"CRIMINALISER LE VIOL, C'EST ALLER AU-DELÀ DES INDIGNATIONS"
La ministre de la Femme, Ndèye Saly Diop Dieng, aborde plusieurs sujets dont la criminalisation du viol et de la pédophilie, le premier Sommet africain sur les mutilations génitales féminines et le mariage d’enfants, leur retrait de la rue…
Les meurtres de Coumba Yade et de Bineta Camara, encore frais dans les esprits, ont provoqué, Mme la ministre, une vive émotion dans l’opinion publique. Qu’est-ce que votre département fait pour lutter contre les récurrentes violences faites aux femmes et aux filles ?
« Vous me donnez, à nouveau, l’occasion de prier pour le repos de leurs âmes et de présenter encore une fois mes condoléances aux familles éplorées. Ces actes ignobles et inhumains sont à condamner vigoureusement. Il faut que cela cesse. Nous avons élaboré le premier « Plan d’action national 2017-2021 de lutte contre les Violences basées sur le genre (Vbg) et la Promotion des droits humains » en 2017 avec l’appui des partenaires du programme conjoint. Ce document-cadre, dont la mise en œuvre est sous-tendue par une approche multisectorielle et holistique, a été élaboré dans le but d’éradiquer les Vbg, conformément aux engagements internationaux et régionaux auxquels a souscrit notre pays, et à la volonté du chef de l’État d’optimiser le potentiel des femmes et des jeunes filles pour en faire des actrices majeures de l’émergence en 2035 ». La femme et l’enfant sont au cœur des initiatives entreprises dans le but de promouvoir un développement harmonieux.
Pour intensifier les actions gouvernementales en matière de prévention et de prise en charge des Vbg, en particulier des violences faites aux femmes et aux filles, il a été procédé, le 29 mai 2019, à la restructuration du Comité technique national pour la lutte contre les violences basées sur le genre et la promotion des droits humains. Ce mécanisme permet de disposer d’outils de pilotage national pour suivre la réalisation des politiques et programmes de lutte contre ce fléau. En d’autres termes, il se veut un cadre fédérateur des différents acteurs pour garantir une meilleure communication, un renforcement de la coordination des interventions afin de répondre plus efficacement aux alertes et de mieux protéger les communautés, de briser les cycles de violences et donc d’améliorer les conditions de vie des concitoyennes, notamment les plus vulnérables.
Dans la même dynamique de renforcement du dispositif de coordination des interventions, des comités régionaux de lutte contre les Vbg ont été mis en place sous l’autorité des gouverneurs de région. Ils disposent tous de plans d’actions respectifs élaborés sur la base de leurs réalités socioculturelles et des enjeux locaux identifiés. La recrudescence des violences faites aux femmes et aux filles notée ces derniers temps justifie le bien-fondé et le renforcement d’un tel dispositif. En sus, nous avons le soutien du président de la République qui a dédié son mandat 2019-2024 aux femmes et aux jeunes filles. C’est dans cette perspective que s’inscrit sa décision d’instruire le Garde des sceaux, ministre de la Justice, de préparer un projet de loi visant la criminalisation du viol et de la pédophile.
Le chef de l’Etat a également pris la décision de tenir en août 2019 un Conseil présidentiel sur la sécurité des personnes et des biens. C’est pourquoi mon département a initié un processus participatif et inclusif de réflexion et d’actions sur ces questions avec, pour finalité, l’élaboration d’un document de contribution au Conseil présidentiel, sous l’égide du Comité technique national de lutte contre les violences basées sur le genre et la promotion des droits humains.
A cet effet, la première étape de cette initiative est la tenue d’une session extraordinaire dudit comité que je préside ce matin (aujourd’hui, Ndlr) avec comme point d’orgue le début de la synthèse des mémorandums et propositions émanant du mouvement associatif féminin dont il me plaît encore une fois de saluer le dynamisme et l’engagement pour l’amélioration de la condition féminine vers l’autonomisation des femmes et des filles. »
Lors de la cérémonie de la levée des couleurs du 3 juin 2019, le chef de l’Etat a instruit le ministre de la Justice de préparer un projet de loi visant la criminalisation du viol et de la pédophile. Quelle lecture en faites-vous ?
