VEILLÉES AFRICAINES DE NDÈYE ASTOU NDIAYE OU L’ART DU RÉCIT INITIATIQUE
EXCLUSIF SENEPLUS - À travers ce livre, elle renseigne l'organisation sociale et le tableau culturel qui associent des images fortes et des valeurs universelles, celles de la loyauté, de l’engagement, du partage, de la fidélité, de l’humilité...
Notre patrimoine littéraire est un espace dense de créativité et de beauté. La littérature est un art qui trouve sa place dans une époque, un contexte historique, un espace culturel, tout en révélant des vérités cachées de la réalité. La littérature est une alchimie entre esthétique et idées. C’est par la littérature que nous construisons notre récit qui s’inscrit dans la mémoire. Ainsi, la littérature africaine existe par sa singularité, son histoire et sa narration particulière. Les belles feuilles de notre littérature ont pour vocation de nous donner rendez-vous avec les créateurs du verbe et de leurs œuvres qui entrent en fusion avec nos talents et nos intelligences.
Avec Veillées africaines, Ndeye Astou Ndiaye, professeure, romancière et nouvelliste, devient la voix de la transmission narrative du conte qui a valeur pédagogique, tout en créant un bel espace littéraire.
Au cœur des origines de l'humanité, le conte était de tradition orale et permettait de raconter, de manière directe, un récit qui s’apparente à l’esthétique littéraire. Par ce moyen, on peut dire que le conte était un mode de transmission mémorielle avant l’apparition de l’écrit.
Par un processus de mémorisation spécifique et par son interprétation, le conte appartient, de manière universelle, à la forme d’un récit qui renseigne sur l’histoire culturelle et sociale, tout en donnant à réfléchir à une problématique humaine qui est riche d’enseignement. Cette disposition orale et métaphorique devient la construction d’une pensée, ou plus exactement d’un raisonnement, tout en s’appuyant sur la dynamique narrative du réel et de l’imaginaire. Ainsi, par cette combinaison littéraire, le conte fait partie de la mémoire historique et culturelle.
Si l’on s’arrête un instant sur la didactique du conte, il apparaît que la dramatisation est accentuée et qu’elle devient ainsi, au-delà du contenu didactique, « une ruse de la raison orale », comme le souligne Mamoussé Diagne.
Pour le conteur, l’interprétation est parfois si grande que les analystes attribuent au conte un caractère profane. À travers le conte, on souhaite transmettre un savoir mais c’est le principe narratif, quelquefois travesti à l’extrême, qui donne sa validité au récit.
En ce sens, le conte laisse au locuteur une liberté d’expression suffisamment ample pour occuper une place décisive. On peut dire que le conte est aussi la « transposition » d’un phénomène social à travers le mécanisme d’un jeu qui tend à enseigner, à amuser, à faire réfléchir.
C’est cette articulation entre le réel et l’imaginaire, ouvrant un espace du possible, qui caractérise le conte. On apparente souvent le conte à une « petite pièce de théâtre » car la dramatisation, le travestissement des personnages tiennent un rôle majeur dans l’énoncé du conte. L’énoncé linguistique qui introduit le récit (il était une fois, etc.) ainsi que les relances à l’égard du destinataire constituent les éléments du rituel narratif. De même que les lieux, l’époque, les événements sociaux et culturels dans lesquels le conte se déroule ont toute leur importance. Par exemple, le soir est souvent propice à la narration du conte.
L’introduction au conte, ou sa mise en condition d’écoute, est très importante et s’inscrit souvent de manière formelle. Il en va de même pour la « finale » du récit. La chute du conte est le résultat du paroxysme entretenu par le récit, elle a aussi le rôle de rassembler les éléments profonds de la fable de manière pédagogique. Ici, le conteur conclut par une vérité qui éclaire la leçon en dépassant le récit lui-même.
Mais l’épilogue du conte n’est parfois qu’un prétexte, il n’est pas obligatoirement une contraction du récit mais plutôt une révélation décisive qui implique un questionnement. L’énonciation ultime provoque souvent une espèce de « démarche à rebours » du récit.
