«IL FAUT SAUVER LE SOLDAT ABDOULAYE WADE»
Grand’Place avec ... Babacar GAYE
Babacar Gaye était l’un des plus proches collaborateurs du président Abdoulaye Wade. Leur relation se conjugue, désormais, au passé, parce que, depuis quelques mois, le secrétaire général national du Parti démocratique sénégalais semble ne plus le vouloir à ses côtés. Dans le Pds, Babacar Gaye n’occupe plus aucun poste de responsabilité. Mais il ne se décide pas à quitter le parti qu’il considère comme l’héritage de tous les libéraux. Il veut se battre pour qu’il ne soit pas entre les mains des “karimistes’’ ou, si ça doit l’être, que cela se fasse démocratiquement, mais pas comme Wade veut s’y prendre. Vous direz qu’il est courageux. Il l’a été tout au long de son compagnonnage avec Wade, comme il le dit dans cet entretien. Peut-être parce que son rapport avec l’ancien président du Sénégal n’était pas sous-tendu par l’argent. Matériellement et financièrement, l’homme s’est construit avant l’alternance et sa liberté sur ce plan, il y tient particulièrement. Grand lecteur, Babacar Gaye partage ici une partie de sa bibliothèque.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vous et votre parcours ?
Je suis né à Diokoul Mbelbouk, (un village situé dans le département de Kaffrine et qui est devenu commune) même si, sur mon extrait de naissance, il est mentionné né à Kaffrine, il y a à peu près 65 ans. Mes parents vivaient à Diokoul où ils avaient leurs champs. C’est à mes 6 ans que je suis parti vivre à Kaffrine pour poursuivre les études coraniques avec mon oncle Adama Gaye, avant d'intégrer l’école française. A Kaffrine, j’ai été accueilli par mon grand-père qui est né un siècle avant moi. Ensemble, nous avons vécu dans sa case pendant 6 ans, avant qu’il ne décède à l’âge de 112 ans. C’est sous son aile que j’ai grandi. Donc, c’est principalement avec son aide que j’ai fréquenté l’école française. Naturellement, à la maison, il y avait mes tantes dont Yaye Diallo, l’épouse de mon oncle El Hadj Ibou Gaye. Avec ses coépouses et mes tantes paternelles, j’ai pu supporter l'absence de ma mère que je ne voyais que pendant les grandes vacances pendant lesquelles je retrouvais mes amis de Diokoul pour faire ce que les jeunes de mon âge faisaient à l’époque : aller aux champs, gambader, aller marauder, chasser, participer aux séances de lutte et fabriquer nos jouets. J’ai réussi à l’entrée en 6e à 13 ans. Malheureusement, j'ai failli rater ma 6e, pour n'avoir pas été informé ni de ma réussite ni de mon orientation au lycée Charles de Gaulle de Saint-Louis. Alors, je repris le Cm2 jusqu’aux fêtes de Noël. C'est le 3 janvier 1969 que j'ai intégré la classe de 6e. Après un seul trimestre de cours, il y a eu une grève générale. Alors, nous étions revenus au mois d'octobre pour faire un examen de passage en classe de 5e. A l'époque, vivre à Saint-Louis était difficile, surtout pour un natif du Ndoucoumane. Il se posait toujours des problèmes de tuteur, pour ceux d'entre nous qui n'étaient pas internes. Je suis resté à Saint-Louis pendant deux ans, avant d’être transféré à Kaolack où j’ai continué mes études. Je signale qu'à Saint-Louis, j’ai failli mourir d’une noyade. Mes deux amis, Jean-Luc Mallet, qui était le fils du proviseur du lycée Peytavin, Ismaïla Guèye et moi avons connu ce drame qui a entraîné la mort de notre camarade de classe Ismaïla Guèye. A Kaolack, j’ai été hébergé par ma cousine Fatou Diop veuve Badiane. D’ailleurs, ma fille ainée porte son prénom. Cette brave femme m'a beaucoup aidé, malgré l'indigence de ses moyens. Après mon Bfem au lycée Gaston Berger, je n’ai pas pu faire la classe de terminale, tellement les conditions de vie étaient difficiles. Pour les contourner, j’ai fait et réussi le Baccalauréat A4 en tant que candidat libre, alors que j'étais en classe de 1re D. C'est pourquoi je n’ai pas pu faire sciences à l’université, alors que j’étais doué en mathématiques, physiques-chimie et sciences naturelles.
Vous avez fait quelles études alors à l’université ?
J'ai commencé des études d'histoire et de géographie que j'ai très tôt abandonnées. Cela ne me tentait pas, car je ne voulais pas devenir enseignant, même si, par la suite, j’ai dû faire le concours d’entrée au Cfps, après un bref passage à l’Oncad de Kaolack. Mon grand frère m’avait obligé de faire le concours pour au moins avoir un emploi stable. J’ai fait un an de formation à Thiès. Nimbé de mon Certificat de fin d'études normales, j’ai été affecté à Gandiaye comme instituteur et j’y ai eu mon Certificat d'aptitude pédagogique (Cap). La semaine qui a suivi ma réussite, l'inspecteur m'a affecté dans un petit village appelé Ngothie. Il y manquait un maître pour les élèves de Cp. A la fin de l’année, j’ai rappliqué sur Dakar, à l’école Gibraltar, de 1981 à 1986, avant de passer le concours d’entrée du Cfpa devenu, avec notre promotion, le cycle B de l’Enam. Je suis sorti major de la 22e promotion, toutes sections confondues. Et j’obtins le grade de contrôleur économique. Pour des raisons politiques, j’ai été d’abord affecté à Ziguinchor. Ensuite à Rufisque et enfin à Tivaouane. Un an après l'obtention de mon Brevet, on m’a maintenu par ordre sans affectation, parce que j’ai publié un article très critique à l'égard de l'Administration dans “Sopi’’. Ce qui n'avait pas plu au tout-puissant Jean Collin.