« La déclaration du 3 juin dernier du président de la République est entrée dans l’histoire. Il a réitéré son engagement ferme pour le respect des droits humains de la femme, conformément à l’adhésion résolue de l’Etat aux instruments juridiques internationaux et régionaux protecteurs des droits de l’Homme en général et des droits de la Femme en particulier. Cette initiative salutaire de criminaliser le viol et la pédophilie constitue, en outre, une réponse positive aux nombreuses voix citoyennes qui se sont mobilisées à travers des marches et des campagnes de communication dans les réseaux sociaux pour condamner de tels actes. Au nom des femmes, des filles et des enfants, je voudrais dire merci au président de la République, Macky Sall, pour cette décision de haute portée. Criminaliser le viol et la pédophilie, c’est aller au-delà de l’indignation. »
Comment comptez-vous pallier le manque de données statistiques sur la problématique des violences basées sur le genre et garantir un meilleur suivi des indicateurs ?
« A l’interne, nous sommes en train de mettre en place un dispositif fonctionnel à travers un service des statistiques sociales dont les missions prendront en charge particulièrement ce volet. »
L’autonomisation économique des femmes est une de vos préoccupations majeures. Qu’est-ce qui est entrepris pour y parvenir ?
« Mon département travaille sur la stratégie nationale pour l’autonomisation économique des femmes et des filles dans une perspective de s’aligner sur les grandes orientations du plan d’actions prioritaires de la phase 2 du Plan Sénégal émergent. Une innovation majeure est envisagée avec l’émergence d’un entrepreneuriat féminin structurant avec des unités économiques de taille intermédiaire positionnées sur les chaînes de valeurs agricoles. Il s’agira également de renforcer les centres départementaux d’assistance et de formation pour les femmes avec de nouvelles missions susceptibles d’accompagner leurs initiatives en limitant les contraintes et limites qui freinent généralement le développement d’un entrepreneuriat endogène et pérenne. Au plan social, l’accompagnement des femmes et des filles victimes de violence pour assurer leur réinsertion socio-économique va bénéficier d’un programme de soutien avec la participation de nos partenaires. Enfin, au plan sanitaire, une synergie d’actions entre parties prenantes et un renforcement du dispositif de prise en charge des femmes atteintes de maladies comme le cancer du col de l’utérus, la futile obstétricale, le Sida, et j’en passe, seront parmi les priorités afin de soulager la souffrance des femmes touchées. »
Pouvez-vous nous faire le bilan de l’opération de retrait des enfants de la rue ?
« La directive du chef de l’Etat du 22 juin 2016 a été suivie d’une campagne de retrait qui a connu deux phases. La première s’est déroulée de juin 2016 à mai 2017 avec, à l’actif, le retrait d’un effectif de 1585 enfants, principalement dans le département de Dakar. La seconde opération, en 2018, a concerné 362 enfants dont 165 ont connu un retour en famille au Sénégal, et les autres dans les pays limitrophes dans le cadre d’une coopération bilatérale.
En termes d’enseignements provisoires tirés des deux opérations précitées, il faut souligner la non-opposition des familles religieuses, l’engagement des guides spirituels qui ont été sensibilisés, l’opinion publique favorable et le soutien des animateurs d’émissions religieuses dans les médias. Nous allons proposer au sein du gouvernement un plan d’actions basé sur l’information et la sensibilisation des familles et des parents sur leur responsabilité et un partenariat solide avec l’ensemble des parties prenantes pour marcher ensemble et aller dans la même direction : le maintien des enfants dans des structures de formation et de socialisation qui leur garantissent un développement harmonieux vers une vie citoyenne, épanouie et responsable. Dans ce même cadre, nous poursuivrons les efforts d’amélioration de l’image de l’enfant dans les médias avec les différentes initiatives déjà lancées en relation avec les acteurs de la communication. »
Quelles sont les réalisations de votre département en matière de prise en charge de la petite enfance ?
