BRUIT, FUREUR ET LARMES APRES LE PASSAGE DES BULLDOZERS AU MARCHE DE COLOBANE
Depuis quelques jours, une opération de désencombrement à l’échelle nationale visant à libérer les emprises publiques et lutter contre l’anarchie notamment dans les marchés est mise en œuvre.
Depuis quelques jours, une opération de désencombrement à l’échelle nationale visant à libérer les emprises publiques et lutter contre l’anarchie notamment dans les marchés est mise en œuvre. Le célèbre marché de Colobane, qui n’a pas échappé à ladite opération, retrouve son visage reluisant malgré la tension, la colère et les larmes des déguerpis. Ils accusent la municipalité en complicité avec le collectif des habitants de Colobane d’être responsable de ce qui leur est arrivé !
La scène est touchante et douloureuse. Un homme au crépuscule de la vie qui se déplace à quatre pattes tout en versant de chaudes larmes. Effondré, il pleure comme un enfant qui serait brutalement sevré de lait maternel. Il vient de perdre son étal après plus de 20 ans d’activités comme tablier au marché de Colobane. Tout comme ce vieux, la plupart des tabliers ou autres propriétaires de cantines débordants ont vu leurs outils ou lieux de travail démolis par les agents de la municipalité de Gueule Tapée, Fass et Colobane. Cela fait suite à l’arrêté signé par le maire, Abdoul Aziz Paye, et portant décision de «fermeture temporaire» du marché de Colobane pour une opération de désencombrement et de nettoiement durant la période du 29 juin au 01er juillet. Une période durant laquelle «aucune activité commerciale n’est autorisée dans le marché et ses excroissances».
L’opération entamée le 29 juin
L’opération a démarré le 29 juin à minuit ! A son terme, beaucoup de marchands tabliers se sont retrouvés sans «locaux» après les destructions de leurs cantines dans ce marché où jadis régnait un désordre indescriptible. Aujourd’hui, après le passage des démolisseurs municipaux, on se faufile facilement et tranquillement pour aller chez les vendeurs d’habits, de chaussures, de draps, ou dans les grands magasins sans aucun problème et sans être bousculé voire piétiné. Les impactés prétendent avoir été pris au dépourvu. Certains, impuissants, ont suivi l’opération face à des agents municipaux déterminés à remettre de l’ordre dans les abords du marché. A la suite de l’opération, l’heure est à la colère et aux larmes. Mbène Diop, foulard négligemment noué sur la tête, traine une robe trop grande pour elle. Restauratrice, elle se désole de l’opération de désencombrement. «On ne connait pas le nouveau gouvernement. On travaille. Ils ont tout mis sens dessus-dessous sans avertir personne. Nos tables, nos bancs et nos matériels de travail, ils ont tout broyé et envoyé à la décharge. Nous sommes des gorgorlou. Ils disent qu’ils veulent créer des emplois mais ils mettent plus de gens au chômage et vont grossir les rangs des agresseurs et des prostituées. Nous sommes d’accord sur le fait que nous ne sommes pas en règle, mais il fallait nous trouver d’abord un autre lieu d’accueil», estime la gargotière.
Une autre occupante du nom de Mame Diarra Cissé, drapée dans un boubou en wax, témoigne la voix tremblotante. Elle est désespérée et affiche son mécontentement. Elle pense aux millions de francs perdus. Dans son voile vert-blanc cousu à la mode gabonaise, Khady s’en est prise à la municipalité, laquelle, au début, leur aurait parlé de nettoyage à coup de balai et non de «rasage au bulldozer et à la pelle’’. «Ils ne nous ont même pas servi de sommation. C’est de la haine. Nous sommes des Baol-Baol. Nous ne connaissons que le travail», éructe-t-elle.
Très en colère contre la municipalité, le nommé Abdou dit interpeller l’Etat, le maire... A ce dernier, il demande de revoir sa décision de déguerpissement de pères et mères de famille qui ont des enfants à nourrir. «Ils sont venus sans prévenir les gens, sans mise en demeure. C’est le développement. Oui, on ne peut pas parler de développement sans déguerpir. Mais ils devaient nous servir au moins une mise en demeure nous accordant trois jours avant d’envoyer leurs engins de démolition. Personne n’est contre la loi. On n’a pas le choix, c’est leur travail. D’ailleurs, on les suit et les soutient. Mais nous sommes des pères de familles, on se débrouille pour nourrir nos enfants», a-t-il dit.
