SCOLASTICIDE À GAZA
Alors que la rentrée scolaire approche au Sénégal, Gaza pleure ses écoles détruites et ses élèves disparus. La destruction des infrastructures éducatives par Israël soulève des questions sur la volonté délibérée d'anéantir le système éducatif palestinien
Les jeunes sénégalais qui reprendront la semaine prochaine le chemin des écoles des collèges et des lycées devraient tous avoir plus qu’une pensée pour les élèves de Gaza qui sont d’ores et déjà condamnés à vivre une deuxième année blanche. Ils étaient environ 625.000 avant le déclenchement des attaques contre leur territoire et près de 15000 d’entre eux ont déjà trouvé la mort dans les bombardements israéliens (en même temps que près de 400 membres du personnel scolaire), des dizaines de milliers d’autres portent un handicap, physique ou mental, et ceux qui ont survécu aux missiles, aux blessures, à la faim, à la soif, aux épidémies (mais dans quel état sont-ils ?) ne retourneront pas de si tôt dans leurs classes. D’abord parce ce qu’aucune partie de Gaza n’est à l’abri des bombardements, et surtout parce qu’il n’y existe plus aucune infrastructure scolaire ou universitaire digne de ce nom.
Selon les estimations d’experts des Nations Unies 85% de ses infrastructures scolaires ont été systématiquement détruites, des bâtiments des universités qui avaient miraculeusement échappé aux bombardements ont été dynamités par l’armée israélienne, avec leurs équipements, y compris leurs bibliothèques, laboratoires et même musées. Israël n’a pas épargné les locaux scolaires qui avaient été transformés en centres d’hébergement de réfugiés, sous la protection des institutions internationales, et on a encore en mémoire le bombardement, le 10 aout à l’aube (l’heure choisie n’a pas été choisie au hasard), de l’école Al Taba’een, l’un des plus gros massacres opérés sur le territoire puisqu’il aurait fait 90 morts. Les explications fournies par l’armée israélienne, qui se vante de procéder à des opérations chirurgicales bien ciblées, pour justifier ces destructions ne sont convaincantes pour personne puisque ce bombardement visait un établissement situé en zone sous protection des Nations Unies et que les morts sont des civils, des femmes et des enfants principalement.
De toutes façons la stratégie militaire israélienne fait peu cas de ce qu’on appelle le dégât collatéral et si pour tuer un seul membre du Hamas ou du Hezbollah,il faut détruire tout un immeuble, raser une mosquée, écraser sous les gravats des femmes et des enfants, qui sont de simples victimes du conflit, Tsahal n’hésitera pas à lâcher ses bombes.
Israël est le seul pays au monde à « utiliser l’école à des fins militaires », et l’accusation est portée par l’UNRWA, l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche Orient qui tient à bout de bras les populations de Gaza depuis des décennies. C’est une position de principe comme le montre son refus de signer, en 2015, une déclaration initiée par la Norvège, approuvée par l’Unesco et la grande majorité des pays membres de l’ONU sur « la sécurité des écoles en temps de guerre. »
L’anéantissement des infrastructures scolaires et universitaires de Gaza n’est donc pas un simple accident de guerre. Il est même si systématique et si méthodiquement conduit que des experts de l’ONU ont jugé qu’il était raisonnable de « se demander s’il n’existe pas, de la part d’Israël, un effort intentionnel visant à détruire complétement le système éducatif palestinien ! » Comment cela s’appelle-t-il quand toute la jeunesse d’un pays est privée volontairement de lieux d’éducation et de culture, qu’elle ne reçoit aucune nourriture intellectuelle, qu’elle est laissée à l’abandon et se morfond entre la peur et l’ennui dans des abris provisoires où elle est obligée de se boucher les oreilles pour ne pas entendre le bruit des bombes ?Cela porte désormais un nom, cela s’appelle un scolasticide et des experts du Conseil des Droits de l’Homme ont estimé qu’Israël y avait recours à Gaza.
Mais l’école n‘est pas, loin de là, la seule cible des bombardements qui se poursuivent nuit et jour à Gaza depuis bientôt un an. Ce sont en réalité toutes les infrastructures[D1] du petit territoire qui ont été anéanties, à commencer par le système sanitaire et d’assainissement, la distribution de l’eau et de l’électricité. Plus grave encore, car il s’agit de choses dont on ne se relève pas, le gouvernement israélien et surtout sa très influente aile extrémiste, ont désormais pour objectif de « désarabiser » toute la Palestine, et pas seulement de pousser ses habitants autochtones à la fuite et à l’exil. Ils veulent effacer toutes les traces du passé palestinien, comme Narendra Modi tente de le faire en Inde pour les populations de confession musulmane.
Tout le patrimoine palestinien est pillé et à Gaza les archives contenant l’état civil de la population ont été détruites, faisant des Gazaouis des hommes et des femmes qui ont perdu leurs repères, qui sont dans l’incapacité de prouver leur identité, de décliner leur généalogie, voire leur passé, comme si leur passage sur terre avait été flouté, comme s’ils n’existaient plus que dans leur mémoire. Ce nettoyage par le vide va plus loin, les lieux mêmes où ont vécu leurs ancêtres sont progressivement défigurés et c’est ainsi que leurs oliveraies, dont certains arbres sont vieux de plus d’un siècle, sont peu à peu rasées et remplacées par des plantations de conifères, dans le seul but de rendre méconnaissable le paysage que leurs ancêtres avaient marqué de leurs empreintes au cours des siècles .
Ce révisionnisme des réalités historiques et naturelles a aussi désormais un nom : cela s’appelle un culturocide !
Alors, écoliers et élèves du Sénégal, ce lundi 7 octobre, jour de la rentrée, ne manquez pas d’exprimer votre soutien aux élèves et collégiens de Gaza victimes de scolasticide…