UNE LECTURE FÉMINISTE DES ÉVÉNEMENTS POLITIQUES RÉCENTS
EXCLUSIF SENEPLUS - Le cas Adji Sarr est allégorique du traitement des victimes de viol et de violences sexuelles, dans notre pays. Un pays dans lequel, le corps des femmes est depuis toujours une arène de batailles politiques
« Ôter l’âme à chacun, à tous la liberté » : le silence du temps et le temps de l’action, une lecture féministe des événements politiques récents
L’Etat de droit et les tares de l’Etat face au droit : les vigies citoyennes
Ceci est un article en colère, un article qui ne pouvait plus se contenter d’admirer les déflagrations de courage d’une jeunesse qui n’a plus que la rue pour apostropher leurs gouvernants aux pieds d’argile. Puis l’admiration a cédé le pas au regret de constater que la rue est devenue le théâtre ultime d’expression des populations. Ce qui, immanquablement alimente les discours politiciens visant à nous diaboliser, nous, la jeunesse pour nous peindre en une masse homogène sans conscience (politique), nous mutiler, et pis nous tuer.
Ceci est un article qui applaudit le manifeste salutaire des 102 sur la crise de l’État de droit au Sénégal, note avec surprise la réaction du secrétaire général Abdou Latif Coulibaly, constate avec délectation le brillant texte, à mon sens, de Hady Ba et Oumar Dia. Ce dernier texte soulignait justement deux points importants :
i) que, quelles que soient les circonstances, une accusation de viol est une accusation sérieuse qui doit faire l’objet d’une enquête ;
ii) que cette affaire a été politisée depuis le début non seulement par l’attitude de l’accusé, mais également par l’interférence d’acteurs politiques proches du pouvoir qui ont encadré l’accusatrice. Le texte concluait qu’en « instrumentalisant la justice à des fins électorales, il (M. Macky Sall) nous a installés dans une instabilité juridique qui fait que toute décision de la justice sera interprétée non pas comme un acte légal, mais comme un acte politique ».
Ces débats faisaient écho à une autre conversation que nous avions tenue quelques jours plus tôt sur le Covid-19, la gouvernance et les droits humains avec Drs Oumoul Khairy Coulibaly, Ousmane Aly Diallo et Hady Ba qui alertait sur cette crise de l’État de droit au Sénégal, qui loin d’être une exception, n’a plus de démocratie que de nom depuis une ou deux décennies.
Des viols sous silence et le corps des femmes comme arène politique
Ceci est donc un article qui recontextualise le besoin de continuer à libérer la parole, car le danger du discours dominant actuel est de censurer la parole des prochaines victimes de viol ou de violences sexuelles. Depuis le début de cette affaire, nous avons constaté un traitement inique de part et d’autre. D’une part, Adji Sarr, trainée dans la boue de la presse et sa vie étalée au grand public tandis que Sonko était lavé à grande eau avant toute instruction du dossier. De l’autre, le même Ousmane Sonko faisant face à un pouvoir judiciaire pressé de traiter cette affaire de viol avec un zèle qu’on ne lui connaissait pas qui l’a mené en prison pour des motifs fallacieux, bien différents de ceux qui ont été à l’origine de cette affaire. Cette combinaison de facteurs lève le voile sur un trait de caractère socioculturel bien sénégalais, et mène la majorité de l’opinion à victimiser le présumé oppresseur (Sonko), lui-même oppressé par un bourreau commun au peuple sénégalais aux allures de Léviathan (le régime de plus en plus présidentialiste sénégalais) et à blâmer la prétendue victime (Adji Sarr, la fille de 20 ans accusée d’être au cœur d’une machination fomentée par les proches de Benno Benn Yaakaar. Cet article ne se satisfait donc pas d’une émotion, qui trop vite et maintes fois, mène à l’omission des faits (en l’état, une accusation de viol) qui ont constitué l’étincelle au départ de ce feu qui se propage, s’amplifiant et se nourrissant de frustrations qui se sont sédimentées depuis 2012. Ceci est le fruit d’une combinaison de facteurs :
i) l’érosion perpétuelle de notre architecture de droit par le viol de notre charte fondamentale ;
ii) l’instauration d’une République des privilèges au profit d’une minorité heureuse, et enfin
iii) le floutage progressif des frontières entre les domaines de l’exécutif, du judiciaire et du parlement.
