BARTH, DU PANTHÉON À LA ROCHE TARPÉIENNE ?
L'affaire Ndiaga Diouf poursuit Barthélémy Dias depuis plus de dix ans. Alors que la Cour suprême vient d'entériner sa condamnation, quels seront les impacts sur son engagement et sur l'échiquier politique sénégalais ?
Depuis l’avènement de la seconde alternance, la vie politique de Barthélémy Dias est faite en dents de scie. Mais avec le verdict rendu vendredi dernier par la Cour suprême, le maire de Dakar va vers un tournant décisif pour le reste de sa carrière...
Le 22 décembre 2011, la mairie de Mermoz Sacré Cœur a été le lieu d’échange de tirs entre l’édile Barthélémy Dias et un groupe de personnes à bord d’un pick-up. Lesquelles, selon Dias, ont agi sous les ordres du régime d’alors qui voulait attenter à sa vie. Au cours de cet échange, le nommé Ndiaga Diouf, un des «nervis», a été tué. Barthélémy Dias est arrêté, jugé et condamné à une peine de deux ans dont six mois ferme et à payer une somme de 25millions de francs à la famille du défunt à titre de dommages et intérêts. Cet épisode malheureux s’est déroulé dans un contexte politique très tendu entre le régime du président Abdoulaye Wade et l’opposition.
En effet, le Président Wade tenait coûte que coûte à se présenter pour un troisième mandat très contesté et était également soupçonné de vouloir céder le pouvoir à son fils une fois reconduit. La bataille était rude entre les deux camps et Barthélémy Dias, en tant que responsable des Jeunesses Socialistes du PS, s’était distingué comme l’un des plus virulents opposants au régime d’alors. Le courage en bandoulière, sa fougue de jeunesse aidant, il faisait montre d’une détermination sans faille aux côtés du défunt secrétaire général du Ps, Ousmane Tanor Dieng, pour freiner les ambitions « monarchiques » du Pape du Sopi. D’où, d’après lui, les raisons de cette tentative d’attenter physiquement à sa vie. Après l’élection présidentielle de 2012, le pouvoir tombe entre les mains de Macky Sall élu sous la bannière de «Macky 2012», coalition dont Jean Paul Dias père de Barthélémy Dias, était un membre éminent. Dès sa prise de pouvoir, le nouveau président met en place la grande coalition BBY (Benno Bokk Yaakar) qui réunit l’ensemble des partis qui l’ont soutenu entre les deux tours dont le PS. Le slogan était de «Gagner ensemble et gouverner ensemble».
Lors des élections législatives tenues la même année 2012, Barthélémy Dias, pourtant en prison, est investi sur la liste des députés par le Président Macky Sall en réparation à ce qu’il avait qualifié «d’injustice», c’est à dire son arrestation. C’est ce qu’il avait fait savoir en tant que opposant lorsqu’il s’était rendu chez Jean Paul Dias pour apporter son soutien au fils de ce dernier en prison. Le maire de Mermoz Sacré Cœur est élu député et membre du bureau de l’Assemblée nationale plus précisément au poste de secrétaire élu. Aux élections municipales de 2014, Khalifa Sall se démarque de la liste de Benno et se présente comme candidat à sa propre succession à la mairie de Dakar sous la bannière de «Taxawu Dakar». Il rafle les dix sept communes sur les dix neuf que compte Dakar et rempile à la tête de l’hôtel de Ville de la capitale tandis que Barthélémy Dias est réélu à la tête de sa commune. A partir de ce moment, Khalifa Sall affiche ses ambitions présidentielles, soutenu par des dissidents au projet de Macky Sall qui voulait se faire réélire en s’appuyant sur les partis de BBY. Dans ce lot de rebelles contre le souhait du chef de l’État, Barthélémy Dias était au devant de la scène. Il prend position pour que le PS poursuive sa reconquête du pouvoir. Ironie du sort, voilà que plus d’une décennie après, à moins de deux mois de l’élection présidentielle de 2023, son dossier judiciaire déjà jugé en première instance et en appel, vient d’être vidé par la Cour suprême sous le régime de Macky Sall. Barthélémy Dias, qui a avait contesté le premier verdict, avait interjeté appel. A la suite de la confirmation parla Cour d’Appel du verdict rendu en première instance, il s’était pourvu en cassation. La Cour suprême vient de rejeter son pourvoir endant la condamnation définitive.
