REE BA TAS
Une fresque à mourir de rire ou de pleur, l’actualité commentée par les passagers d’un car rapide
Une fresque à mourir de rire ou de pleur, L’actualité commentée par les passagers d’un car rapide
Dans un car de transport en commun, l’autre jour, j’ai surpris une conversation devenue récurrente : les passagers s’entretenaient sur les dérives du nouveau pouvoir. Rien n’a été oublié : ni le bavardage assommant de Sonko, ni la complaisance de Diomaye envers son Pm, ni l’amateurisme, ni la duplicité, ni l’arrogance… Un jeune passager qui réclamait avec force son «ex-patriotisme» s’esclaffa : «Sonko ak porojem, dangay ree ba tas !», c’est-àdire : «Sonko et son projet, c’est à mourir de rire !» Il ajouta, en se mordant les lèvres : «Dafa jaar sunu kaw, wallaay !» (Il nous a roulés dans la farine, hélas !) Les éclats de rire, alors, comme une bouffée d’air pur, déchargeant les poitrines de l’amertume, soulageant les cœurs des déceptions et rancœurs, emplirent le véhicule bringuebalant, en une musique à nulle autre pareille. Je me contentai d’un sourire minuscule, semblable à une grimace : j’étais rempli du mal de mon pays, de la souffrance de mon Peuple. Je pensai aux jeunes fuyant le terroir, comme des rats quittant un navire menacé de naufrage, aux chefs de famille croulant sous le poids de leur impossible charge, aux malades agonisants dans les hôpitaux délaissés, aux étudiants désespérés, aux enfants de la rue pieds nus sur le chaud goudron, aux marchands ambulants indésirables, à l’insécurité ambiante, au laisser-aller, au laisser-faire, au je-m’en-foutisme…
Le car traînaillait sur les routes embouteillées de la capitale. La conversation battait son plein : on rit du «Projet fantôme» partout évoqué, toujours invisible, on rit des postures incroyables du «Pm et son Pr». On rit des invites au civisme, à la citoyenneté et au respect des institutions de ceux-là qui ont appelé à la casse et à la désobéissance civile, non sans faire le tour de chapelet des reniements, au moyen de Var bien croustillants. On rit du népotisme du ministre de la Santé se vantant de ne considérer que les Cv des militants de son parti. On rit des déclarations burlesques et autres trébuchements langagiers, à l’image de la ministre de l’Intégration africaine et des affaires étrangères qui «mange du pain» en montrant «comment l’intégration africaine et les affaires étrangères se marient». On rit de «la chèvre de Rouba» appelant d’un bêlement pathétique le châtiment sur Macky et son bilan dont elle est comptable, à plusieurs titres…
Lorsque le nom de Cheikh Omar Diagne fut évoqué, on arrêta de se marrer : ce fut une explosion de colère contre le traqueur de signes maçonniques, grand fabulateur et insulteur des chefs de confrérie. Et l’on traita de tous les noms d’oiseaux «le promoteur de la mosquée du palais de la République», adepte de la loi du talion, qui appelait les manifestants à «tuer les policiers», «comme ceux-ci les tuent», et qui ne supporte pas de croiser dans la rue «certains citoyens». La colère se dissipa, cédant la place au rire, lorsqu’une dame demanda sur un ton enjoué : «Waaw mane : bii nawet nawetu kan la ?»
(Je demande : à qui donc appartient cet hivernage ?) Une autre, d’une voix encore plus enjouée : «Jël Brt ak Ter, jël salaire, jël caisse noire, naan nawet bi du sunu nawet !» (Tu ne peux pas t’approprier le Brt, le Tet et les budgets, et ne pas être responsable des dégâts causés par l’hivernage !).
Sourd aux rigolades, je pensai à la ruine morale qui règne dans mon pays et qui s’est si tristement manifestée à l’occasion du Gamou 2024, transformant maintes manifestations religieuses en soirée de gala ou en concert de vulgarités, dont les vagues nauséabondes éclaboussent, aujourd’hui encore, notre quotidien, via les réseaux sociaux. Je pensai à la régression culturelle, intellectuelle et spirituelle qui frappe mon Peuple, ainsi qu’à l’image du Sénégal perdant de l’éclat et partout chahutée, surtout par les activistes africains, ex-soutiens du parti Pastef. Je pensai à l’épée de Damoclès sur la presse et les dignitaires de l’ancien régime. Je pensai aux interdictions illégales de sortie du territoire, aux emprisonnements répétitifs pour délits d’opinion, touchant notamment : Bah Diakhaté, imam Ndao, commissaire Keïta...
