«MACKY SALL EST VICTIME D’UNE AUTARCIE AUTOUR DE LUI»
Palabres avec… Moussa Sene Absa, réalisateur

Connu pour son franc-parler légendaire, Moussa Sène Absa, réalisateur sénégalais connu et reconnu, sort de son silence. Il a produit en l’espace d’une année deux films dont le dernier est consacré à la ténébreuse affaire concernant Me Babacar Sèye assassiné le 15 mai 1993 au lendemain de la publication des résultats des élections législatives. Nous l’avons rencontré pour échanger sur de nombreux sujets relatifs à la situation actuelle du cinéma sénégalais. Dans cet entretien, l’excellent réalisateur pose un regard lucide sur le septième art sénégalais. Entretien…
Moussa Sène Absa, le Sénégal est ainsi absent de la programmation officielle du FESPACO (Festival Panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou) dans la catégorie longs métrages après avoir atteint le Graal. Quelle lecture en faites- vous ?
La première lecture que je peux faire c’est d’abord la non -diffusion de certains films qui sont financés mais qui ont malheureusement été mal financés. Par exemple, si je prends le film de Ben Diogaye Bèye dont une partie est tourné au Sénégal et une autre devrait se faire aux Etats Unis, ils ont tourné la partie sénégalaise qui représente 10% du film et il reste la partie américaine qui représente les 90%. Je suis d’avis qu’il aurait fallu financer sur une autre configuration. C’est-à-dire qu’il ne fallait pas lui donner cent millions de francs CFA. Un film comme ça, il faut au moins trois cent millions. Il aurait pu commencer de tourner avant d’aller poursuivre avec des partenaires américains en tenant au moins deux cent millions. Parce qu’au bas mot, cela va couter au moins un million de dollars pour tourner aux Etats Unis. Le deuxième film, c’est celui de Laurence Gavron. Elle aussi a un problème de finition. Parce que justement, il y a une partie post -production qui n’arrive pas à se faire. Le troisième film, c’est celui de Khady Diouf. Mais eux, ils ont préféré chercher d’autres festivals beaucoup plus prestigieux comme Cannes, Venise pour arriver à boucler le budget. C’est vraiment la justification de notre absence sur ce segment officiel de la compétition au Fespaco. Mais on a des courts métrages et des documentaires qui sont bien présents. On a de très bons films sénégalais qui vont être présents à Ouagadougou. Il y aura au moins six ou sept films du Sénégal et ceci est à mettre au crédit de l’appui du Fonds de Promotion de l’Industrie Cinématographique et Audiovisuelle (FOPICA)
On pourrait donc en déduire que le Fonds de Promotion de l’Industrie Cinématographique et Audiovisuelle (FOPICA) constitue une goutte d’eau ?
C’est un geste très important qui a permis de redynamiser notre cinéma. Le hic, c’est qu’aujourd’hui, ils sont confrontés à de gros problèmes de financement. Parce qu’ils ont pu glaner lors des deux premières années, à chaque fois un milliard. Ce qui fait deux milliards. Le Président a promis, il y a deux ans, que cela soit porté à deux milliards. Donc, il nous doit quatre milliards en plus de celui de cette année - là en cours. Cela fait donc six milliards. Sur les six milliards, il y a un milliard effectivement dépensé. Ce qui fait qu’il y a un gap terrible. C’est à dire que le finamncement du Fopica n’a pas été pérenne. Ce qui permettrait aux films de se faire. Et à la limite de venir en phase de post -production pour solliciter un autre financement et terminer la production. Il y a aussi le choix de saupoudrer des films en donnant à chacun trente millions, soixante millions ou cent millions sur un budget initial de un milliard. Je pense que ce n’est pas très pertinent. Je l’ai dit aux responsables du FOPICA. A mon avis, il faudrait, sur les deux milliards, financer chaque année deux bons longs métrages. Disons à quatre cent millions pour chaque film. On va financer dix courts métrages de fiction à hauteur de 20 millions chacun. Ce qui fait un total de deux cent millions. Là, le premier milliard est déjà parti. Pour le milliard qui reste, on va financer cinq longs métrages documentaires. Je vais m’arrêter sur cet exemple car si on donnait à des réalisateurs la possibilité de faire des documentaires grands formats sur Cheikh Ahmadou Bamba, Limamoulaye, Aline Sitoe, l’Abbé Diamacoune Senghor, Serigne Fallou, Dabakh etc., ce sont des films qui sont entièrement importants pour notre patrimoine culturel. Chaque année, on peut en faire cinq à cinquante millions. Cela fait un total de deux cent cinquante millions. On peut aussi financer des courts métrages fictions à dix millions sur les cinq. Cela donne cinquante millions en plus des deux cent millions. Ce qui fait un total de trois cent millions. Il reste alors sept cent millions pour l’administration du Fopica et la formation. Il faut organiser des ateliers de formation afin que les gosses aient la possibilité de s’accompagner avec des ainés qui leur font des ateliers comme cela se passe partout au Maroc, en Tunisie, au Burkina etc. Je donne l’exemple de la possibilité que j’ai de former cinq jeunes à Popenguine pendant cinq semaines... Au bout de la formation, il y a un film qui est réalisé. Donc il faut prendre des initiatives comme cela pour booster la formation. C’est vraiment très important. Maintenant, sur le principe du FOPICA et son ambition de penser au cinéma, c’est vraiment important à mes yeux. Mais à quoi sert le cinéma s’il n y a pas de salles de cinéma ? C’est à dire si les films ne sont pas vus par le peuple. Parce que le cinéma est fait pour être montré au peuple, pas pour aller à des festivals. C’est pour montrer au peuple un visage, un miroir, un miroir d’amour, un miroir d’éveil. Une lanterne pour un peuple. C’est vraiment ça le but de l’art.
