TYRANNIE D’UNE ROUTINE FUNESTE
EXCLUSIF SENEPLUS - Ces catastrophes qui nous émeuvent tant n’ont rien d’accidentel bien que cela y ressemble - Elles procèdent d’une coupable banalisation d’un code d’inconduite généralisé, qui jure avec une circulation routière sécuritaire
“ Nous sommes atteints dans notre capacité d’initiative au point de ne pouvoir réagir à ce qui nous arrive” Pr. Souleymane Bachir Diagne, philosophe.
Les accidents de la circulation sont une triste routine chez nous, qu’il convient de conjurer sans tarder pour épargner des vies. Sommes-nous capables de prendre les initiatives idoines ?
Comme partout ailleurs, au Sénégal nous avons des routes et des voitures pour nous assurer un déplacement facile d'un point à un autre du territoire national, à la différence près que notre parc automobile souffre d’une quantité effarante de véhicules incommodants et dangereux, inaptes à la circulation.
Quand ce système pose problème du fait de calamités homicides récurrentes, il convient de l‘analyser avec des outils modernes, telle l’approche qui consiste à considérer le tout comme étant un ensemble constitué d’une part d’un hardware - c’est ce qu’on appelle communément les infrastructures routières (routes, autoroutes, péages stations d’essence, gares routières, panneaux de signalisations) et d’autre part le software - c’est l’ensemble des usagers et utilitaires (les voitures, conducteurs, code de la route, policiers, gendarmes, etc.)
Ainsi, nous pouvons voir que dans les pays développés où ce système a été pensé avec une intelligence subtile et soutenue, il permet une meilleure régulation de la sécurité et du trafic routiers. Les catastrophes homicides ne se produisent alors en cas de meilleures circonstances que faute d’une faille du système, dont le défi est de s’approcher de zéro collision : ce n’est que dans des cas pareils d’organisation que l’on peut parler d’accident. L’imprévisibilité attachée à l’avènement de la catastrophe est nécessaire pour valider la qualification d’accident qui lui sied.
Par contre chez nous où toutes les conditions sont réunies pour favoriser les collisions, l’on ne peut pas continuer à parler d’accidents quand ce qui arrive est tout à fait prévisible et ancré dans l’opinion collective. Les causes sont connues, indexées depuis des décennies et devenues chroniques face à une inquiétante indifférence. Ces catastrophes qui nous émeuvent tant n’ont rien d’accidentel bien que cela y ressemble ; elles sont inconsciemment programmées. Elles procèdent d’une coupable banalisation d’un code d’inconduite généralisé, qui jure avec une circulation routière sécuritaire, de même qu’avec la bienséance tout court.
Des situations et comportements inacceptables accablent notre décor impunément : que 60% des conducteurs au bas mot n’aient jamais pris de cours de code de la route, ne sachent lire les panneaux de signalisation, conduisent avec un pare-brise fissuré, sans essuie-glaces, ni rétroviseurs, ni feux rouges. D’autres pour vous dépasser n’hésitent pas à le faire par votre droite et même emprunter le trottoir. Que 80% des véhicules de transport en commun ne répondent pas aux normes techniques les plus élémentaires, ce qui ne les empêche pas de faire de la surcharge illégale sans aucune crainte de policiers, qui ont tout simplement abdiqués. Que tout cela et pire encore, soit absolument pérenne en dépit d’une large désapprobation, alors il s’agit bien là d’une tyrannie de la routine, mais hélas une si funeste, que l’ensemble de la société en est consternée. Un milieu d’un tel déficit de qualité décourage toute initiative personnelle, du fait qu’aucun modèle singulier ne peut prétendre y influencer significativement les agrégats de la collectivité. Il faut alors songer à appliquer un diktat injonctif extrêmement dissuasive, voire même afflictive.
Malgré notre retard sur ce qui est à faire pour éviter les calamités, il faut reconnaître qu’en ce qui concerne les infrastructures, il y a eu des efforts depuis l’an 2000 et énormément de changements avec l’impact du PSE, que nul ne peut ignorer. Entre 1960 et 2012 quelqu’un pouvait s’absenter du pays quinze années durant, descendre un beau jour à l’aéroport et retrouver son domicile sans aucun risque de se perdre. Aujourd’hui ce n’est plus possible, les revenants d’un séjour de seulement cinq ans à l’étranger se perdent pour rejoindre leurs demeures en raison d’infrastructures nouvelles impressionnantes qui jalonnent leurs itinéraires. Mais là où pêche le système c’est au niveau des usagers de toutes sortes (le software) : les vieux tacots impropres à la circulation ; les conducteurs inconscients de leurs actes parce qu'analphabètes, qui n’hésitent pas à emprunter le trottoir pour éviter de faire la queue ; les vendeurs ambulants et mendiants au milieu des autoroutes, y compris l'autoroute à péage durant certaines périodes de grands embouteillages, se faufilant entre les voitures ; l’absence ou l’inefficacité de forces de répression dissuasives des infractions routières sur la voie publique etc. Trop c’est trop ! Cette triste exception sénégalaise a fini par substituer aux valeurs d’homme civilisé qui nous étaient connues, celles d’indiscipliné et d’anarchiste ; ruinant ainsi notre réputation.
Le chef de l’Etat Macky Sall a réitéré dans son discours de fin d’année ses propos édifiants tenus déjà en septembre dernier indexant les comportements comme causes majeures des accidents et appelant à des sanctions sévères à l’encontre des attitudes de défiance déplorables. Cette insistance de sa part laisse augurer des changements à venir.
Seulement, ne nous y méprenons pas ! Les accidents homicides spectaculaires nous émeuvent mais leurs causes ne prennent pas naissance là où ils se produisent les voies où l’on produit de la vitesse). C’est au cœur de la ville qu’il va falloir traquer les infractions mineures. Ceux qui provoquent les collisions stupides sur les voies rapides sont ceux-là mêmes qui en ville ont des attitudes de défiance à l’encontre de toutes les règles. Quand ils seront amenés à bien se comporter en ville, hors de toute surveillance, il n’y aura plus à craindre leur inconscience et irresponsabilité quelles que soient les circonstances.
Avec plus de six cent morts directs concédés à l’insécurité routière en 2019, sans compter les blessés qui périssent des jours plus tard, qui pourraient porter ce nombre à près de 2000. Vous conviendrez avec moi que cela est suffisamment alarmant pour justifier que j’ouvre avec ça mes éditos de l’année, tout en souhaitant mes meilleurs vœux 2020 à tous les lecteurs et au Sénégal notre berceau une sécurité routière exempte d’homicide.