PROPOSITION POUR LA CRÉATION, DANS LE PROJET, D’UN INDICE NATIONAL COMPOSITE POUR LA MESURE DU PROGRÈS ÉCONOMIQUE AU SÉNÉGAL
Ce "Teranga Index" ou "Diomaye Index" ambitionne de capturer la réalité multidimensionnelle du développement sénégalais, englobant le bien-être des citoyens, la cohésion sociale et la vitalité des territoires
Le Projet du président Diomaye Faye est attendu dans une certaine fièvre par le peuple sénégalais. Il devra porter en lui la tenue (ou non) des nombreuses promesses électorales pour l’amélioration de la vie des populations, le respect de l’environnement, et la bonne gouvernance. Mais aucun projet politique ne sera efficace sans les bons indicateurs d’évaluation et de suivi, et ce selon un maillage territorial et urbain. Je propose, dans le cadre du prochain référentiel de politiques publiques qui composera le Projet, la création d’un indice économique national composite, qui pourrait s’appeler “Teranga Index”, “Diomaye Index”, ou comme le prototype que je développe, “Ngom Index”, qui va au-delà du PIB, et qui s’appliquera aussi localement. Un tel Index permettra une connaissance plus fine du progrès économique et social au Sénégal, tout en mettant l’humain, les territoires et le monde vivant au coeur des priorités. Cela permettra également un financement du développement local plus efficace et une coopération internationale maitrisée. Les individus vivent dans des villes et non dans des pays.
Cet indice économique, qui devrait être élaboré par le ministère de l’Économie, du Plan et de la Coopération du Sénégal, agrégera aussi bien le Produit intérieur brut, que d’autres indicateurs de bien-être et de cohésion sociale. Il est tout à fait possible d’estimer des PIB régionaux et à un niveau plus granulaire. Il est heureux de voir que la Direction Générale de la Planification et des Politiques Économiques (DGPPE) du ministère de l’Économie a débuté des réflexions scientifiques et innovantes pour l’estimation des PIBs régionaux à l’aide des données satellitaires d’intensité lumineuse nocturne.
La définition, l’élaboration et la mesure d’un tel Index nécessitera de collecter des données. L’État sénégalais pourrait utiliser le levier du digital et de l’économie numérique, et également impliquer les populations locales qui deviennent ainsi actrices du changement dans les contours de la décentralisation. Une condition subsiste cependant : une application rigoureuse de la régulation en matière de sécurité et protection des données notamment personnelles, et c’est rassurant de voir que le Ministère de la Communication, des Télécommunications et du Numérique inscrit ces enjeux dans ses priorités. Avec un tel indice économique composite, le Sénégal sera précurseur en la matière en Afrique sur cette question de la mesure du bien-être et de son intégration dans la mesure du progrès économique.
La nécessité d’un déplacement de perspective économique et politique : pourquoi la mesure du PIB ne suffit plus
Dès les années 70, des économistes et experts du développement sonnent l’alerte contre la surexploitation des ressources de notre planète, et la nécessité d’avoir une nouvelle approche à l’environnement, le développement et la croissance des villes. The Limits To Growth (Meadows et al.), paru en 1972 ou encore le rapport Brundtland, Notre avenir commun, paru en 1987 constituent des catalyseurs d’initiatives mondiales sur la redéfinition du progrès économique et social. En Afrique, Cheikh Anta Diop ou encore Joseph Ki-Zerbo prônaient déjà un modèle holistique de développement durable et écologique, adapté au contexte africain.
Le rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi (Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social), paru en 2009, recommande l’élaboration d’un nouveau cadre de mesure du progrès et de la prospérité, au-delà du PIB et du Seuil de pauvreté ((à 1341 FCFA par jour, prix 2022, taux d’échange moyen USD EUR : 0,951).
Cela fait donc plus de 50 années que les discussions autour de la nécessité de mesurer le progrès avec des indicateurs liés au bien-être individuel et collectif, et les talents, foisonnent. Les rapports et autres ouvrages se succèdent et se ressemblent. Malheureusement, par manque d’impulsion organique, en Afrique, nous en sommes toujours au stade circulaire et répétitif des panels, conférences et tables rondes. Il est temps de passer à l’action et de mettre en place des cadres concrets et de les appliquer avec rigueur. Le choc du Covid-19 n’a vraisemblablement pas été assez secouant. Le Projet du nouveau bureau présidentiel sénégalais, tant attendu par les citoyens sénégalais et la diaspora, offre une formidable opportunité pour l’émergence d’idées nouvelles et la créativité organique en matière de mesure du progrès économique et social dans chaque territoire.