Il y a également ce centre national de la cinématographie et de l’audiovisuel, cheval de bataille des cinéastes sous Wade, qui ne semble plus être d’actualité…
C’est la chose la plus importante qu’il faut faire pour le cinéma. C’est primordial bien qu’on n’inventera pas la roue pour le cinéma aujourd’hui. Celui français est puissant, présent dans le monde parce qu’il y a le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée ndlr.) Il y a des outils d’encadrement de formation, de production, d’animation, de vulgarisation de la culture cinématographique. Et cela fait partie du bon gout, du bon vivre français et du romantisme français. La France s’est bien « romantisée » à travers son cinéma. Le centre national du cinéma sénégalais est une priorité. A la limite, je vais commencer par faire d’abord un centre national du cinéma. Après, le FOPICA vient pour s’intégrer dans ce centre. Ce centre serait un établissement public qui aura son autonomie financière avec la possibilité d’aller chercher des fonds dans le privé et un peu partout. Il faudrait aussi qu’il dispose d’une mobilité financière. Cela veut dire que l’on n’a pas besoin de faire le tour des ministères pour disposer de fonds. Je pense que l’outil principal pour la relance du cinéma aujourd’hui se trouve vers cette voie après le FOPICA, cet outil de propulsion de notre cinéma avec la jeune vague… Car il y a des films de Khadidiatou Sow, d’Abdou Khadre, des jeunes cinéastes qui commencent à émerger. Et cette graine est très belle. Il y a une très belle graine de notre cinéma !
Vous avez été un des plus grands contempteurs de Me Wade. Qu’est –ce qui a réellement changé après son départ ?
Moi j’ai une position de citoyen et je n’ai pas de coloration politique. Je me suis battu contre Wade et j’ai fait un film terrible sur lui. Et surtout les conséquences de sa politique. Mais je pense, malgré tout, qu’il avait de la volonté. Parce qu’il m’a reçu deux fois et je pense qu’il avait de la volonté. Il était très mal entouré et Macky Sall est en train de suivre la même voie. Il est victime d’une autarcie autour de lui. Ce qui fait que personne n’a accès à lui. Je ne communique pas personnellement avec lui. Est-ce que vous saviez que Wade m’appelait malgré nos divergences. Il avait quand même quelque chose de très touchant. Pour en revenir à votre question, je me dis que ça, c’est ma position de créateur. Ça n’a rien à voir avec la personne. Ce n’est pas Macky Sall ou Wade, car je n’ai pas de problème de ce genre. J’ai envie de voir la culture de mon pays être érigée en bonne place dans le rang mondial comme il se doit. Parce que nous avons été le berceau de la cinématographie africaine. Nous avons créé le FESPACO. Le Sénégal doit avoir la possibilité d’avoir chaque année trois grands films au moins sur la scène mondiale. Notre pays doit être un endroit qui accueille de très grands festivals. Nous avons un très beau pays qui est très accueillant. Il est tellement connu comme le pays de la Téranga. Le Sénégalais est reconnu pour cette générosité de s’offrir et de s’ouvrir aux autres. Nous sommes très accueillants et nous devons être capables de faire un grand festival du cinéma au Sénégal plus une biennale de très grande facture. Il s’agit là de choses que l’on doit réussir.
Votre dernière production est consacrée à l’affaire Me Seye. Pourquoi ce besoin de rouvrir cette blessure ?