Poussé à la sortie, j’ai démissionné de l’Administration en 1991 par départ volontaire. J’avais alors créé une société qui s’appelait Multipress pour vendre du papier, des consommables, des ordinateurs, etc., avant d’intégrer l’Alliance technologie informatique (Ati), une société qui avait pignon sur rue et où j’ai gravi les échelons pour devenir chef de département. C'est quand j'ai été élu député en 2001 que j'ai quitté la boîte. Si j’ai pu avoir cette maison (Ndlr : L’entretien est enregistré chez lui à Sacré-Cœur) en 1991, c’est-à-dire 10 ans avant l’alternance, c'est grâce à ma prime de départ volontaire. Elle m’a permis de déposer une caution à la Sicap. C'est plus tard, avec les revenus tirés de mes activités professionnelles, que j'ai transformé ma maison telle que vous la voyez aujourd'hui. J’y habite depuis 1992. Je ne l’ai jamais quittée, même étant ministre. De 2001 à 2002, j’ai été le président du groupe parlementaire libéral et démocratique. Suite à la perte des Locales à Kaffrine, ils m'ont dégommé. Avec le recul, j'ai compris que c'était un complot orchestré par des adversaires qui se cherchaient une base politique à Kaffrine. Le président Wade m’a promu à la commission des affaires étrangères. J’y suis resté jusqu’en 2004, avant d'être élu 3e vice-président de l’Assemblée nationale. Une fois encore, j'ai été réélu député en 2007. Mandat que je n'ai pas exercé, car je devais intégrer le cabinet du président de la République en tant que ministre directeur du cabinet politique. Deux ans après, soit en 2009, j'étais obligé de partir.
Vous avez demandé à partir ou c’est le président qui a décidé de vous dégommer ?
C’est moi-même qui avais décidé de partir, après les élections locales de 2009. Notre coalition avait gagné la région de Kaffrine, mais avait perdu le commun éponyme au profit de l’opposition par un écart de 16 voix. Malgré notre supériorité et la bonne campagne que nous avons menée, nous avions perdu à cause de tiraillements politiques internes qui ont engendré des votes sanctions, afin de stopper mon ascension et se constituer en alternative. J’ai pensé que ma responsabilité était engagée et j’avais demandé au président de me décharger de mes fonctions de ministre directeur de cabinet politique. Je ressentais cette défaite comme un échec personnel et j’avais honte d’être aux côtés du président et de perdre une élection.
En politique, il y a une certaine éthique qu’il faut savoir préserver. Mais six mois après, le président m’avait encore rappelé à ses côtés pour me nommer ministre d’Etat chargé des affaires politiques. Mes adversaires ont encore commencé à créer des problèmes dans mes rapports avec le président Wade. Certains ont pensé que ma fonction de ministre d’Etat était incompatible avec celle de président de région. Alors que dans l'esprit du texte, le cumul est interdit quand la fonction ministérielle interfère avec celle de président de région. On peut comprendre qu’un ministre de la Décentralisation, de la Santé ou encore de l’Education ne puisse pas être président de région, parce que ses fonctions et prérogatives, en tant que chef de département, sont les mêmes que les domaines de compétence d'un président de région. Alors que je n’avais aucune compétence auprès du président de la République, en dehors de la gouvernance des questions strictement politiques. Là également, j’ai pensé qu’il fallait faire taire ces querelles inutiles et j’ai demandé au président de me décharger de mes fonctions pour rester président de la région de Kaffrine. Pourtant, le salaire d’un ministre d’Etat est assez substantiel, le titre est pompeux, le prestige et l’influence énormes. Mais j’ai préféré rester à Kaffrine avec ceux qui m’ont élu, pour essayer au moins de terminer le mandat qu’ils m’avaient confié. Et c’est ce que j’ai fait jusqu’en 2014. Je ne me suis pas présenté à nouveau en 2014, parce qu’on avait déjà changé le code des collectivités locales. Il n’y avait plus de régions. Je ne voulais pas me présenter pour être conseiller départemental et je ne voulais plus être candidat pour une fonction locale.
Pourquoi ce choix ?