Depuis 2004, le gouvernement du Sénégal s’est doté d’une Politique nationale de développement intégré de la petite enfance (Pndipe) pour une meilleure prise en charge de cette couche. Cette politique, mise en œuvre par l’Agence nationale de la petite enfance et de la case des tout-petits (Anpectp), a permis de faire progresser considérablement le taux brut de préscolarisation qui est passé de 2,7 % en 2000 à 17,80 % en 2018.
Ainsi, il s’agira, pour les acteurs de la petite enfance, de poursuivre ces efforts en s’inscrivant dans la perspective indiquée par le président de la République à travers la deuxième directive issue du Conseil présidentiel sur les Assises nationales de l’Education et de la Formation qui recommande de « généraliser la prise en charge de la petite enfance ». A cet effet, 419 animateurs polyvalents ont été formés et recrutés dans la fonction publique.
Pour renforcer et améliorer l’environnement des apprentissages précoces, le gouvernement a construit 51 cases des tout-petits et réhabilité 28 structures Dipe sur toute l’étendue du territoire national durant la période de 2014 à 2018. Il s’y ajoute la mise en œuvre du projet « connecter les tout-petits » avec l’équipement de 200 salles multimédias permettant ainsi de faire bénéficier à 16515 enfants un apprentissage précoce à travers les Tice.
Par ailleurs, nous allons vers le lancement du projet Investir dans les premières années pour le développement humain au Sénégal après la mise en place de l’Unité de gestion du projet en cours. Cet important projet, d’un coût global de 75 millions de dollars, est financé par la Banque mondiale. Il comprend, entre autres composantes, la nutrition et la stimulation précoce de l’enfant au cours des 1 000 premiers jours ; l’apprentissage précoce de qualité et la protection de l’enfance et le renforcement des systèmes. »
La célébration du 30ème anniversaire de la Convention sur le Droit des enfants est un moment fort dans l’agenda de la prise en charge de cette couche. Comment impacte-t-elle véritablement le vécu des enfants ?
« Adopté le 20 novembre 1989, la Convention relative aux droits de l’enfant (Cde) a permis de transformer la vie de millions d’enfants en encourageant les gouvernements à modifier leurs lois et politiques et à réaliser des investissements afin que plus d’enfants puissent bénéficier des soins et de l’alimentation nécessaires à leur survie et à leur développement.
En contribuant à renforcer les dispositifs visant à les protéger de la violence et de l’exploitation, la Cde a également conduit à faire reculer le nombre d’enfants forcés de quitter l’école, d’effectuer des tâches dangereuses ou de se marier. Enfin, elle a permis à un plus grand nombre d’enfants de faire entendre leur voix et de participer à la société.
Mais, en dépit de ces progrès, la Cde n’est pas appliquée partout, ni connue ou comprise de tous. Aujourd’hui encore, un trop grand nombre d’enfants sont victimes de discrimination, d’abus, d’exploitation, de négligence, de conflits, de violences, etc., autant de souffrances qui leur volent leur enfance. Cet anniversaire sera l’occasion de rappeler l’urgence et l’importance de mettre en œuvre la Cde en ce XXIe siècle. »
Qu’en est-il de la 29ème édition de la Journée de l’enfant africain (Jea) ?
« Notre pays commémore, le 16 juin de chaque année, la Jea, en souvenir des enfants massacrés à Soweto, en Afrique du Sud. Cette activité marque le lancement officiel de la Semaine nationale de l’enfant (Sne) instituée en 1988 pour intensifier la réflexion autour des problématiques de protection de l’enfance. Le thème de commémoration de ces évènements est défini par l’organe investi du suivi de la mise en œuvre de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant (Cadbe), à savoir le Comité africain d’experts sur les droits et le bien-être de l’enfant (Caedbe). Cette année, la 29ème édition de la Jea et la 31ème édition de la Sne auront pour thème : « L’action humanitaire en Afrique : les droits de l’enfant d’abord ». Diverses activités sont prévues durant cette semaine avec l’ensemble des intervenants du secteur. La Sne sera mise à profit pour notamment doter le Centre Guinddi de kits d’identification permettant de retracer et de documenter le passage des enfants grâce au soutien du bureau de Dakar du Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme. Ce nouveau dispositif viendra renforcer les acquis à travers le numéro vert 116 qui permet à toute personne (majeure ou mineure) de signaler les actes de maltraitance et toutes les formes d’abus et d’exploitations contre les enfants. Ce sera aussi l’occasion de poursuivre le processus de répertoire des « daara » qui a été déroulé dans la région de Dakar et à Touba. »
Quelles sont les actions entreprises par votre ministère dans la lutte contre le mariage d’enfants ?
