PREMIER ALBUM POUR LES FRÈRES SARR : MAJNUN ET SAHAD
On connaît Felwine Sarr, auteur d’« Afrotopia », et son goût pour les idées, mais moins sa passion pour la musique, qu’il a transmise à sa fratrie.
De la patience, Majnun « le fou errant » n’en manque pas assurément. Sahad & The Nataal Patchwork non plus. Il aura fallu dix ans au premier et sept ans au second pour sortir leur premier album. Kindépili pour Majnun et Jiw pour Sahad & The Nataal Patchwork. De longues années pendant lesquelles ces artistes sénégalais auront enchaîné les concerts, testant leurs compositions auprès de leur public, les réajustant si nécessaire, les enrichissant ou les simplifiant. Et pendant lesquelles chacun se sera entouré de musiciens au parcours et au profil variés.
Majnun a créé, à Orléans où il est installé, son propre groupe Waliyaan (« exil » en wolof) avec des musiciens sénégalais, congolais, français ou encore originaires du Maghreb et avec qui il a tourné pendant sept ans avant de poursuivre sa route en solo. Quant à Sahad, avec des amis venus du Mali, de République démocratique du Congo, du Nigéria… qu’il a rencontrés notamment sur les bancs de l’université Cheikh Anta Diop à Dakar, il a constitué le Nataal (« portrait » en wolof) Patchwork.
De longues années aussi pendant lesquelles il aura fallu convaincre la famille que c’est de musique qu’ils voulaient vivre. On imagine déjà les parents inquiets de les voir abandonner leurs études pour se consacrer à leur passion. Les conseils, sinon les remontrances, notamment quand le premier (Majnun), bon étudiant, a été envoyé en France pour réaliser un master de droit là où l’aîné a décroché un doctorat d’économie. On conçoit sans peine les discussions inévitables sur l’importance des diplômes pour s’assurer une situation. On devine l’appréhension quand, chez le second (Sahad), ce choix s’accompagne d’une quête spirituelle et d’une retraite en pleine « forêt pour méditer ». Et ce d’autant plus que les deux artistes sont issus de la même fratrie !
Abdou Karim Sahad (« la moisson », en sereer) et Djibril O Youngatt (« celui qui tient compagnie »), alias Majnun, sont les cadets de… Felwine Sarr, l’auteur de l’essai remarqué Afrotopia. La musique, ils l’ont découverte grâce à lui. Lorsque, étudiant en France, lui-même à la tête d’un groupe de reggae Dolé qui sera programmé sur des scénes comme celle des Eurockéennes, du Printemps de Bourges ou encore des Francofolies de La Rochelle… il envoie à sa famille une guitare. « Je devais avoir 17 ans, se souvient Majnun, né en 1981. Avec mes frères, on s’est formés en autodidacte, entre nous, et en prenant conseil auprès d’amis. »
Une quête spirituelle
Un passe-temps qui devient vite passion. Une manière d’écrire une certaine poésie et d’exprimer, chez chacun d’eux, des préoccupations d’ordre politique ou socio-économique sur l'indépendance de l’Afrique, le néocolonialisme, l’exode rural, la tolérance. Mais aussi moyen de traduire une quête spirituelle. Quête que retrace Felwine Sarr dans Dahij mais déjà présent dans son album solo, plutôt folk, Bassaï, sorti en 2007 et dans lequel résonnent les noms du poète perse Rumi ou de Lamartine. L’un des chapitres de Dahij porte même le nom du titre éponyme de Bassaï ; un autre, celui du morceau Tout disparaîtra.
Sahad Sarr, lui-même baye fall, rend hommage à cette pratique singulière du mouridisme et invite tout un chacun à trouver l’apaisement à l’intérieur de soi. Djibril Sarr a choisi, quant à lui, d’endosser le nom de l’un des personnages légendaires de la littérature soufie. Mais Felwine Sarr a renoncé à une carrière musicale. « Felwine aurait aimé être à fond dans l’écriture et la musique. Mais c’est l’aîné. Il n’a pas eu le choix. Quand il est rentré au Sénégal, il a du devenir le support financier de la famille. Nous avons eu la chance d’avoir ce frère-là », admet, reconnaissant, Sahad Sarr
Aimant croiser les influences, faire entrer en dialogue des accents wolof, sereer, moré, bambara, portugais, lingala… et faire se rencontrer des rythmes éclectiques, Sahad et Majnun ont su chacun créer leur propre univers. Afrofusion teintée de jazz-rock et de blues malien sur fond d’afrobeat pour le premier ; davantage groovy et s’aventurant sur des chemins fertiles traversant le monde, du pays dogon aux contrées brésiliennes, de la rumba congolaise à la flûte peule, pour le second.
Kindépili (qui signifie « un cœur pur » en dogon), c’est l’histoire d’un petit garçon qui refuse de continuer à être la marionnette des autres et se libère en coupant ses fils. C’est une invitation à créer son espace de folie, car « c’est là seulement que réside la liberté. C’est enfin, explique Majnun, redonner toute son importance à l’émotion, à la sensation alors que l’on a tendance à n’écouter que la raison ».