D'abord, je ne croyais pas à la réussite de l’Acte 3 de la décentralisation tel qu'il a été formulé et je l’ai dit au président de la République. Car, pour moi, la région était l’échelle de gouvernance territoriale la plus pertinente. Le président Macky Sall a pensé casser la région pour mettre des départements. Après avoir dirigé toute la région de Kaffrine, je me voyais mal revenir pour m’occuper du simple département de Kaffrine, laissant ceux de Koungheul, Mbirkilane et Malem Hodar. Ce serait pour moi l’expression d’une boulimie politique. Aussi, je sentais au sein du parti des velléités de combat. Je me suis dit que le mieux serait que je me retire de ces combats locaux pour essayer de me concentrer sur la sauvegarde du parti. C’est cela qui a fait que j'ai plongé dans la lutte pour faire libérer Karim Wade et essayé de reconstruire le Pds au profit de plus jeunes que nous. En marge de ce noble combat, je suis redevenu Babacar Gaye qui a repris ses anciens amours : les affaires. Je fais des activités de consultance. J’ai démarré une activité d’élevage de moutons de race. Je fais de l’aviculture et d’autres petites affaires pour essayer de subvenir à mes besoins. J’ai ce défaut de vouloir toujours être indépendant des autres au plan matériel et financier.
Comment êtes-vous entré en politique ?
Je suis entré en politique très jeune. Même si au lycée je n'étais pas encarté, j’ai quand même assisté au premier congrès du Parti démocratique sénégalais (Pds) en 1976. C’était à Kaolack, devant la maison de feu Ousmane Diaw Nguissaly. Venant du lycée avec des amis, nous avons pris part à ce congrès en observateurs. A l’époque, Abdoulaye Wade était un phénomène que tout jeune aimait découvrir ou se rapprocher. J’étais là, même si je n’étais pas militant du parti. C’est après que j’ai pu me rapprocher davantage du Pds. Par contre, à l’université, j’étais sympathisant de Cheikh Anta Diop. J’ai vendu les journaux “Siggi ak taxaw’’. Par la suite, je me suis rapproché, par proximité familiale, de la Ligue démocratique, clandestine à l’époque. Abdoulaye Bathily était mon professeur d’histoire. Je passais souvent mes journées chez mon cousin feu El Hadj Babacar Cissé à Mermoz où je côtoyais l’essentiel des cadres de la Ld dont Mbaye Diack, Matar Diack, Rawane Fall. Pendant les grandes vacances, je vendais leur journal “Vérité’’ qui servait de liaison aux militants de la Ld. C’est plus tard, en prenant part aux meetings d’Abdoulaye Wade, que j’ai pu comprendre qu’il était un homme qui présentait plus d’intérêt politique pour moi. Si je ne m’abuse, mon intégration au sein du Parti démocratique, tourne aux alentours de 1979. Abdoulaye Wade nous subjuguait par son verbe et les ruptures qu’il opérait vis-à-vis de Senghor et de Cheikh Anta.
Quand l’avez-vous personnellement rencontré pour la première fois ?
C’est en 1987 que je l’ai, pour la première fois, rencontré personnellement par l’intermédiaire du journaliste Mamadou Omar Ndiaye. A l’occasion d’une finale où devait être couronnée la reine du basket. J’habitais à Castors et un de mes voisins qui connaissait Marthe Ndiaye qui devait être couronnée cette année-là, m’a demandé de lui faire un reportage photo. J’étais un semi-professionnel de la photo.
A l’Enam, c’est moi qui faisais les photos pour tous mes camarades de promotion. Je suis donc allé à cette finale. C’est là-bas que je l’ai pris en photo. Il était accompagné d’Abdoulaye Faye et d’Ousmane Ngom. Lesquelles photos ont servi à réaliser ses affiches pendant sa campagne présidentielle 1988. Après la finale, Mamadou Omar Ndiaye est venu me voir à Castors pour me dire que le président Wade souhaitait me rencontrer. On s’est vu pour la première fois dans son cabinet d’avocat à la rue Thiong. C’est ainsi qu’il a su que je n’étais pas vraiment un photographe. J'en faisais une opportunité pour arrondir mes fins du mois. Je lui ai expliqué que j’étais à l’Enam où je faisais contrôle économique. Ce jour là, il m’a demandé s’il pouvait utiliser mes photos à des fins politiques ; évidemment en m’assurant de garder anonyme mon identité. Vous savez, dans ce pays, les renseignements généraux sont très forts. Je suis sorti major de ma promotion toutes sections confondues et les gens m’ont affecté à Ziguinchor. C’est de Tivaouane que j’ai fait ce papier sur Collin.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué, lors de votre premier contact avec Wade ?
Abdoulaye Wade est un homme d’un charisme fou. Il a une aura qui ne laisse pas indifférent. Il était, à l’époque, un mythe. Il était encore fringant, avocat riche qui s’habillait toujours bien. Naturellement, il subjuguait ses interlocuteurs. Il avait une certaine clairvoyance, une capacité d’intéresser les autres à ce qu’il faisait. Avec pédagogie, Abdoulaye Wade est capable de réduire toutes les résistances, surtout pour un cadre qui le rencontre. Il a un don naturel de convaincre les gens à adhérer à sa cause. Je l’ai constaté à plusieurs reprises. Il est quelqu’un qui sait déceler très tôt chez l'individu les qualités les plus enfouies en lui. C'est un humaniste. Et son leadership est efficace. Me Abdoulaye Wade est capable de vous faire croire très rapidement que vous êtes le meilleur de toute votre génération. Il sait gonfler l’ego de ses collaborateurs. Abdoulaye Wade est maître dans cet art. C’est pourquoi les gens, souvent, s'attachent aisément à lui. Me Abdoulaye Wade sait être humble devant les gens. Il vous fait sentir que vous êtes son alter ego, même s'il lui arrive d'être au besoin autoritaire. C’est pourquoi il avait cette capacité à happer du regard tous ceux avec qui il échangeait. Il a de l’humanisme qu’il sait transférer. Je pense d’ailleurs qu’il n’y a que cela qui me retient chez lui. Ce n’est pas l’argent, mais cette capacité qu’il a à voir que je sais faire quelque chose. Il a du respect et de la considération pour ceux qui ont des arguments à faire valoir. Il n'aime pas les médiocres et les flagorneurs qu'il traite avec un mépris qu'il sait cacher.
