SE RÉCONCILIER AVEC NOUS-MÊMES D’ABORD !
EXCLUSIF SENEPLUS - L’ancrage décomplexé à la culture de notre pays passe indéniablement par une réappropriation de notre propre histoire, écrite et enseignée comme une science
Vous demandez-vous souvent pourquoi, pris individuellement, nous sommes toujours prompts à financer volontairement et massivement les grands projets infrastructurels issus des familles religieuses et peinons à sortir un rond de nos poches lorsqu’il s’agit de soutenir un projet politique ?
Pourquoi sommes-nous toujours réticents à donner de notre temps pour travailler bénévolement dans des œuvres sociales alors qu’un simple appel du marabout suffit à drainer les foules pour nettoyer un espace public ou pour œuvrer dans des travaux agricoles ?
Au même moment, dans les grandes démocraties, les partis politiques comptent sur leurs militants et d’autres bailleurs pour lever des fonds astronomiques. Également, le bénévolat est une culture ancrée dans les habitudes des citoyens depuis le bas âge. Ces derniers peuvent s’engager délibérément dans des causes communautaires et humanitaires sans rien attendre en retour.
En effet, au-delà de l’autorité morale des guides confrériques qui crédibilise leurs demandes auprès des populations et de la reconnaissance spirituelle recherchée par les bénévoles, l’explication tient en partie de notre relation avec l’élite politique actuelle à laquelle nous ne nous identifions pas réellement et à la conception biaisée que nous avons de la politique telle que nous la reproduisons.
Nous continuons de croire dur comme fer, selon le modèle politique occidental hérité et enseigné, que l’État et la religion doivent être impérativement distingués alors que nous avons des sociétés culturellement différentes et que la trajectoire historique qui a façonné la société occidentale diverge radicalement de la nôtre.
Cheikh Ahmadou Bamba, Cheikh Elhadj Malick, Mame Baye Niass et les autres illustres personnalités historiques de notre pays n’ont pas eu besoin de prendre les armes ou de contraindre les disciples à adhérer à leur cause. Et pourtant, nous sommes encore des millions, peu importe notre niveau d’instruction, notre origine sociale et nos affinités confrériques, à nous réclamer fièrement et ostensiblement de leur héritage.
C’est parce qu’au-delà de leur appel spirituel sur lequel la plupart des disciples préfèrent (sciemment on ou naïvement) les cantonner, il y a toute une stratégie politique murement réfléchie qui a permis l’expansion dans le temps de la cause qu’ils défendaient.
Notre école refuse de se pencher sur ce modèle politique qui a fait ses preuves (organisation urbaine, orientation agricole, culte du travail, etc.) et nous l’enseigner.
Au même moment, le colon blanc a fait couler beaucoup de sang de nos compatriotes, torturer nos dignes fils et piétiner notre honneur afin de nous soumettre de façon coercitive à sa cause. Nous avons ainsi cultivé des champs pour le nourrir, cotisé de l’argent comme impôt colonial pour l’enrichir et vider notre sueur pour participer à son développement. L’éducation aidant, il a pu formater les cerveaux et y semer les graines de la subordination afin de poursuivre malicieusement son entreprise même à son absence.
Si depuis 1960 nous tournons continuellement en rond en baignant dans une illusion d’indépendance c’est que nous n’avons pas encore fait le bon choix des vrais hommes politiques qui réfléchissent par eux-mêmes, pensent uniquement pour le bien collectif et conçoivent leurs actions sur la base des valeurs et des croyances socioculturelles de leurs semblables.
Notre système éducatif prépare notre élite dirigeante inéluctablement au suivisme, au mimétisme et à la reproduction continue des pratiques apprises. Il nous prépare à acquérir de grandes compétences dans des domaines spécifiques, mais il ne fait pas de nous des hommes et des femmes capables de s’engager dans un idéal transformationnel de nos sociétés. Un défi impossible à relever en l’absence d’esprit prédisposé à la critique, à la remise en cause du système établi et, surtout, au réveil de l’estime soi.
C’est la raison pour laquelle vous trouverez dans l’élite les plus grands défenseurs du statu quo actuel.
Ils crient au changement, mais n’osent pas se séparer de la monnaie coloniale. Ils font miroiter le progrès mais n’osent pas introduire l’enseignement de Cheikh Anta Diop et des langues nationales dans les écoles. Ils régurgitent avec éloquence les théories marxistes et capitalistes, mais se remplissent de gêne et de complexe lorsqu’ils doivent citer le culte du travail mouride et le modèle agricole des familles religieuses qui avait tant épargné les populations de la famine en pleine crise économique suite au Krach boursier de 1929.
Les pouvoirs politiques peuvent dépenser des millions dans des campagnes de sensibilisation diverses sans obtenir l’effet recherché alors qu’une simple déclaration d’une autorité confrérique aurait suffi pour soulever les foules. Quel paradoxe !
La promotion de l’enseignement technique et professionnel est importante pour préparer la jeunesse plus facilement aux besoins du marché et assurer plus rapidement son employabilité. Cependant, l’impératif d’assouvir ultimement la soif insatiable d’un système capitaliste ne doit pas nous pousser à la fabrication d’humains robotisés dont la seule compétence se limite à exécuter des tâches professionnelles spécifiques.
L’ancrage décomplexé à la culture de notre pays passe indéniablement par une réappropriation de notre propre histoire, écrite et enseignée comme une science, ainsi que par l’existence et la valorisation des sciences sociales et humaines, également révisées et magnifiées par nous-mêmes. Bref, retrouver notre culture nationale. Comme le disait Cheikh Anta Diop dans son article Vers une idéologie politique africaine : « Les puissances colonisatrices ont compris dès le début que la culture nationale est le rempart de sécurité le plus solide que puisse se construire un peuple au cours de son histoire, et que tant qu’on ne l’a pas atrophiée ou désintégrée, on ne peut pas être sûr des réactions du peuple dominé.»