Tables et cantines broyées par les engins de la mairie
Lui et ses collègues ont tous été effondrés en voyant leurs étals réduits en morceaux de bois. Ils se plaignent de ne plus avoir d’espace pour exposer leurs marchandises. Les tables et cantines ont été «broyées par les engins de la mairie de Gueule Tapée, Fass et Colobane. Vendeurs de vêtements, notamment de friperie, restauratrices et autres vendeurs de bric et de broc ne savent plus à quelsaint se vouer. Ils ne savent pas où se relocaliser. «Là où on se débrouillait pour manger et nourrir notre famille, ça a été détruit. Imaginez ce que cela peut donner. Ils ne créent pas des emplois et ils nous privent d’un revenu. Ils doivent trouver au moins un coin où nous reloger. Tous ces commerçants payent la taxe municipale. Avant de faire quoi que ce soit, ils doivent prendre en considération ces petits commerçants», s’est indigné le jeune Badara. Contrairement à Badara, Mouhamed, visage crispé, refuse de voir la réalité en face. Il croit toujours être dans un rêve. «Ce n’est pas possible. C’est un rêve. Cela s’est passé à minuit. Donc c’est juste un cauchemar», a-t-il murmuré, les yeux larmoyants. «Je n’ai que ma cantine. Je dois verser une somme de deux millions à mon fournisseur de vêtements. Ils ont tous détruit», confie-t-il dit tout en versant de chaudes larmes. Il accuse le maire de la localité, en complicité avec les jeunes de Colobane, d’avoir détruit son gagne-pain. Ndèye Sokhna, affligée par la situation, ne pouvait plus, elle aussi, contenir ses larmes. Tous ces marchands ambulants et tabliers semblent plongés dans un rêve cauchemardesque. Les témoignages sur place font état de déguerpissement sans préavis, ni consultation. Désemparé et au bord de la crise de nerfs, Fallou raconte son calvaire. «Ils ont tout ravagé. On a plus de matériels dans nos cantines», s’est-il désolé.
Notre interlocuteur reconnait qu’on ne peut pas empêcher un gouvernement de développer un pays. Ce qui passe par la création d’un cadre de vie agréable. Mais il demande de penser aux démunis, à la précarité, à la situation postélectorale au Sénégal. « C’est dur. C’est leur façon de faire qui n’est pas appréciable. Il ne faut pas nous plonger dans la misère. Avant tout déguerpissement, il faut prendre toutes les dispositions pour prévenir et dédommager ou reloger. Avant de poser un acte, il faut toujours avertir à défaut d’indemniser. Il faut au moins créer un site d’hébergement », déclare-t-il les yeux larmoyants.
«Un désencombrement salutaire» selon les riverains
Selon ce riverain rencontré aux abords du marché, le collectif et la municipalité veulent donner à leur quartier un visage reluisant en mettant de l’ordre pour éviter l’anarchie et surtout veiller à la sécurité des commerçants en règle. «Quand on veut faire du commerce, il faut louer une cantine et éviter d’occuper la place publique», soutient-il en s’adressant aux tabliers. A l’en croire, c’est la mairie et les habitants de Colobane qui, soucieux de leur bienêtre et de leur environnement, ont pris cette ferme décision de remettre de l’ordre au marché Colobane. Qui se trouvait dans un environnement sale et encombrant ! Ils veulent en finir avec les installations anarchiques des petites boutiques, tables et magasins. «Ce qui a été fait, c’est bien. Si on n’avait pas enlevé les étals de tabliers, Ousmane Sonko n’aurait pas pu rejoindre les commerçants réguliers. Ces tabliers ont dépassé les bornes. C’est normal que la municipalité remette de l’ordre. Ce sont les habitants du quartier, réunis au sein d’un collectif, qui ont exigé ce déguerpissement et ce désencombrement ».
Tolérance dans les opérations de déguerpissement
Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette opération de déguerpissement, plus exactement de désencombrement, a suscité beaucoup de réactions. Si certains saluent la décision de rétablir l’ordre dans ce marché, d’autres déplorent la perte d’activités économiques de bon nombre de gorgorlou. Ainsi, le nommé Assane Tine estime que «ce sont des soutiens de famille. On devait certes les déguerpir mais de manière progressive et pas si brutalement». Selon lui, il y a toujours eu des déguerpissements dans ce pays mais, pour ce qui vient de se passer au marché de Colobane, c’est la manière qui pose problème. «»C’est trop méchant. On ne devait pas tout raser du jour au lendemain sans au préalable informer les occupants. Il fallait d’abord donner une solution viable. Mais cette situation, ça me brise le cœur». Cela dit, il reconnait tout de même que «c’est un mal pour un bien»!
Le Premier ministre, qui s’est rendu sur les lieux ce dimanche, a invité le maire à faire preuve de tolérance en attendant de trouver les meilleures solutions. «L’occupation désordonnée est à dénoncer mais il est tout aussi regrettable de constater l’absence de mesures d’accompagnement. Il est essentiel d’apporter un soutien aux personnes après les avoir expulsées. Il faut une meilleure communication avec les parties prenantes, notamment les commerçants. « Le président de la République compte réunir tous les acteurs concernés, y compris vous les marchands, les municipalités et les riverains pour une issue avantageuse pour chacun », a-t-il indiqué demandant aux autorités locales de privilégier le dialogue et la communication, et aux populations riveraines «de faire preuve de compréhension’’. En somme, selon Ousmane Sonko, « bou kène mér » !