Quel type de relation vous lie depuis votre premier contact ?
C’était d’abord une relation de méfiance. Il me l’a avoué après. J’avais déjà un véhicule quand je connaissais Me Abdoulaye Wade. Je n’étais pas parmi les plus pauvres de ses compagnons. Je n’attendais rien de lui, tant sur le côté financier que matériel. Compte tenu de ma liberté de pensée et d’action, de ma situation, les gens avaient tendance à lui dire que j’étais un policier envoyé par le pouvoir pour être un mouchard. Il m’a une fois dit : “Ici, les gens ne te font pas confiance. Ils pensent que tu nous as infiltrés.’’ C'est vrai, Me Wade, à l’époque, en dehors de quelques fidèles qui lui étaient très proches, n'avait pas de cadres autour de lui. Alors, à chaque fois qu'ils voyaient un cadre s’approcher de lui, par jalousie, ils avaient des suspicions. D'autant que ma famille était d'obédience socialiste. Cependant, cela ne l’a pas empêché de me faire confiance. Nous sommes devenus de très grands complices après. Il s’est certainement rendu compte que j’étais un tout petit peu différent des autres hommes politiques qui étaient autour de lui par mon franc-parler et la sincérité de ma collaboration. Les gens me demandaient pourquoi je parlais au président avec autant de courage. Je leur disais que s’il souhaite ma collaboration, il faut qu’il accepte ma liberté de lui dire ce que je pense.
Par loyauté, je l'ai toujours soutenu, même quand il n'a pas raison. Car c’est moi qui ai décidé d’en faire mon leader. Mais cela ne peut m’empêcher de lui dire ce que je pense, quand il me demande mon avis. On a eu des relations très franches. C’est quelqu’un qui m’a toujours consulté, quand c’est sérieux. Il disait souvent avant de prendre une décision qu’il lui faut l’avis de Gaye. Je me rappelle une fois, alors qu’Abdoulaye Wade était ministre d'État, il devait rencontrer Abdou Diouf pour discuter du processus électoral. Il y avait une forte pression de l’opposition sur le pouvoir et le président Diouf voulait négocier l’organisation d’une élection transparente. En contrepartie, l’opposition réclamait une Ceni. Me Abdoulaye Wade m’a contacté pour avoir mon avis. Je lui ai dit que Diouf n'accepterait pas cela. Etant fonctionnaire dans l'âme, Abdou Diouf n’allait jamais désavouer ses pairs qui organisaient les élections avec le ministère de l’Intérieur depuis Mathusalem. Je lui ai suggéré de lui proposer tout autre organisme qui se chargerait de superviser les élections et que l’organisation soit laissée aux fonctionnaires. Vous savez, Abdoulaye Wade, quand il veut quelque chose, il y a parfois certains qui le gonflent et lui disent “oui Maître vous êtes Dieu’’. Moi, c’est peut-être un défaut, je ne suis pas un flagorneur.
Finalement, c’est la proposition que je lui avais faite qui a été retenue. C’est ainsi qu’est né l’Onel. Abdoulaye Wade est quelqu’un qui sait écouter. Il recule s’il est convaincu de l’impertinence de l’acte qu’il veut poser. Me Wade, malgré le fait que les gens le voient comme un mythique phénomène, est un homme très sensible à la raison. Sa fragilité transparaît du fait que Me Wade n’aime pas des rapports de force qui lui sont défavorables. Il aime toujours gagner. Quand il se rend compte qu’il peut perdre, il a tendance à reculer pour mieux sauter. A chaque fois qu’il prend l’engagement ou décide de foncer, une fois que la décision est ancrée, actée, même s’il remet à d’autres échéances le rendez-vous, il le tiendra. Il est têtu. Il recule toujours pour mieux sauter, mais il ne lâche jamais sa proie.
C’est ce qui s’est passé le 23 juin ?