Barth, soutien indéfectible de Khalifa...
Ousmane Tanor Dieng, successeur de Léopold Sédar Senghor et d’Abdou Diouf au poste de Secrétaire général du PS, décide de soutenir Macky Sall pour un second mandat. Celà installe une division au sein de cette vieille formation politique. Dès ténors comme Khalifa Sall, Bamba Fall, Jean-Baptiste Diouf, Banda Diop et, bien sûr, Barthélémy Dias ainsi que d’autres font savoir qu’ils n’entendent pas «diluer le comprimé du PS dans le verre de l’APR». Leur rébellion, dont le point culminant a été l’attaque du siège du Ps alors que le bureau politique s’y réunissait, aboutit à leur exclusion du PS. Barthélémy Dias perd son poste dans le bureau de l’Assemblée nationale, affiche sa position ferme de ne pas adhérer au souhait de Macky Sall et, pour la première fois, s’oppose frontalement à son mentor Ousmane Tanor Dieng. Il se rapproche de Khalifa Sall, député et maire de Dakar. Les partisans d’OTD sont promus à des postes de responsabilité tandis que ses adversaires voient les foudres du régime s’abattre sur eux. Le duo que forme Khalifa Sall avec Barth commence à enregistrer des soutiens qui pourraient faire mal au régime. Après quelques tournées à l’intérieur du pays, le maire de Dakar, refusant de renoncer à ses ambitions présidentielles, fait l’objet d’accusation de détournement de deniers publics. C’est la fameuse affaire de la « caisse d’avance » de la mairie de Dakar qui lui vaut d’être jeté en prison jusqu’après l’élection présidentielle de 2019. Durant toute la durée de sa détention, Barthélémy Dias n’a jamais cessé de le soutenir. Mieux, il a eu même à se faire arrêter de son propre gré parce que disant en avoir mare de rester libre pendant que son mentor était au gnouf.
A la sortie de prison de Khalifa Sall après l’élection présidentielle de 2019, le combat reste le même, l’engagement ne varie pas pour Dias. Désormais, il fallait faire vers la prochaine présidentielle pour porter Khalifa Sall à la tête de la magistrature suprême. Mais le premier combat consistait à lui faire recouvrer ses droits civiques et politiques perdus. Les résultats du scrutin présidentiel de 2019 remporté par Macky Sall ont révélé l’émergence d’une nouvelle force politique incarnée par Ousmane Sonko classé troisième avec un score de 15%. Connu pour sa radicalité, sa capacité de nuisance au régime eu égard aux révélations fracassantes sur les scandales au niveau de l’Etat, son alliance avec Barthélémy Dias était une menace sérieuse et difficile à contenir pour le pouvoir. La naissance de la coalition Yewwi Askan Wi permet à ces deux phénomènes de la scène politique de se retrouver dans une même entité où ils font face à Macky Sall. A travers des meetings, marches, conférences de presse… ils font feu de tout bois. Par des discours fracassants à l’endroit du chef de l’État, ils dénoncent ses échecs aussi bien au plan économique qu’immatériel. Leurs messages commencent à faire des effets.
Avec Sonko, un duo qui a mal tourné...
Décidés à en découdre avec le président Sall et bénéficiant d’une forte adhésion, surtout de jeunes à leur combat, rien n’arrête ces deux Bulldozer. Ils affichent leur estime mutuelle, font montre d’une complicité sans faille et déroulent leurs stratégies pour contrer toutes les tentatives du pouvoir de vouloir casser leur dynamique.