On évoqua la marche interdite de Massalikoul Djinane à Colobane, la colère de la communauté mouride et les larmes de Akassa Samb qui a tant défendu le Pros. On évoqua l’ire de Serigne Moustapha Sy contre Sonko, non sans rappeler la fameuse lettre ouverte de Abbé André Latyr Ndiaye intitulée : «Conseils à un jeune politicien nouvellement promu à un haut poste de responsabilité», où l’on peut lire à l’adresse du Pm : «Changez votre rhétorique de guerre sinon elle risque de vous perdre !» On évoqua le «protocole du Cap Manuel», épiloguant sur la transaction et le complot sur le dos du Peuple.
On évoqua l’éclipse de Idy, l’effacement de Khalifa, la Nouvelle Responsabilité de Amadou Ba si timide, Decroix et Kama si accommodants… On évoqua la mollesse de Karim qui veut contrôler le Pds depuis Dubaï et gagner sans descendre sur le terrain…
Et la pugnacité de Bougane et Bocoum, l’intelligence politique de Barth’, le courage de Anta Babacar…
«Mimi a raison : qui dit nouvelle responsabilité doit aussi dire ancienne responsabilité !», «Le problème est qu’elle accuse en se dédouanant ! Or elle est comptable des dérives qu’elle dénonce ! Et celui qu’elle pointe du doigt est le chef de l’opposition !», «Le chef de l’opposition est trop timide !», «Il n’est pas timide, il est poli !», «Il n’est pas poli, il est trop poli. Et trop poli = timide !», «Bougane lui est un vrai «gatsagatseur» ! Il est la copie conforme de Sonko ! Il ne laisse rien passer !», «C’est peut-être pourquoi les pastéfiens le craignent tant !», «L’épine dans le pied de Barth’, c’est l’affaire Ndiaga Diouf, hélas !», «Mais il sait se battre, Barth’, contrairement à Karim !», «Karim n’a pas le courage de son père !», «Moi, j’ai la nostalgie de Macky et Marième !», «Dites : où donc se cache El Hadj Diouf ?», «Il est encore sous le choc de la défaite ! Il a le vertige ! Il voit trouble !», «C’est toute l’opposition traditionnelle qui est groggy, d’où sa grande frilosité !», «Sonko est un puncheur !Il estle Cassius Clay du ring politique sénégalais !», «Ce pays a besoin d’un bâtisseur, pas d’un boxeur !», «Ah ! Un sphinx renaît toujours de ses cendres ! Les vieilles marmites cuisinent les meilleurs plats !», «En tout cas, le Pm doit laisser tranquille les voiles des collégiennes, les traques politiciennes et s’occuper de l’huile, du riz et du sucre !», «S’il n’arrête pas de frapper sur tout ce qui bouge, il finira par se mettre KO lui même, tout comme ce lutteur qui s’est assommé avec son propre canari d’eau bénite !», «J’aime Diomaye : il est poli, posé, poupin ! Il s’habille tellement bien ! Ses épouses sont tellement belles ! Il a l’air tellement vulnérable avec un regard innocent, zieutant si adorablement à droite, à gauche, en haut, en bas !», «Et patati !
Et patata ! Et tralala ! Diomaye est un trompeur !Il est plus dangereux que Sonko ! Tout le monde a vu son jeu avec l’Assemblée !»… «Dites : que pensez-vous des élections législatives à venir ?», «Sonko gagnera : le vent du changement balayera tout sur son passage !», «Mais le vent du changement a changé de cap :l’opposition l’emportera largement !», «En attendant, l’Atel a du pain sur la planche !», «Surtout que, surtout que -mais buma kenn yoole nak (que personne ne me dénonce)-, surtout que la chasse aux sorcières a commencé en même temps que les opérations électorales. N’est-ce pas bizarre ?», «Très bizarre !»…
Un jeune dit au revoir au groupe en imitant le salut militaire de Coura Macky et son anglais approximatif, un autre en déclarant : «Sonko ! Sonko ! Bayyi leen doomu jambur, bu leen ko lekk !» (Toujours Sonko ! Laissez-le tranquille, ne le mangez pas !) Réponse : «Dunu ko lekk, danu koy daggat daggatee ! Danu koy firiir !» (On ne le mangera pas, on le tranchera seulement ! On le fera griller à l’huile chaude !) Un troisième s’en alla, en criant : «J’emporte l’urne, il n’y aura pas d’élection !»...
Choc retentissant, sursaut collectif, cris stridents : un jakartaman et sa moto, heurtés par un taxi, se roulaient sur l’asphalte cuisant du soleil de midi…
Le débat changea de cours. On commenta l’accident. On parla de sécurité routière… Lorsque le car de transport en commun se gara sur ma demande, la discussion portait sur le dernier rapport du Fmi et sur les nuages lourds de menaces dans le ciel sénégalais… Je songeais : «Si nos acteurs politiques pouvaient de temps en temps voyager dans les cars rapides…»