Le 23 juin, malheureusement, il y a eu une incompréhension terrible. Avant le 23 juin, je pense que le président Abdoulaye Wade avait été convaincu qu’il n’était pas pertinent de faire passer la loi. Il avait demandé qu’il soit sursis à son examen. Des collaborateurs zélés ont l'habitude de faire croire au chef que tout est possible. C’est pourquoi il n’a rien compris quand les gens ont voulu manifester. Il avait demandé qu’on laisse les gens manifester, puisque ceux qui souhaitaient soutenir les députés peuvent eux aussi manifester. J’avoue que beaucoup de cadres du parti étaient tenus à l'écart de l’élaboration de ce texte. Ils n’ont pas été informés. Seules quelques rares personnes qui ne sont plus aujourd’hui avec Abdoulaye Wade étaient au courant. C’est celles qui lui avaient proposé cette hérésie du quart des suffrages exprimés pour passer au premier tour. Tout de suite, les gens avaient fait le lien avec la dévolution monarchique tant décriée. En réalité, les initiateurs de ce texte étaient des éléments de la Génération du concret. Souleymane Ndéné, moi-même et d’autres avions découvert le texte écrit. Ce n’était donc pas une idée mûrie au sein du Pds, mais c’est une affaire qui a été fabriquée dans des officines périphériques du Pds. Malheureusement, quand les choses ont commencé à dégénérer à l’Assemblée nationale, je n’étais plus député. Je n’étais non plus au cabinet. Mais j’ai essayé d’expliquer l’impertinence de cette séance à travers les médias. Heureusement qu’il y avait des députés conscients comme Moussa Sy. Ils ont demandé que le texte soit retiré. Quand il y a eu les casses, le président n’a pas compris, parce que pour lui, il était clair que le texte ne devait pas être examiné, si sa propre majorité n'était pas convaincue. C’était déjà trop tard. J’avoue que je ne comprends jusqu'à présent pas pourquoi ce projet de modification de la Constitution a été élaboré. A l’époque, je disais d’ailleurs à l’opposition que si vous pensez qu’Abdoulaye Wade a fait ça pour gagner au premier tour avec 25 % des suffrages exprimés, c'est que vous êtes d'une rare malhonnêteté politique. Il vous suffit de faire bloc et de réunir 35 % des votes pour le battre.
L’opposition réunie pouvait faire 35 % ou plus au premier tour. Mais derrière, avec ce ticket, on l’accusait de vouloir faire de la dévolution monarchique. Honnêtement, je n’y croyais pas. Malheureusement, aujourd'hui, la crise au Pds donne raison à ses détracteurs. A y voir de près, on a l’impression que le président Abdoulaye Wade tient maintenant à ce que Karim Wade lui succède au sein du Parti démocratique sénégalais. Avait-il la même volonté pour l’Etat du Sénégal ? Je donne ma langue au chat. Je n’ai pas de réponse. Si je l’avais, je l’aurais partagée franchement avec vous. Pendant que j'étais au cabinet, Abdoulaye Wade et moi n'avions jamais parlé de dévolution monarchique. Pourtant, je lui ai posé la question une première fois, quand il m’a nommé ministre, directeur du cabinet politique. Je lui ai demandé ce qu'il attendait de moi. La deuxième fois, je lui ai directement posé la question en lui demandant s’il pensait que je devrais aider Karim Wade à mettre le pied à l’étrier. Il m’a répondu : “Karim n’est pas un politicien.’
Comment appréciez-vous le dernier réaménagement au Pds ?
Je le réprouve, parce qu’il ne procède pas d’une volonté de bien faire. On a l’impression qu’on est en train de transférer le parti de son lieu naturel, c’est-à-dire du pouvoir qui était organisé autour d’Abdoulaye Wade et ses collaborateurs, vers un autre centre d’influence où il y aura Karim Wade et son groupe, ses anciens amis de la Génération du concret. C’est la seule motivation. Sinon, on ne comprendrait pas pourquoi on tente d'écarter les principaux responsables historiques qui ont été les animateurs du parti depuis 2012. La quasi-totalité des principaux cadres et responsables étant partis, les uns sont allés vers Macky Sall, d’autres ont créé leurs propres partis politiques, ceux qui sont restés et qui ont fait preuve de loyauté dans un engagement sans commune mesure, oubliant leurs propres ambitions, n’ayant de préoccupation que la libération de Karim et sa promotion politique, méritent respect et reconnaissance des efforts qu'ils ont fournis. Si aujourd’hui on décide de les balayer au profit de personnes inexpérimentées au plan politique et qui n’ont comme faits d’armes que l’amitié qui les lie à Karim Wade, il y a un problème d'éthique. Sous le sceau de l'alternance générationnelle, on veut mettre les jeunes en orbite. Mais, en réalité, il s’agit d’enterrer scandaleusement ceux qui ont prouvé qu’ils étaient capables de rester loyaux et qui ont pu tout faire pour faire libérer Karim Wade, en faire un candidat, l’accompagner, le faire exister, lui donner de l’épaisseur politique et un statut qu'il n'aurait jamais pu construire. Je pense que ce n’est pas une bonne manière de récompenser les derniers mohicans. Ça, c’est sur le plan moral. Dans le fond, il y a une entorse dans l'application des statuts du parti. Les décisions prises ne sont pas conformes aux statuts du parti. Certes, le président Abdoulaye Wade a, seul, le pouvoir de nommer les secrétaires nationaux, mais il ne peut pas en nommer plus de 50. Il ne peut nommer qu’entre 25 et 50 secrétaires nationaux. En vertu de l'article 23 de nos statuts, le secrétaire général peut nommer un secrétaire général national adjoint ou un coordonnateur général du Parti. C’est écrit noir sur blanc. Me Abdoulaye Wade a nommé 11 secrétaires généraux nationaux adjoints, violant les dispositions statutaires. Aucun texte ne le lui permet.