Ousmane Sonko, empêtré dans une affaire de viol, et Barth, traînant comme un boulet le meurtre du nervi Ndiaga Diouf, ont des dossiers judiciaires qui, telle l’épée de Damoclès, sont suspendus sur leurs têtes. Ils font bloc jusqu’à faire reculer le pouvoir en 2021 et 2023 au cours de manifestations d’une rare ampleur ayant fait des dizaines de morts. Au plan politique, leur coalition Yewwi Askan Wi s’illustre aux locales et aux législatives. A ce dernier scrutin, elle frôle la majorité absolue en alliance il est vrai avec l’autre grande coalition de l’opposition, Wallu. Sonko remporte la mairie de Ziguinchor et Barth celle de Dakar avec des scores fleuve. Dias toujours préoccupé par l’éligibilité de son candidat Khalifa Sall en 2024, et sachant que l’avenir politique de ce dernier est entre les mains du chef de l’État, décide de changer de stratégie de lutte. Pour lui, l’heure était venue de trouver une autre voie afin d’atteindre ses objectifs. La politique étant un jeu de séquences, il estime qu’il faut se battre quand il le faut mais dialoguer lorsque c’est nécessaire. Mais on ne peut pas continuer sur un même rythme de confrontation dans la rue. Le mot est lâché «dialogue». C’est ce à quoi le chef de l’État avait appelé pour une sortie de crise face à la situation de l’heure. Khalifa Sall, qui trouve à travers cette invite une occasion rêvée d’être ressuscité politiquement, se dit favorable au dialogue. Ousmane Sonko reste ferme sur sa position de radicalité. Brusquement, Barth est devenu moins virulent envers le pouvoir du président Macky Sall. Il donne même l’impression de s’entendre avec ce dernier sur un compromis dont les contours auraient été déjà tracés. Vrai ou faux ? En tout cas leur échange de mains chaleureux au Forum Mondial sur l’Economie Sociale et Solidaire tenu en mai dernier à Dakar et où Khalifa Sall a lui aussi salué le chef de l’État, chacun d’eux affichant un large sourire, avaient fait tiquer dans l’opposition. C’était maintenant sûr. Khalifa Sall irait au dialogue dont Barth se réclame être «l’architecte». Au niveau de Yewwi et des partisans de Sonko, Dias est traîné dans la boue, perçu comme un traître qui a concocté un « deal » avec Macky Sall pour sacrifier son «ex-ami», le leader de Pastef, au profit de Khalifa Sall pour le rendre éligible. Au vu des décisions qui ont sanctionné ce conclave, ceux qui soutenaient cette thèse pouvaient estimer avoir vu juste dès l’instant que des modifications du code électoral taillées sur mesure ont permis à «Khaf» — mais aussi à Karim Wade — de retrouver leurs droits civiques et politiques tandis que Sonko était laissé seul face au régime. Finalement c’est la cassure, le divorce total entre Taxawu et Pastef. Autant dire que si Macky Sall, à travers ledit dialogue, voulait diviser Yewwi Askan Wi, isoler Sonko et se rapprocher de Khalifa, il a bel et bien réussi son coup.
Le bâtiment du dialogue, s’est-il abattu sur son architecte ?
La politique n’est pas une science exacte. Elle a ses réalités. C’est une affaire de génie où n’a passa place celui qui ne sait pas anticiper sur le futur. Autrement, Barthélémy Toy Dias, actuel maire de Dakar et député à l’Assemblée nationale que d’aucuns considèrent comme étant le meilleur homme politique de sa génération ne serait jamais pris dans le piège qu’il s’est lui même aménagé. Face à la presse et au cours d’une émission de télévision, Dias s’en est vertement pris au régime qui, selon lui, tient à lui arracher son poste de député pour réduire le nombre de députés susceptibles de parrainer son candidat Khalifa Sall. Surpris parla programmation de son procès dans l’affaire Ndiaga Diouf, il avait senti venir la confirmation par la Cour suprême du verdict rendu par la Cour d’appel. Il avait aussi dénoncé la réduction drastique — de plus de trois milliards de francs à 55 millions ! —que l’État lui versait au titre de la contribution économique locale. Avec le verdict rendu vendredi dernier par la Cour suprême, son mandat de député dépend à présent du bon vouloir du pouvoir en place. Plus inquiétant est le risque de perdre la mairie de Dakar. Certes, d’après les textes qui régissent le code des collectivités locales, il ne court en principe aucun risque d’être destitué. Toutefois, rien ne garantit son maintien à ce poste. Avec un pouvoir qui refuse d’appliquer les décisions de justice ne l’arrangeant pas, il faut s’attendre à tout notamment à une interprétation très élastique des textes pour leur faire dire n’importe quoi qui soit conforme à ses intérêts. Mais on n’en est pas encore là. Pour l’heure, Barthélémy Dias, qui se trouve dans un tournant important de sa vie politique, ignore encore le sort qui lui sera réservé. Tout de même, s’il se voit déplumé de ses postes de maire et de député, ce serait le bâtiment du dialogue qui s’effondrerait sur son «architecte» !