ALIOU ET KARIM, UNE TRAJECTOIRE QUASI-SIMILAIRE
Macky Sall comme Abdoulaye Wade avaient promis de tenir leur famille éloignée de la chose publique. L’un et l’autre ont trahi leur serment, exposant frère et fils au même sort
«Aliou Sall doit démissionner !» Les oreilles du propriétaire d’Agritrans Sarl n’ont cessé de bourdonner de cette occurrence depuis la publication du reportage l’incriminant. Dits par l’opposition, ces mots pourraient être versés dans le registre simple du combat politique. Seulement, le frère du Président semble faire l’unanimité contre lui. Fadel Barro, Alioune Tine pour la Société civile. Madiambal Diagne, Moustapha Diakhaté pour le bord présidentiel. Au delà, le citoyen sénégalais a aussi décidé de jouer sa partition. Une pétition en ligne sur le site change.org a recueilli plus de 25 000 signatures pour une saisine de la justice.
Dans une déclaration, les auteurs y font la même demande. «Aliou Sall doit démissionner pour mettre son frère à l’aise», prennent-ils tous comme prétexte à leur requête. Le maire de Guédiawaye, président de l’Association des maires du Sénégal, directeur de la Caisse des dépôts et consignations refuse et l’écrit en gras sur son compte Facebook. Un entêtement qui expose et fragilise le pouvoir de son frère qui a fait face hier, à la détermination du peuple à manifester. En 2011, Karim Wade, ministre d’Etat, de la Coopération internationale, de l’Aménagement du territoire, des Transports aériens et des Infrastructures, avait aussi refusé la même demande pour mettre son père à l’aise. Ce fut le début du déclin du régime démocratique.
Né en 1969 à Foundiougne, Aliou Sall grandit à Fatick, à la faveur de l’affectation de son père. Élève ordinaire, il est peu porté sur les études, malgré l’intelligence que lui prêtent ses maîtres. Côté caractère, le garçon est réputé réactif, mais difficile à cerner. «Capable du meilleur comme du pire, il n’a peur de rien et abhorre être pris à rebrousse-poil», dit de lui un portrait réalisé par L’Observateur. A la Faculté de Dakar, il s’essaie un temps, aux Lettres, avant de se réorienter vers le journalisme. L’homme est déjà très engagé politiquement.
En 1993 déjà, il partage avec Mimi Touré ou El Hadji Kassé le directoire de campagne de Landing Savané. Karim Wade naît français en 1968. Son père, recruté comme professeur à l’Université de Dakar, conduit la famille dans le cossu quartier du Point E. Calme et timide, l’élève de niveau convenable fréquente l’école franco-sénégalaise, les Cours Sainte-Marie de Hann, puis s’envole en France pour la suite. Diplômé en ingénieurie financière, il progresse entre Paris et Londres. Ses activités se situent alors dans le conseil de multinationales. Après 2000 et l’élection de son père, ses activités s’élargissent au continent africain. La fréquence de ses allers-retours entre Londres et Dakar commence à s’intensifier. Jusque-là, il regarde de loin les carrières politiques se faire et se défaire autour de son père. Mais, lorsque ce dernier plaide pour le retour de la diaspora, il saisit l’occasion et dépose ses baluchons à Dakar, en 2002. Parachuté conseiller spécial, il devient l’homme de confiance du Président Wade. Le jeune homme qui est entré par effraction en politique, gagne en assurance et devient un «faiseur de prince». Au moment où Aliou Sall qui tire les dividendes de sa collaboration dans la «Marche bleue», en tant que dirpub du journal «Sopi ak Alternance», occupe quelques postes dans la sphère étatique.
L’histoire ne dit pas si le destin a rassemblé les deux hommes autour de leurs ambitions. Mais elle dit que lorsque le journaliste s’est envolé à Pékin pour assurer son poste de conseiller à l’Ambassade du Sénégal, son frère veillait à la Primature. Au Sénégal, Abdoulaye Wade s’échine à tailler un super costume pour son prince. Ni le ciel, ni la terre ne sont assez immenses pour contenir ses ambitions. La fusion entre les Transports et les Infrastructures, les secteurs qui pourvoient le plus de ressources, assurent à Karim Wade une puissance financière. Tandis que la Coopération internationale lui ouvre les portes des bailleurs. Plus tard, Samuel Sarr quitte l’Energie et le ministère lui est offert. «Ministre du ciel et de la terre». Les Sénégalais rient jaune. Karim leur donne du concret avec sa «Génération» de fous du roi devenus de puissants hommes. Son influence se tisse autour d’eux et grandit sa posture d’héritier. Le peuple s’irrite de cette légitimité fabriquée. D’autant plus que son amition s’étend désormais sur la ville de Dakar. Locales 2019 : il dépose sa candidature à la mairie du Point E et fanfaronne sur une victoire programmée. Défaite retentissante. Battu jusque dans son propre bureau de vote, il est plus que jamais impopulaire.
A armes égales, Aliou Sall réussit là où Karim Wade échoue. Il se sert du frère pour aller à la base. Doté d’un bagout en politique, il accepte d’être parachuté à Guédiawaye pour contrer Malick Gackou. Il participe aux Locales 2014 et remporte le suffrage. Ce mandat électif lui donne une légitimité, mais aussi de l’appétit. Prochaine étape, la présidence de l’Ams. Il use de son influence pour écarter Diouf Sarr alors candidat. Seulement, même s’il faut lui reconnaître un mérite, son statut de frère de… est un atout majeur. Lui même l’admet dans une interview accordée en 2009 à la presse internationale, «frère du Président Macky Sall lui a donné un marketing politique gratuit». Le Sénégal qui sort de l’ère du fils tout puissant, a peur de se retrouver dans le même schéma avec le frère tout puissant. Le Président Sall rassure : «J’ai dit à Aliou Sall qu’il ne bénéficierait jamais de ma part d’un décret de nomination.» Axiome démenti à l’épreuve du temps. En 2017, la Présidence publie sans scrupules la nomination du frère à la Caisse des dépôts et consignations. Les Sénégalais se sentent trahis par leur Président. On parle d’une dynastie au cœur du pouvoir. Le spectre de Karim Wade plane.
La malédiction de l’or noir
Alors que leur destin n’ont fait que se rassembler ou s’effleurer, les chemins d’Aliou Sall et de Karim Wade se rencontrent sur cette histoire qui risque de perdre le premier. Comme il a contribué à perdre le second. En 2010, le frère du Président, alors haut fonctionnaire à l’ambassade du Sénégal en Chine, fait la connaissance de Frank Timis qui lui aurait confié la gestion de la filiale sénégalaise de Petro-Tim. L’homme d’affaires roumain obtient la concession des blocs offshore de Kayar et Saint-Louis. Une opération validée par Karim Wade, alors ministre de l’Energie. Ces accointances valent aujourd’hui au frère du Président d’être accusé de corruption. Politiques, société civile, citoyens demandent une enquête. Le Président leur donne du : «Mon frère…» Dans le portrait d’Aliou Sall dressé par «L’Obs», il y fait une confidence : ««Il (Macky Sall) ne m’a jamais abandonné. Il m’a toujours protégé.» Wade a beau penser des scénarii pour protéger son fils, il n’a pu lui éviter le procès, la prison et l’exil. Destin réservé par le grand-frère Sall et que d’aucuns prédisent déjà au petit-frère.