Pis, il a nommé plus de 250 secrétaires nationaux. Or, l’article 21 de notre règlement dit que le Secrétariat national est composé de 25 membres, au plus 50. Ce sont des manquements irréfutables. Le président Wade doit savoir que l’article 32 ne lui permet pas de changer la configuration des statuts, car on ne peut pas changer les statuts en dehors d’un congrès. Il y a une illégalité dans l’acte posé par le président Abdoulaye Wade. On n’en comprend même pas la motivation. Il prend cette décision au moment où on devrait faire le bilan de notre non-participation à la dernière Présidentielle, au moment où notre candidat, après avoir annoncé partout qu’il rentrerait au Sénégal, se terre toujours au Qatar sans rien nous dire, sans échanger avec les gens qui l’ont soutenu depuis plus de 7 ans, au moment où on refuse que le Comité directeur se réunisse, au moment où on refuse que les gens fassent une tournée d’explications surtout pour faire revenir tous ces militants qui avaient participé à la Présidentielle en dépit du boycott actif qui a été décrété par Me Wade. Au lieu de tout cela, on nous sort une décision inopportune pour parler de réforme du parti et mettre les jeunes en avant. En réalité, ils veulent écarter les responsables du parti, mettre en place des structures contrôlées par les “karimistes’’, vendre les cartes dans un schéma où eux-mêmes seraient à la fois juge et partie, et ensuite dégager tous ceux qui ne seraient pas favorables à Karim Wade afin de lui donner ce qui restera du parti. C’est légitime pour Karim de prétendre diriger le parti. Mais il faut qu’il le fasse dans les règles de l’art. Voilà pourquoi j’avais dit non. Je reste dans le Pds parce que je suis un militant. Je travaillerai davantage à conscientiser les responsables et les autres militants qui n’ont pas encore compris ce qui se prépare. Nous allons, ensemble, nous battre aussi longtemps que possible pour que les choses aillent mieux. Je pense qu’il est bon que les gens puissent se retrouver autour de l’essentiel, un cadre consensuel, inclusif où on travaillerait à proposer aux militants un parti nouveau tel que nous le pensons. D'abord, il faut repenser le parti, le réformer, actualiser notre offre politique à travers un nouveau programme fondamental. Ensuite, il est incontournable de mettre en place un comité chargé de la réforme du parti, quitte à ce qu’il soit chargé de la vente des cartes après, des renouvellements, etc. L’essentiel est que tout se fasse dans la transparence et l'exclusivité pour que le meilleur gagne. Si Karim gagne ou un autre prétendant, tant mieux. Par contre, on a l’impression que le président Wade veut léguer le parti à Karim Wade parce que simplement, comme disent-ils, c’est en lui qu’il a confiance, comme si le parti lui appartenait.
Avez-vous discuté de cela avec lui avant ?
Personnellement, j’ai passé deux jours à Doha. Nous avons profondément discuté de toutes les questions de stratégie et de réforme. A ma grande surprise, depuis que j’ai quitté Doha, c'est le black-out total. Je n’ai plus eu de nouvelles du président. Karim Wade ne me parlait plus. Le président Wade ne me consultait plus. Il arrive à Dakar pour me balancer à la figure, lors de notre dernier Comité directeur : “Mais tu es là ! Il paraît que tu es parti.” Il semblait étonné de me voir à cette réunion. Il a commencé à dire : “On m’avait dit que tu étais parti. Où est Omar Sarr, Omar Sarr ?’’ Il se tourne alors et tombe sur Mayoro et lui dit : “Mayoro, on ne m’avait pas dit que Babacar Gaye était parti ?’’ Mayoro lui répond : “Monsieur le Président, qui vous l’a dit ?’’ Et Wade lui rétorque : “Ok, ce n’est pas grave. Comme il est là, ça va.’’ Je suis resté zen. Je n’ai pas répondu pendant tout le temps qu’il parlait. C’est en ce moment que j’ai compris que quelque chose s’était passée ou était en train de se passer. On ne s’est pas vu jusqu’à ce qu’il m’enlève du poste de porte-parole pour nommer Me Sall qui, apparemment, ne leur a pas donné satisfaction. Ils ont décidé de l’enlever, d'exclure Omar Sarr du Secrétariat national. Il me rétrograde. Alors, nous nous sommes dit que ces gens là sont en train de s’organiser pour nous écarter et qu'il fallait le refuser. C’est ainsi qu’est née l’Alliance Suxali Sopp.
Comment avez-vous vécu votre éviction du poste de porte-parole ?
