vivement la fin de ce calvaire tuant à petit feu la société d’où pourrait surgir un jour une violente révolte embrasant tout sur son chemin. A ma muse doublée d’un bel esprit d’une matinée sur fond d’une conversation succulente posée sur les deux bords de la Méditerranée que t’est destinée cette supplique de l’enfant talibé pour réveiller le catharsis sommeillant en nous.