CSM : DES NOMINATIONS QUI DÉRANGENT
Les premières décisions du Conseil supérieur de la magistrature sous Diomaye suscitent la controverse. Certains y voient un règlement de comptes contre les juges de l'affaire Adji Sarr, d'autres pointent un manque de rupture avec les pratiques passées
Les premières nominations de magistrats à l’issue de la première séance du Conseil supérieur magistrature (CSM) sous Bassirou Diomaye Faye font grincer des dents. Si certains observateurs pensent qu’il y a un règlement de comptes derrière les mesures prises ; d’autres pointent du doigt le manque de transparence dans le processus de désignation des magistrats.
Aux grincements de dents des populations de Tambacounda qui ont déploré le fait que leur région soit devenue un purgatoire pour les magistrats, des voix s’élèvent pour relever d’autres incongruités. Parmi celles-ci, on peut noter celle, et non des moindres, de l’ex juge Ibrahima Hamidou Dème. Selon lui, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) est l’institution constitutionnelle chargée de garantir l’indépendance de la justice. Mieux, dit-il, le CSM doit être le gardien des garanties statutaires des magistrats, de la transparence dans la nomination des magistrats et du respect du principe sacro-saint de l’inamovibilité du juge.
Cependant, il estime que la première séance du CSM du nouveau régime, qui s’est tenue vendredi dernier, après les Assises de la justice, n’a malheureusement pas tenu ses promesses de rupture vertueuse. A l’en croire, les décisions qui y sont prises perpétuent, en effet, la présence hégémonique de l’Exécutif et la posture pusillanime des magistrats.
“Les critères d’affectation des magistrats doivent être objectifs. Ils ne doivent aucunement dépendre des décisions favorables ou défavorables rendues à l’égard d’un homme politique”, indique le président du parti Ensemble pour le travail, l’intégrité et la citoyenneté (Etic). Sa conviction, il faut du courage et de la volonté politique pour opérer des ruptures vertueuses du côté de l’Exécutif et un sens élevé des devoirs de leurs charges de la part des magistrats. Mais, souligne le juge Dème, tant que le chef de l’Etat ne tiendra pas sa promesse d’être au-dessus de la mêlée en veillant au fonctionnement régulier des institutions, tant que les magistrats oublieront leur rôle constitutionnel de pouvoir et de gardien vigilant des droits et libertés, la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice et l’Etat de droit tant espérés ne seront qu’un leurre.
Une autre figure de la société civile sénégalaise a également vertement critiqué ces nominations. Le Coordonnateur du Forum Civil, Birahime Seck, a affirmé dans son compte X que les dernières nominations du CSM ne sont ni fondées sur des critères objectifs connus ni conformes à la rupture promise. “A nos yeux, il n'y a encore aucune différence avec les régimes précédents concernant le système de nomination des magistrats”, a déploré monsieur Seck.
Avant l’ex juge Dème et Birahime Seck, le fondateur du Think-Tank Afrikajom Center était revenu sur l’affectation de certains magistrats, notamment ceux qui ont géré le dossier Adji Sarr au sud-est du pays. Alioune Tine soutenait que les juges sanctionnés par une affectation à Tamba, pose encore le problème de la décentralisation et la promotion des villes péjorées par la colonisation parce que loin de Dakar. “Pendant la colonisation et même sous le régime PS, être affecté au Sud était aussi considéré comme une sanction. Il faut inverser cet imaginaire colonial. En développant ces villes comme Dakar. Souvent de très belles régions avec des ressources considérables», avait-il écrit sur son compte X.
Prolongations de l’affaire Adji Sarr
Même si cela paraît évident que c’est un règlement de comptes contre les magistrats qui ont été “mêlés” à l’affaire Adji Sarr, le gouvernement se défend. Invité de l’émission Grand Jury sur RFM hier, le ministre de la Fonction publique et de la Réforme du Service public a déclaré que les régions doivent être traitées d’égale dignité. Et qu’il faudrait qu’on évite de stigmatiser des zones. Selon Olivier Boucal, on doit du respect à la population de Tamba et de façon générale à la population qui habite les périphéries. “Nous sommes des commis de l’Etat. Le principe, c’est la rotation. Vous ne pouvez pas servir dans un poste éternellement. Il faut aller dans toutes les contrées du pays. Affecter quelqu’un dans une autre région ne signifie pas pour moi une punition. Il faut éviter de stigmatiser les gens», a-t-il défendu.
Il faut juste rappeler que les juges Oumar Maham Diallo, Abdou Karim Diop, Mamadou Seck ont été tous affectés à Tambacounda lors du dernier mouvement de la magistrature. Leur seul tort, le fait d’avoir hérité du dossier Adji Sarr et de l’avoir diligenté d’une manière qui n’a pas plu aux hauts cadres de l'actuel régime qui en étaient les principales victimes.