Cela ne m’a rien fait. Au contraire, j’ai dit “Alhamdoulilah’’ (Dieu soit loué). Il est difficile d’être porteparole du Pds, surtout de Me Abdoulaye Wade. Un homme comme moi, attaché à sa liberté de pensée et d'action, ne peut pas se contenter de transmettre les désirs d’un quelqu’un. J’ai mon opinion sur la marche du pays. J’ai des idées à défendre. Je préfère être libre de défendre mes opinions et de faire des propositions que de s'honorer d'être la “voix de son maître”. C’est pour cela que j’étais heureux, quand on m’a enlevé du poste de porte-parole. D'autant que cela n'avait aucune signification pour moi. Car, depuis le 25 août 2016, j’avais déjà démissionné de cette fonction et de celle de secrétaire national à l'orientation, aux stratégies, chargé des reformes, par courrier adressé au secrétaire national du parti. C’est Karim Wade en personne qui m'a supplié de ne pas rendre publique la lettre. J’avais démissionné parce que je n’étais pas satisfait de la manière dont les choses se passaient. J’avais surtout rendu mes fonctions de secrétaire national chargé de l’orientation, des stratégies et des réformes parce que je savais que si on ne réfléchissait pas sur les réformes et changer les manières de faire du parti, on risquerait de disparaître. Je ne voulais pas être tenu personnellement responsable d'un échec que je voyais pointer du nez. Aujourd'hui, s’il décide de m’enlever de ce poste sur insistance de Karim qui préférait que l'on me renvoie du Pds, c’est comme s’il me soulage. Il n’empêche que je m’opposerai à l’illégalité et à l’inopportunité de cette décision. Voilà pourquoi je suis dans ce groupe au sein du parti pour essayer de faire bouger les choses. Certains me diront que dans un passé récent, je n'étais pas d’accord avec Oumar Sarr et Me Sall. C’est vrai. Mais notre désaccord se justifiait à cause de leur passivité face aux agissements de Karim Wade et ses hommes dans le parti. Certainement, ils avaient des griefs contre moi. Mais aujourd’hui, tout le monde se rend compte que j’avais raison sur ce point et ce que je redoutais est arrivé. Karim Wade et les “karimistes’’ sont en train de tenter une Opa sur le parti. Ce parti qui est nôtre. Je ne peux pas comprendre que des gens qui n’ont pas la carte du Parti démocratique sénégalais puissent être nommés à des hautes fonctions avec des responsabilités de management, coiffant, commandant des généraux qui sont responsables de fédération ou de section. Cela signifierait qu’au Pds on n’a pas besoin de mérite politique ou de représentativité. Il suffit juste d’être l’ami de Karim Wade, avoir sa confiance pour occuper des postes hiérarchiquement au-dessus de ceux qui ont blanchi sous le harnais. C’est inacceptable.
Jusqu’où comptez-vous aller dans ce combat ?
Lutter, lutter, toujours lutter jusqu’à ce que nous ayons gain de cause. Nous pensons que le président Abdoulaye Wade est un homme raisonnable. S’il ne l’était pas jusqu’à présent, il est le temps qu’il le devienne. Il doit savoir qu’il est un homme historique. On l’a connu démocrate. Il a promu la démocratie, les Droits de l’homme, la liberté d’expression, etc. Il a fait ce qu'aucun président n'a fait dans ce pays et en Afrique. Il ne faut pas que cet homme-là, à la fin de sa vie, soit perçu comme celui qui piétine les valeurs pour lesquelles nous l’avons suivi. Nous estimons et espérons aussi qu’il arrivera un moment où il se ressaisira et comprendra qu’il n’a pas le droit de brûler notre héritage, le patrimoine de tout un peuple, pour les caprices de Karim Wade. Il ne faudrait pas non plus que le Pds soit perçu comme un parti où le pouvoir se transfère par nomination. On ne veut pas que l’opinion nationale sénégalaise pense que pour avoir une place au Pds, il faut avoir une relation sanguine ou d'amitié avec les chefs. J’estime que ce n’est pas normal. Me Abdoulaye Wade mérite mieux et plus que ça. Nous nous battrons pour “sauver le soldat Abdoulaye Wade’’, pour que son héritage puisse être préservé. Cet héritage est le nôtre. Karim Wade peut hériter de la maison de Point E, récupérer les biens de ses parents, prendre le foncier qui leur appartient, mettre la main sur leurs comptes bancaires, le cas échéant. Mais qu'il accepte de partager démocratiquement avec nous notre bien commun : le Parti démocratique sénégalais. C’est un héritage commun à tous les libéraux.
Au cas où Wade déciderait d’organiser un congrès et de mettre son fils, qu’allez-vous faire ?
A chaque jour suffit sa peine. Nous apprécierons et verrons quels seront les actes qu'ils poseront. Nous nous battrons à l’intérieur du parti. Ce n’est pas parce que la cause semble être perdue qu’il ne faille pas entreprendre de lui trouver une solution. Nous allons nous battre.
Y a-t-il des possibilités de mettre un autre parti sur pied ?