Il convient donc de rappeler que dans tous les cas, Adji Sarr est et reste soit une victime, ou de Sonko, ou de son employeur Sweet Massage, ou une coupable avec ceux et celles qui auraient ourdi cette prétendue machination de viol. Dans tous les cas, son cas est allégorique du traitement et de la stigmatisation des victimes de viol et de violences sexuelles, de la culture du viol dans notre pays. Notre pays, dont la gouvernance reste désespérément masculine et dans lequel, le corps des femmes est depuis toujours une arène de batailles politiques. Je m’intéresse et m’interroge ici sur les activités et la posture du salon Sweet Massage, qui dans certains passages du procès-verbal faisait état des ‘formes généreuses’ de ‘ses masseuses sexy’, des ‘diongomas sénégalaises’ qui promettaient des ‘séances de détente inoubliables’. Un autre passage du texte du Facebook de Sweet Massage dans le procès-verbal, était une invite à ‘venir goûter aux délices de nos mains de fée sensuelles et caressantes qui (ne) laisseront aucune partie de votre corps’ avant de lister les types de massage offert. En outre, certaines images du compte Facebook de Sweet Massage du PV montrent des jeunes femmes aux formes rondes et généreuses dans des postures suggestives. Même si Sweet Massage n’est pas le seul salon de massage à recourir à ces procédés de marketing, pourquoi mettre l’accent sur le corps attirant et les formes généreuses de ces femmes plutôt que sur les vertus desdits massages ? S’il est établi que l’offre du salon de massage et ses activités sont licites, elles ne concerneraient que les demandeurs de ces services (ceux et celles qui fréquentent le salon) et les offreurs de ces services (les propriétaires du salon et ceux qui y travaillent). Loin de moi, toute tentative de décider ce qu’il convient de juger comme ‘bonnes’ ou ‘mauvaises’ mœurs, mais il convient à la police et à la justice de creuser au-delà des discours de respectabilité de part et d’autre pour caractériser les faits qui se sont produits. Peu importe la classe sociale ou l’identité des plaignants ou des accusés, il est normal d’espérer un traitement égal de tou.te.s citoyen.ne.s devant la loi.
Au-delà de l’Affaire Sarr-Sonko : Les défis de gouvernance politique : la rue et les médias sociaux comme nouveaux sites d’expression populaire des jeunesses sénégalaises
Cette affaire est une opportunité non seulement de regarder de près ce qui se passe dans ces salons de massage sous l’œil parfois complice de ceux qui sont censés les réglementer, mais au-delà, il ne faut pas prendre l’arbre pour la forêt. Le traitement de cette affaire, non seulement par la justice, mais aussi par le tribunal populaire de la société sénégalaise, fera cas d’école et pourra encourager ou étouffer la libération de la parole de milliers de victimes de viols et d’abus sexuels. Il peut potentiellement et tragiquement, dés-inciter ces dernières à ester en justice, car l’opprobre social, le décompte de sa parole en public, et le lourd tribut réputationnel sont un prix bien trop lourd à payer pour que ces dernières osent continuer à faire confiance en leur justice.
Il convient donc de veiller au respect des droits et libertés fondamentales garanties par notre constitution en son article 7 pour un traitement équitable des deux parties en présence (autant Adji Sarr, qu’Ousmane Sonko) pour une instruction impartiale et juste :
« La personne humaine est sacrée. Elle est inviolable. L’État a l’obligation de la respecter et de la protéger. Tout individu a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité, au libre développement de sa personnalité, à l’intégrité corporelle notamment à la protection contre toutes mutilations physiques.
(…) Tous les êtres humains sont égaux devant la loi. Les hommes et les femmes sont égaux en droit.
(…) Il n’y a au Sénégal ni sujet ni privilège de lieu de naissance, de personne ou de famille. »
C’est donc le lieu à travers cette affaire qui n’a que trop débordé, car instrumentalisée à des motifs politiques (électoraux) de montrer que la justice pour les pauvres n’est pas une pauvre justice, et d’abolir les privilèges de classe et les violations de notre charte sacrée qui nous rappelle en son article 42 que :
« Le président de la République est le gardien de la Constitution. Il est le premier protecteur des Arts et des Lettres du Sénégal. Il incarne l’unité nationale. Il est le garant du fonctionnement régulier des institutions, de l’indépendance nationale et de l’intégrité du territoire. »
Ceci est donc un texte qui dit non à l’élusion de trop qui veut faire illusion et usage de raccourcis faciles pour étouffer d’un côté les paroles d’une énième dénonciatrice de violence sexuelle (qu’il revient à la justice d’évaluer et de trancher) et de l’autre, le discours et l’action d’un ministre de l’Intérieur aux allures pétainistes, bras armé de l’exécutif, prompt à user et de la rhétorique de la terreur et du monopole de la violence légitime pour surveiller, et punir ; tuer aussi s’il le faut.