« Plusieurs initiatives ont été lancées pour mettre fin à cette pratique parce que cette question se situe au premier rang des préoccupations de notre ministère. C’est pourquoi, nous avons lancé, en juin 2016, la campagne pour mettre fin au mariage des enfants et tenu, en octobre 2017, une rencontre de haut niveau sur la question. L’installation, en juin 2018, du cadre de concertation sur le mariage d’enfants regroupant les structures concernées au sein du gouvernement, des organisations de la société civile, de la coopération bilatérale et des partenaires techniques et financiers, témoigne de la responsabilité avec laquelle le gouvernement traite ce problème.
Dans la continuité des efforts fournis, mon département compte organiser, en partenariat avec le Ministère en charge de la Femme et de l’Enfance de la Gambie, le 1er Sommet africain sur les mutilations génitales féminines et le mariage d’enfants. Cette rencontre marquera également la commémoration de la Jea et le lancement de la Sne. »
Justement, les gouvernements sénégalais et gambien organisent le premier Sommet africain sur les mutilations génitales féminines et le mariage d’enfants à Dakar. Quels enjeux comporte un tel évènement ?
« Ce Sommet représente, pour le Sénégal, la Gambie et toute l’Afrique une occasion de renforcer la dynamique continentale d’actions harmonisées et concrètes pour mettre fin aux mutilations génitales féminines et au mariage d’enfants. Il faut agir ensemble et dans la même direction pour que les actions aient un impact pouvant mettre fin à ces fléaux. Au-delà du plaidoyer, il s’agira de mobiliser toutes les couches concernées pour éradiquer ces pratiques qui freinent le développement du continent. C’est pourquoi les délégations des pays participants au sommet sont formées de personnalités de toutes les couches sociales. L’objectif étant de traduire en actions l’engagement des États, des leaders religieux, des chefs traditionnels, des médias, des organisations de la société civile, y compris des jeunes et des femmes qui s’activent à mettre fin aux mutilations génitales féminines et au mariage d’enfants en Afrique d’ici à 2030. Plus de 17 pays africains ont confirmé leur participation au sommet qui compte réunir plus de 500 personnes. Ce sommet devrait aboutir à un plan d’actions continental pour mettre fin au mariage d’enfants. »
En 2018, vous aviez initié « le week-end social ». Allez-vous poursuivre cette initiative et l’étendre à tout le territoire national ?
« Cette initiative est en cohérence avec la mission que le président de la République nous a assignée. Le succès qu’elle a connu auprès des populations est un motif supplémentaire pour passer à l’étape supérieure. Il faut rendre à César ce qui appartient à César. Cette initiative a été un vœu ardent du chef de l’État qui, en déclarant 2018 année sociale, nous avait instruits d’aller vers les populations et de leur apporter les soutiens dont elles ont besoin et cela sans exclusive.
Dans ce cadre, il y a eu le programme d’animation socio-économique et de dialogue avec les comités consultatifs des femmes déroulés dans 141 communes avec à la clé le financement de 1777 unités économiques au bénéfice de 123000 femmes pour une enveloppe globale de plus de 1,4 milliard de FCfa à travers le Fonds national de crédit femme et le Fonds national de promotion à l’entrepreneuriat féminin en collaboration avec la Der-Fjet les systèmes financiers décentralisés.
Les week-ends sociaux s’inscrivaient dans la même perspective d’autonomisation des femmes et des groupes vulnérables à travers des appuis au plan sanitaire et social avec les consultations médicales, les kits de matériels d’allègement, les financements de projets, etc. Bien entendu, nous comptons suivre cette direction qui m’a été fixée par le chef de l’État avec la prochaine visite que j’effectuerai dans les régions de Sédhiou et de Kolda à la fin de ce mois. »