Un tel indice permettra d’informer la définition des politiques publiques et leur évaluation à partir d’un faisceau d’indicateurs qui reflètent véritablement la vie des citoyens. Il pourrait intégrer des indicateurs de capital humain, de bien-être et de bien-vivre. Aussi, et c’est une conclusion que j’ai personnellement menée, un tel indice permettra d’éclairer véritablement sur les contours des responsabilités de l’État, puis des communes et mairies, et de redonner ensuite au citoyen le pouvoir sur sa propre vie et de lui rappeler à quel point il doit prendre les commandes de son véhicule. Je reste persuadée qu’un tel Index illuminera, avec des données et évidences tangibles, le rôle fondamental de la famille dans le tissu national, la prospérité individuelle et collective, et la transmission intergénérationnelle. Malgré l’hémorragie de promesses électorales, compréhensible en tant d’élections, il est important de conscientiser que l’État et ses démembrements, et ce dans tous les pays du monde, ne peuvent pas tout.
Sur ce dernier point, s’il y a une chose qui m’a agréablement surprise dans le gouvernement Sonko, c’est le ministère de la Famille et des Solidarités. J’ai été extrêmement satisfaite de voir le libellé “femmes” disparaître du nom de ce ministère qui a trop longtemps été utilisé pour assigner à la femme une position de victime et de demandeuse d’égalité, qui donc voudrait absolument travailler de la même façon que les hommes, et qu’un gouvernement central doit sauver. Même s’il est fondamental de mettre en place des politiques pour réduire les inégalités structurelles entre les hommes et les femmes, et les masculinités toxiques, - je suis la première à défendre cela - il est urgent de prendre de la distance avec la pensée féministe contemporaine. Celle-ci, de mon point de vue, utilise une colère non traitée, sème malheureusement le chaos dans notre société, opposent les hommes et les femmes et pulvérise les noyaux familiaux. Le ministère de la Famille et des Solidarités est un puissant signal envoyé sur l’importance d’avoir un gouvernement qui domine - au sens de prise de responsabilités, ce qui est son rôle - et qui déploie sa volonté selon les valeurs de notre société.
Propositions concrètes pour la création d’un indice économique composite sénégalais
D’abord, le nom, on pourrait penser, comme annoncé plus haut, à un “Diomaye Index”, ou “Ngom Index”, ou encore “Teranga Index” pour éviter sa suppression lorsque Bassirou Diomaye Faye ne sera plus président de la République.
Puis, sa composition : Produit intérieur brut, complété par le Capital Humain et le Bien-être objectif et subjectif, et même d’autres aspects à définir : on peut faire preuve de créativité organique.
PIB - Produit intérieur brut
Le PIB est le principal indicateur de croissance économique. Il vise à mesurer la production de richesses d'un pays, dans les secteurs publics et privés. Selon l’ANSD, le Produit intérieur brut est calculé en partant d’un regroupement des branches de la Nomenclature d’Activités des États membres d’AFRISTAT, qui est l’Observatoire Économique et Statistique d'Afrique Subsaharienne. Il est évalué en valeur aux prix courants et en volumes chaînés (avec une année de référence). Nous pouvons voir - et c’est une économiste qui dit - que la définition du PIB est vraiment ennuyeuse et son utilisation est assez limitée, au-delà de l’élaboration des comptes nationaux. Il est temps d’aller au-delà des statistiques pures. Clairement, il est urgent de compléter le PIB avec d’autres indicateurs plus concrets reflétant la réalité de notre économie, comme l’informel et l’économie des soins, souvent prodigués par les femmes, et non rémunérés.