Ainsi, on pourrait dire que la conclusion du conte est le début d’une vérité, d’un savoir, d’un fait sociologique ou historique. Cette dramatisation de l’énoncé apporte au conte deux fonctions : une valeur illustrative et une valeur d’archivage ou de mémorisation. Ainsi le conte possède un rôle d’éducation car la toile du récit ainsi inventée permet une appropriation de valeurs morales, sociales, une réflexion sur une problématique nouvelle ou ancienne. Le caractère fictif du conte permet de mettre à distance l’implication humaine que chacun peut ressentir. L’utilisation des animaux de la faune, représentation irréelle de la nature humaine, en est un parfait exemple. La personnification, figure de style majeure du conte et de la poésie, apporte une nouvelle vision qui provoque l’inattendu, l’émotion, le sourire et la reconnaissance d’une situation qui s’inscrit dans le plausible tout en utilisant des artifices littéraires.
Avec Veillées africaines, Ndeye Astou Ndiaye, professeure, romancière et nouvelliste, devient la voix de la transmission narrative du conte qui a valeur pédagogique, tout en créant un bel espace littéraire. Tous les ingrédients du schéma narratif y sont présents : exposition, objet déclencheur du changement, intrigue, péripéties et résolution finale. Par sa composition narrative, la structure du conte possède un caractère initiatique qui amène le lecteur à une analyse des données pour dépasser, par exemple, un stéréotype humain. Pour assurer cette continuité culturelle, Ndeye Astou Ndiaye se fait la narratrice de l’enfance, période première de la formation, et tout ce qui fonde notre pensée, tout en développant nos capacités de construction mentale qui s’allient au merveilleux.
Ici, Ndeye Astou Ndiaye utilise tout le tissu allégorique africain et ses métaphores. Par ces récits, elle renseigne l'organisation sociale et le tableau culturel qui associent des images fortes et des valeurs universelles, celles de la loyauté, de l’engagement, du partage, de la fidélité, de l’humilité, la protection de la terre et de ses bienfaits et de l’espérance. De cet appareil narratif en apparence candide, elle rappelle l’importance de notre créativité,
En utilisant la transformation, et l’allégorie des animaux et de la flore, elle invite chacun à se saisir de la métamorphose littéraire pour en donner un sens éducationnel, pour créer une sorte de récit d’apprentissage qui a valeur de leçon. En cela, l’écriture du conte se rapproche de la poésie par ses images, par son langage, par ses anaphores et ses tropes littéraires.
De même, elle utilise des symboles typiquement africains, le baobab, les royaumes anciens, la ronde sociale et familiale incarnée par la case, la place de la femme dans nos sociétés à vocation matrilinéaire, les noms propres puisés dans notre sémiologie, ou encore des proverbes wolofones, pour ancrer ses récits dans nos conventions romanesques qui produisent une identification remarquable. L’originalité vient aussi que le recueil, dans sa deuxième partie, est traduit en wolof. Utiliser ici la langue wolof est un acte d’engagement puissant qui permet l’appropriation par l’expression du langage qui apporte avec lui une illustration au plus proche du sens de l’univers africain.
En ce sens, elle produit des récits qui posent la problématique de la transmission dans une dynamique pédagogique qui s’inscrit pleinement dans la renaissance panafricaine. De cet allié culturel, elle en fait une matière didactique qui a une valeur mémorielle et émotionnelle.
Ainsi, avec Veillées africaines, Ndeye Astou Ndiaye réussit à incarner un irréel réinventé par des emblèmes africains qui entraîne, de manière belle, la métamorphose de notre patrimoine littéraire, inspiré par son propre récit, par son verbe dans toute son altérité et par son identité culturelle.
Amadou Elimane Kane est écrivain, poète.
Veillées africaines, Ndeye Astou Ndiaye, éditions Lettres de Renaissances, Paris, novembre 2024, ISBN : 978-2-36929-044-5.
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