SAUVEZ LE SOLDAT CSM
La coïncidence est trop heureuse pour qu’on ne s’y arrête pas pour mieux analyser l’actualité nationale la plus brulante de ce week-end : la rencontre du président de la République avec la presse nationale
La coïncidence est trop heureuse pour qu’on ne s’y arrête pas pour mieux analyser l’actualité nationale la plus brulante de ce week-end : la rencontre du président de la République avec la presse nationale. Ce 9 juillet 2024 en effet, en France, le Conseil supérieur de la magistrature a présenté son rapport annuel lors d’une con¬férence de presse. A cette occasion, M. Christophe Soulard, Premier président de la Cour de cassation, a relevé que «depuis plusieurs années, dans plu-sieurs pays, il y a une remise en cause de l’Etat de Droit. Nous voulons défendre l’indé¬pendance de la Justice au bénéfice du justiciable…Le Csm, garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire, s’inquiète vivement de la multiplication et de la répétition de ces attaques (Ndlr. Contre la justice) et de l’écho qu’elles trouvent aujourd’hui dans l’opinion publique. Le droit et le juge seraient-ils devenus les ennemis de la démocratie ?», s’est-il interrogé. Sans désemparer, il alerte sur cette tendance notable dans certains pays qu’il ne nomme pas, où des régimes qualifiés de «illibéraux» opèrent de «savantes opérations de reprise en main de leur système judiciaire, à commencer par leurs cours suprêmes et leurs cours de justice». La similitude avec la situation vécue au Sénégal ces dernières années, est fort troublante.
En écoutant le président de la République, Sem Bassirou Diomaye Faye lors de sa rencontre avec la presse nationale ce samedi 13 juillet, autant j’ai noté avec satisfaction son engagement ferme à assainir la gestion de l’Etat et nos ressources au plus grand profit des populations, autant je n’ai pas manqué d’avoir les mêmes préoccupations que ce haut magistrat français concernant particulièrement ses actes posés et intentions exprimées à l’endroit de notre Conseil supérieur de la magistrature (Csm). En effet, après avoir réaffirmé son indifférence sur sa présence ou non au sein de cette instance, annoncée la première fois à la cérémonie de remise du rapport des Assises sur la justice, il a révélé être dans le processus de nomination aux fonctions dans la magistrature après avoir «enquêté» avec ses collaborateurs et son administration sur les «profils des magistrats qu’il faut mettre» aux différentes positions et y avoir travaillé avec son Premier ministre. Il a ensuite insisté sur la nécessité pour lui, de s’entourer de «garanties» d’avoir les magistrats qu’il faut à la place qu’il faut. Autrement dit, le sort des magistrats (pouvoir judiciaire) se joue présentement au palais de la République (Pouvoir exécutif). La qualité de l’Etat de Droit se mesure beaucoup au degré de limite d’actions entre les trois pouvoirs. Il apparait ici, une grosse entorse par rapport à cette donne et un net décalage par rapport à l’engagement jusqu’ici affirmé de renforcer l’indépendance de la magistrature.
Enfin, le président de la République a évoqué l’élargissement du Csm à des personnalités autres que des magistrats, en prenant exemple sur le Cos-Pétrogaz. Des magistrats auraient été «choqués» par cette perspective selon un journal de la place. Cela se comprend aisément du fait d’abord de la faiblesse de l’argument tiré du Cos-Pétrogaz, organe de gestion des ressources pétrolières et gazières qui intéresse quasiment tous les secteurs de développement économique et social, alors que le Csm porte exclusivement sur la gestion du personnel magistrat (nomination et discipline). Ensuite, dans toutes les autres corporations apparentées (ordre des avocats, ordre des notaires etc.), l’instance de décisions est exclusivement composée des membres de ladite corporation. Enfin, contrairement à une préoccupation forte des Assises de la justice, la «domestication de la magistrature» appelée à être éradiquée, se dessine à travers les mesures ainsi préconisées.
Les prémices de cette «sortie de route» du «Jub, jubël, jubënti» sont apparues avec les tout premiers décrets, pris par le Président Faye, 24 heures à peine (le 3 avril) après son installation dans ses fonctions, en violation (déjà) des dispositions pertinentes des article 90 de la Constitution et 4 de la loi organique portant statut des magistrats, qui soumet toute décision portant sur la nomination d’un magistrat, à l’avis du Csm sur proposition du ministre en charge de la Justice. Ces décrets, rappelons-le, avaient pour but d’annuler ceux pris par son prédécesseur, le Président Macky Sall, à quelques jours de la fin de son mandat à la tête de l’Etat, contrairement aux principes de bienséance dans la pratique républicaine, qui est de laisser au successeur les dernières décisions engageant l’Etat du Sénégal. L’ex-juge Hamadou Dème a vivement dénoncé ces écarts procéduraux et sermonné ainsi «Monsieur le président de la République, on ne soigne pas le mal par le pire». Le mal étant le manque d’élégance du Pré¬sident sortant, le pire, la violation (précoce) de la Cons¬titution par son nouveau gardien.
Il y a là autant d’actes qui s’apparentent aux «savantes opérations de reprise en main» du système judiciaire dont parle le juge Soulard (cité plus haut). Il est clair que ces trois dernières années, la justice au Sénégal a été particulièrement «malmenée» dans l’opinion, notamment par les hommes politiques, tant de l’opposition que de la coalition au pouvoir, mais aussi par des acteurs de la Société civile, sans la moindre preuve de leurs allégations. Tout juste que la décision rendue soit défavorable à un camp politique pour que la justice en général ou des magistrats en particulier soient critiqués, voire injuriés ou menacés. Les assises avaient pour principal objectif, selon ses initiateurs, au premier rang desquels, la coalition victorieuse à l’élection présidentielle, de réconcilier la justice avec cette opinion publique, par la modernisation de son administration, le renforcement de l’indépendance des magistrats et l’instauration de plus de garanties des droits et libertés des justiciables. Mais vu la tournure des choses, il y a lieu de «sauver le soldat Csm» de ces graves risques pour assurer aux magistrats, derniers remparts des droits et libertés des citoyens, une indépendance véritable, leur permettant de rendre la justice au nom du Peuple souverain et dans la plus grande sérénité.
Aussi, il faut une application méthodique des recommandations issues des Assises de la justice et laisser l’étude des questions en suspens à l’examen de l’Union des magistrats du Sénégal (Ums). L’en¬gagement de départ du candidat Président Diomaye Faye ainsi que le ministre de la Justice de ne pas siéger au Csm destiné à devenir organe de décision, me semble être la meilleure option. Le président de la République, dans ce schéma, continuera à exercer ses pouvoirs constitutionnels de nomination aux emplois dans la magistrature mais liés par les décisions du Csm en matière disciplinaire et par les propositions à choix multiples ( 2 ou 3) pour chacune des fonctions dans les hautes juridictions et les cours et choix unique pour les autres.
Nous devons tous convenir qu’il n’y a de justice parfaite qu’auprès du Créateur et, comme le soutient Mon¬tesquieu, «le moyen d’acquérir la justice parfaite, c’est de s’en faire une telle habitude qu’on l’observe dans les plus petites choses, et qu’on y plie jusqu’à sa manière de penser».