Capital Humain
Le capital humain correspond à “l’ensemble des connaissances, compétences et conditions de santé que les individus accumulent tout au long de leur vie et qui leur permet de réaliser pleinement leur potentiel” (Banque Mondiale). De sorte que le développement du capital humain permet aux individus d’être qui ils sont vraiment, et de contribuer en même temps et de façon productive à l’économie et au développement de leur pays. Les secteurs où il faudrait élaborer des indicateurs et ensuite des politiques publiques ainsi améliorées sont l’éducation, l’alimentation, l’acquisition de compétences, la formation continue, l’accès à un emploi durable. Un indicateur de capital humain pourrait se baser sur des données collectées dans les familles, quartiers, lieux de travail. Des exemples existent déjà au niveau international et il n’est pas nécessaire de réinventer la roue. Il suffit d’adapter ces cadres, de les remodeler, et de les compléter avec des spécificités purement sénégalaises. Nous sommes tous des humains avec les mêmes besoins essentiels. Il n’y a rien de tel que l’Africain spécial qui doit se décoloniser : ce sont des illusions - l’Africain, qui est constitué de la même matière que les autres êtres humains de la planète, a les mêmes besoins essentiels que l’Européen, l’Asiatique ou encore l’Américain : l’accès aux connaissances, informations et compétences qui l’intéressent, une maison plus grande, des machines qui permettent de gagner du temps, et du confort. Parmi les cadres qui existent à l’international et pour lesquels des Africains ont contribué à leur définition, nous pouvons citer le Human Development Index, développé par l’UNDP, et le Human Capital Index, préparé par la Banque Mondiale.
Bien-être objectif et subjectif
Selon le Larousse, le bien-être est un “état agréable résultant de la satisfaction des besoins du corps et du calme de l’esprit”. Mais en considérant le bien-être et le bien-vivre dans sa globalité dans un contexte de politiques publiques, cette définition peut s’appliquer aussi bien au niveau des individus et des familles, qu’au niveau des institutions, entreprises, et du gouvernement. En effet, les familles, les institutions et le gouvernement peuvent être considérés comme des corps et des esprits dont il faut prendre soin et qui ont un impact dans le tissu national plus large.
Le bien-être objectif englobe la santé, la situation financière, la qualité de l’environnement naturel, l’accès à l’énergie, le logement, la mobilité, mais aussi la sexualité, pour ne citer qu’eux.
En plus du bien-être objectif, il y a le bien-être subjectif qui est une composante clé du bonheur. À cela, chaque sénégalais devra répondre à la [terrible] question : êtes-vous heureux ? L’estime de soi, la confiance en soi et le niveau de confiance entre les individus, dans les institutions et administrations publiques constituent également des dimensions du bien-être subjectif, et il est possible d’en élaborer des indicateurs basés sur des données collectées et des calibrages définies. En cela, il convient d’innover en se basant sur les réalités et connaissances nationales, et de s’inspirer de ce qui se fait à l’internationale également, notamment avec l’OCDE.
Le bien-être des enfants, qui seront les adultes de demain, devra également être une priorité de tous les ministères concernés.
Quelques options sur comment procéder pour créer cet indice composite
- Constituer un groupe d’économistes experts, de statisticiens et de spécialistes en matière de politiques publiques pour s’emparer de la question de la création d’un Diomaye Index ou Teranga Index. Le “Ngom Index” pourrait être mise à disposition pour inspirer, contribuer.
- Choisir une ville pilote (par exemple Mboro)
- Procéder à une première phase d’application
- Généraliser progressivement et pertinemment à d’autres villes
En réalité, un indice territorial suffirait (exemple Teranga Index - Mboro ou Kaffrine). Il pourrait être agrégé au niveau national, mais ce ne sera pas pour se comparer à d’autres pays. Cela n’empêche pas de mettre à jour les indicateurs existants qui s’alignent à l’internationale, car le multilatéralisme et la coopération ont de très beaux jours devant eux. C’est cela l’endogénéité et je pense que c’est en ligne avec la vision endogène du nouveau président sénégalais et de son gouvernement. Encore une fois, les gens habitent dans des villes et non dans des pays. Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko peuvent faire des territoires des lieux de création politique et de créativité économique, conditions sine qua non pour une transformation réussie et une guérison nationale, ce que je souhaite sincèrement à mon cher pays.
Fatoumata Sissi Ngom est analyste de politiques à l’OCDE, écrivaine, ingénieur, présidente fondatrice de l’ONG Alchimie et Morphose Africaine : https://www.alchimieafrique.org/.