C’est parce que moi, je n’aime pas l’injustice. Et ça, c’est la première règle. Ensuite, j’ai toujours pensé à cet homme. J’ai tourné dans ma tête de très nombreuses questions. Je me disais comment il s’est réveillé ce jour - là ? Qu’estce qu’il a dit la veille à sa femme, ses enfants et ses amis ? Sa foi en Dieu etc. Et puis un beau jour Pan Pan Pan !!! Et cet homme est mort. Il n’était pas n’importe qui. Ce n’était pas Mor Mboup qui est mort là, à côté. Non, pas du tout ! C’est quelqu’un qui a été vice- président du Conseil Constitutionnel, qui a été ambassadeur, qui a été député, qui a été bâtonnier de l’ordre des avocats, qui a été maire de Saint Louis. Et là, je me suis dit que l’on ne peut pas passer par perte et profit l’assassinat d’une personnalité de cette envergure. Je voulais en faire d’abord une fiction. Mais c’était un peu trop compliqué et lourd. Après de nombreuses démarches, je me suis approché de Pape Sy, un jeune producteur de « Kan Foré » Production, qui a fait les films de Lahad et Amina et avec ma structure « Bet Set Production ». Nous avons décidé de partir en coproduction et de faire le film ensemble.
Ne craignez-vous pas que d’autres s’en emparent pour en faire une affaire politique à l’instar des préoccupations de l’actuel ministre de la Culture ?
Il faut que je vous dise une chose importante sur ce film et je peux le jurer sur le Saint Coran. Je n’ai rien fait pour que la sortie du film coïncide avec les élections. Je voulais le sortir l’année dernière et puis je n’étais pas content du résultat obtenu et de quelque chose qui me manquait. Par la suite, je les ai trouvés et je les ai intégrés. Cela a pris du temps et puis j’ai remonté des choses etc. Cette année ou plutôt l’année dernière, je me suis dit que j’en ai marre d’attendre. J’ai alors dit à Pape Sy : « vous sortez le film ! ». Et c’est là que le FOPICA, la Direction de la Cinématographie m’a aidé à prendre en charge la salle et organiser la cérémonie de lancement. Tout pour dire que je n’ai rien fait pour que cela coïncide avec les élections. Pour la seconde chose et concernant Monsieur le ministre de la Culture, ce n’est pas sa thèse qui est écrite sur son livre. Je dirai que c’est de bonne guerre. Je ne lui en veux pas ! Il a sa version et moi j’ai ma propre version. Je ne crois pas à sa version et c’est aussi simple que cela. Il y a eu beaucoup de versions et on a beaucoup écrit sur ce sujet. Me Madické Niang a aussi écrit récemment un livre en réponse au livre de Latif Coulibaly. Pourtant, après, il l’a remis dans les cartons. Il m’en a remis un exemplaire et ce n’est pas sorti. Pourquoi ce n’est pas sorti? Pourquoi ce silence car beaucoup de personnes que je voulais interviewer ont refusé. Certains m’ont fait courir pendant longtemps et j’ai compris qu’ils ne voulaient pas s’exprimer. Ma conviction est faite que c’est un pan peu glorieux de notre histoire démocratique. Je pense qu’il fallait en parler. Ce n’est vraiment pas pour soulever ou rouvrir une blessure. Non, pas du tout ! C’est juste pour que les Sénégalais puissent se ressaisir. Parce que ça s’est passé exactement à des périodes exactement comme ça d’opposition radicale, d’affrontements etc. Juste pour des intérêts crypto personnels. Ils ne se battent pas pour les intérêts du peuple. Ils se battent pour garder le pouvoir, pour arriver au pouvoir et s’entourer de courtisans et continuer à faire la même chose.
Justement, vous interpelliez récemment les candidats à la présidentielle sur l’absence de programme culturel. Quelles sont vos attentes ?
Comme tout le monde j’ai vu que certains comme Idy et Sonko ont écrit quelque chose dans leurs programmes par rapport à la Culture. Mais il faut qu’ils comprennent tous que le Sénégal, c’est notre terroir, c’est notre famille, c’est notre terre, c’est notre territoire. J’attends vraiment que les candidats à cette élection présidentielle me fassent comprendre de notre propre culture. Je parlais tout à l’heure des grands films possibles sur nos grandes figures comme Cheikh Ahmadou Bamba, Dabakh et tous les autres précités. Ce sont des séries qu’il faut absolument réaliser. Je suis partant pour en faire. En ce qui me concerne, j’ai essayé de faire un film sur Cheikh Ahmdou Bamba. Ce sont des films à faire. Nous ne pouvons pas ne pas faire des films sur nos grandes figures et nos ancêtres. Pour moi, c’est capital et il faut impérativement que l’on remédie à cela.
En tant que précurseur des séries au Sénégal avec « Goor Gorlou » que pensez-vous de la prolifération de ce genre au Sénégal ?
Là, je donne l’image d’un has been (rires). Ils ne font pas des choses qui font avancer le pays. La création, c’est aussi pour faire avancer les choses. Ce n‘est pas pour que le pays s’embourbe. Ils parlent de nos réalités de manière tellement superficielle. Cependant, je trouve qu’il y a de très bonnes séries et il y a bien une possibilité d’en produire de très bonne qualité. A titre d’exemple, je prends « Tundu Wundu » qui est un excellent produit. Je l’ai trouvé excellent et je ne le ratais pas. Je pense qu’il y a des possibilités de reformater tout cela et de l’adapter à une narration particulière qui nous parle.