L’AVENTURE HUMAINE
MAM J, CHANTEUR REGGAE
Son album, «Lettre du Continent», aurait peut-être pu s’intituler «Questions d’actualité». Mam J, chanteur reggae, y parle de terrorisme, des relations entre la France et ses anciennes colonies…Comme il parle de ces dizaines de petits mendiants qui traînent dans nos rues...Sans doute parce que certains silences vous rendraient presque complice. Au cœur de sa démarche artistique, qui se superpose à son projet social, il y a l’Humain ; sans fragments, ni cloisons…
Il vous citera Bob Marley, légende du reggae, comme il vous citera l’un ou l’autre des poètes soufis…Le grand écart ? Pas vraiment...Il est comme cela Mam J, un peu éclectique, un peu-beaucoup rasta, engagé, par civisme, mais sans aucune accointance politique, «ni à gauche, ni à droite, ni Y’en a marre», et plutôt «sentinelle». Et sans autre mouvement que celui-là : le Mouvement reggae. Il dit d’ailleurs que derrière ses dreadlocks, il est rasta, comme il est musulman, sinon Baye Fall, et sans la moindre contradiction…Et que, pour faire court, lui se contenterait tout simplement d’être Humain.
Pour les inexpérimentés, l’intitulé de son nouvel album, «Lettre du Continent», passerait quasiment pour une fausse piste. Il en rit d’ailleurs, avec l’air de dire que dans la bouche d’un rasta, la notion de Continent n’a rien d’étriqué, puisque celle-ci évoque tout simplement l’idée d’«une seule nation, une seule Humanité».
Au-delà de son côté philosophique, «Lettre du Continent», dans le fond, ce sont surtout des «questions d’actualité» comme il dit : «Blacks Blancs Beurs», histoire de rappeler à la France qu’elle a une «dette d’honneur», vis-à-vis de l’Afrique et de ses tirailleurs, ou «Sales terroristes», contre tous ceux qui se réfugient derrière de fallacieux prétextes, ou qui se «barricadent derrière l’islam» pour commettre des atrocités.
Mam J a aussi consacré une des chansons de son répertoire à ce qu’il a appelé des «Talibés de rue», par opposition à ces «Talibés de maison», ou domestiques, comme lui il y a quelques années, à qui l’on enseigne le Coran, sans avoir à leur demander de mendier. Et derrière cette petite comparaison, on pense forcément au Rat des villes et au Rat des champs, dans la fable de La Fontaine.
Vous l’entendrez peut-être dire que derrière ce problème, il y a surtout beaucoup d’ «hypocrisie sociale». Car en distribuant quelques pièces de monnaie à ces gamins en guenilles, on ne fait pas autre chose qu’entretenir cette «mendicité» pas comme les autres, sinon le système.
Quant à l’initiative du président de la République, qui avait annoncé que les enfants de la rue seraient définitivement retirés de la rue, la démarche est à «saluer», dit l’artiste, même si, nuance-t-il, Macky Sall n’est pas tout seul dans cette histoire. «Il écrit, signe et décrète, mais ce sont bien les parents qui envoient leurs enfants dans la rue ». Sans parler de la responsabilité des guides religieux eux-mêmes, des imams, des artistes, des citoyens, des uns et des autres.
MAM J ET MANJUL
L’album lui-même est assez spécial pour Mam J, ne serait-ce que parce qu’il a été réalisé au Mali, confié aux soins de Manjul, pseudonyme du multi-instrumentiste franco-malien Julien Souletie. Un «album live, avec un technicien et plus de trois choristes, un batteur, un claviste, un bassiste, un trompettiste…» En plus de certains instruments traditionnels africains : la kora, le djembé etc.
Manjul, par hasard ? Certainement pas. Dans le milieu, disons que l’homme a la cote, puisqu’il a par exemple collaboré avec Salif Keïta, comme avec Amadou et Mariam, pour ne citer que ceux-là, et disons aussi que Mam J voulait évidemment un album digne de ce nom, mais pas que : «Si je suis allé jusqu’au Mali pour travailler avec Manjul, dit-il, c’est parce que je voulais que Lettre du Continent soit le meilleur album de reggae en Afrique».
Dixit un chanteur de reggae, qui a d’abord commencé par faire du rap. Mam J raconte comment, avec deux amis à lui, il avait lancé «Ndongo Yii» en 1996…Puis il y aura cette période d’incertitude. «Je cherchais mon chemin» se souvient-il, et c’est alors que le chanteur Faada Freddy, qui l’a entendu sur les deux registres, lui suggèrera de ne plus faire que du reggae, parce qu’il y mettait toute son «âme».
Son nom d’artiste, ou de scène, un code à déchiffrer, a justement quelque chose à voir avec l’âme : Mam, comme le diminutif de Mamadou, son prénom, J pour Jah, Ras pour rastafari, et Soul, pour l’âme en anglais. Vous savez tout, ou presque…
Un artiste engagé, qui estime qu’il ne faut surtout pas attendre de décrocher un Disque d’Or quand on est chanteur, ou d’être le président de la République quand on est un homme politique, pour s’impliquer. Pas question non plus d’attendre que les hommes politiques veuillent bien faire quelque chose.
Le chanteur n’hésite d’ailleurs pas à parler de «participation citoyenne», lui qui a lancé, de Nianing où il est installé, un certain nombre de projets : des lanternes contre l’obscurité, et contre l’insécurité, «une école une poubelle», «une gare routière une poubelle», une bouteille d’eau de javel pour chaque femme qui accouche, dans des zones où ce n’est pas toujours très évident, etc.
Si Mam J fait du social, c’est aussi pour chasser cette image d’un rasta «fumeur de chanvre indien», ou marginal. Mais comme il dit lui-même, mi- philosophe, mi- lucide, «c’est un long processus».
Dans une poignée de jours, ce sera le 36ème anniversaire du décès de Bob Marley (il avait 36 ans), et pour Mam J, il faudrait justement aller au-delà de cette date du 11 mai, l’une des rares occasions où l’on penserait un peu à eux, chanteurs et musiciens de reggae, qui retournent ensuite à leur quotidienne routine.