En effet, au terme de plusieurs semaines de débats houleux, le ministre de l’Intérieur Antoine Félix Diome, a surpris par le ton de son adresse publique télévisée. Dans un discours bilingue à géométrie variable, le ministre a donné une version française peu ou prou politiquement correcte, se terminant avec une promesse ‘déplacée’ d’alléger les mesures de couvre-feu sous peu comme si tel était la source des tensions. Le discours en Wolof, en revanche, était plus menaçant et alarmant sur les circonstances de l’arrestation de Sonko et à l’endroit des manifestants. Le ministre de l’Intérieur s’exprimant alors qu’une sortie présidentielle aurait été plus appropriée, a fait usage de termes inappropriés à la limite de l’insulte pour encore une fois caractériser les jeunesses sénégalaises de masses terroristes. Ceci prouve une fois de plus le fossé qu’il existe entre ceux qui nous gouvernent et nous-mêmes, leur incapacité à lire les actes posés.
Les privilèges du temps et de la parole face aux leçons de l’Histoire : Une opportunité ratée de communiquer et de communier
Prendre le recul obligatoire, l’urgence de réagir ou de sembler agir et résister aux instincts grégaires, pour laisser aux idées le temps de la maturation nécessaire est pour moi une quête. Un privilège aussi, je le concède. Alors qu’approche le 8 Mars, il convient aussi de reconnaître que le temps semble être la devise rare, un énième privilège qui ne fait pas défaut à la majorité d’hommes politiques affables qui ont pris d’assaut les médias de leur belle ballade du sabador depuis le début de cette affaire. La pauvreté du temps est un phénomène bien connu de la plupart des femmes qui combinent moult casquettes et rôles sociaux. Pour ma part, bien que le sursaut d’indignation était présent depuis les premiers jours de ce qu’il est convenu d’appeler “l’affaire Adji Sarr-Ousmane Sonko”, il me fallait trouver un créneau entre l’enseignement à l’université, le labeur de mère et le temps du recueillement et du repos que je m’impose, pour m’indigner comme je le souhaite sans qu’aucun événement externe ne vienne troubler ce silence temporaire et salutaire du temps.
Dans le même temps, je souhaitais aussi résister à l’urgence d’agir ou de réagir qui caractérise souvent le temps des réseaux sociaux. Mais de rester fidèle au temps du chercheur qui ne doit aucunement se mouler dans la hâte, mais épouser le temps de l’investigation méticuleuse, la nonchalance féconde, le loisir de la lenteur, de l’introspection et de la rétrospection, basée sur une analyse scrupuleuse des faits et parfois nécessairement, de l’intime conviction, aussi.
Mon intime conviction est que l’actuel gouvernement sénégalais n’a pas su lire clairement les actes de son peuple. Il n’a surtout pas su voir au-delà de cette affaire Sarr-Sonko et comprendre qu’elle ne fait que cristalliser des frustrations et des rancœurs plus anciennes, à l’endroit du président actuel qui suit les pas de son prédécesseur pour se dédire au sujet d’un probable troisième mandat, traitant ceux et celles qui l’ont porté au pouvoir comme une masse insignifiante. Que de pertes inutiles en vies humaines face à un mutisme d’un dirigeant au mieux amnésique qui n’ignore nullement que l’histoire peut se répéter soit en tragédie, soit en farce. Il semble que l’on a emprunté le premier chemin.
Je termine donc avec ces quelques vers des Châtiments de Victor Hugo :
« Le plus haut attentat que puisse faire un homme (…)
C'est, quel que soit le lieu, le pays, la cité
D'ôter l'âme à chacun, à tous la liberté.
Dans la curie auguste, entrer avec l'épée,
Assassiner la loi dans son temple frappé,
Mettre aux fers tout un peuple est un crime odieux
Que Dieu, calme et rêveur, ne quitte pas des yeux.
Dès que ce grand forfait est commis, point de grâce
La Peine au fond des cieux, lente, mais jamais lasse
Se met en marche, et vient ; son regard est serein.
Elle tient sous son bras son fouet aux clous d'airain. »
Victor Hugo, Jersey. Les Châtiments, novembre 1852.
Dre Rama Salla Dieng est citoyenne sénégalaise, Maitresse de conférence en Développement international et études africaines à l'Université d'Édimbourg, Royaume-Uni.