L’Alliance Suxali Soppi va se mouvoir à l’intérieur du Pds comme le faisait la Génération du concret, comme semble vouloir le faire la Génération And Doxal de Bara Gaye. Ensemble, chacun ira puiser dans notre vivier. Nous allons faire nos propositions, et si besoin en était, présenter une motion au prochain Congrès. J’espère qu’ils nous permettront au moins d’acheter nos cartes, d’avoir nos bases, de développer nos idées et d’aller en congrès. Si nous sommes battus à la régulière, en bon démocrates, nous le reconnaitrons. Mais nous serons exigeants pour que les choses se fassent dans les règles de l’art. On n’acceptera pas une mascarade dans les renouvellements. Nous réclamons une commission paritaire où toutes les sensibilités du parti sont intégrées afin de voir ensemble comment vendre les cartes, renouveler dans la transparence afin que le meilleur gagne. Karim Wade n’est pas encore rentré, mais ça c'est de sa responsabilité personnelle. La fin de son exil à Doha ne dépend que de sa volonté de venir se battre comme tout le monde sur le terrain et affronter Macky et son système. Personne ne lui impose un séjour à Doha d'autant qu'il est libre de ses mouvements. Je suis allé à Doha et je l’ai vu. S’il ne vient pas au Sénégal, c’est qu’il y a des choses qu’il redoute et qui lui sont personnelles. Pour nous, le parti a besoin d’avoir tous ses hommes ensemble pour discuter des modalités de sa réforme avant d'aller à des renouvellements. Il ne faut jamais favoriser des scissions parce qu’à chaque fois qu’il y en, les bannis ont tendance à aller grossir les rangs de nos adversaires. Il existera toujours des gens qui ne voudront pas être esseulés au plan politique. S'ils le sont, ils sont capables d’aller rejoindre l’adversaire. Il y en a peut-être qui ne le feront jamais. Mais je ne peux pas garantir que tout le monde acceptera, sans riposte, le sort que l'autre camp veut leur réserver. Il n’y a que ceux qui vivent des frustrations qui savent pourquoi et quand ils décident d’aller rejoindre Macky Sall.
Certains disent que vous allez rejoindre Macky Sall…
Nous mènerons le combat au sein du Pds. Nous voulons gagner le combat de la reconstruction des valeurs libérales et sociales. Suxali Soppi souhaite que notre parti survive à cette crise et qu’il fasse face à Macky Sall dans le futur. Nous ne sommes pas dans une perspective de quitter notre parti pour rejoindre Macky Sall comme ils le font croire à des fins de propagande.
Quels sont vos rapports avec Macky Sall ?
Ils sont très bons. Nos rapports personnels ne sont pas exécrables. Nous n’avons aucun problème personnel. Le seul désaccord majeur que j’ai avec lui procède de son désir et de sa volonté d’utiliser les moyens du pouvoir pour combattre notre parti et Me Wade qu'il a cherché à présenter comme un vulgaire voleur de tapis, de véhicules, de je ne sais quoi encore. Il a emprisonné pas mal de nos responsables et militants. Il a restreint pendant des années la liberté d'aller et de venir de quelques-uns de nos frères. Rien ne m’oppose à lui du point de vue orientation idéologique. Même si, par moment, je ne partage pas sa gouvernance politique, économique et financière. Si on se voyait, on se serait salué chaleureusement. On s’embrasserait sûrement. Ça ne m'aurait pas gêné outre mesure. Il a ses convictions, j’ai les miennes. Je n’ai aucun problème avec le président Macky Sall. Je le dis en toute liberté. Mes problèmes avec lui procèdent de ses rapports avec la famille Wade que j'ai soutenue par devoir.
Si vous n’avez aucune opposition idéologique, rien ne vous empêche donc d’aller soutenir le président.
Tant que je suis au Pds, cela ne fait pas partie de mes projets. Mais je n’insulte jamais l’avenir. Je le dis parce que le président Abdoulaye Wade a lui-même pensé à un moment qu’il fallait que la famille libérale se retrouve au sein d’un large front de coopération politique pour faire face aux socialistes. C’est une hypothèse qu’il ne faut pas écarter dans le contexte actuel où émergent des forces avec lesquelles nous n'avons pas la même orientation idéologique. Comme me le dit souvent un ami, ce pays a besoin d'une convergence des intelligences. Au demeurant, je fais de la politique avec l’éthique qu’il faut. Il est évident que je ne trahirai jamais. Par contre, quand les intérêts vitaux de la nation sont en péril, je ne peux pas me dérober de mes responsabilités. Je ne sais pas de quoi demain sera fait. Mais je n’ai pas de projet politique allant dans le sens de quitter le Pds pour aller aux côtés de Macky Sall. Si on me pousse en dehors du Pds, ma famille politique, je me mets au service de la République. Que personne ne vienne me dire : “Babacar Gaye, ne t'en va pas.” Non ! En homme responsable et libéré de toute contrainte morale, je verrai ce que j'aurais à faire. Je n’ai d'engagement avec personne, si ce n'est ma conscience.
Quelles sont vos distractions ?
(Il pointe du doigt sa bibliothèque remplie) Ma première distraction est la lecture. La deuxième est de sortir écouter Pape et Cheikh. C’est mon groupe mythique. Ce sont mes amis avec qui je danse. Comme autres hobbies, j’ai recommencé à jouer au scrabble. Je signale qu'en 1988, j’étais champion de l’Enam. Depuis quelques mois, j’ai repris et je me rends compte que j'ai toujours gardé la bonne technique. Enfin, je suis en train de rédiger mes mémoires. Je lis un peu de tout. J’ai des livres écrits par Me Abdoulaye Wade, des livres sur Mandela, Mitterrand, Sarkozy, etc. J'ai aussi dans ma bibliothèque beaucoup de livres écrits par des journalistes et par de célèbres chroniqueurs comme Attali et Jean Daniel. J’ai ici des thèses qui m'ont été offertes par des amis. C’est un petit livre de Confucius qui me sert de livre de chevet. “L’art de la guerre’’ de Sun Tzu est un bouquin qui m’a marqué. Je le relis souvent d’ailleurs.
Quel type de père et de mari êtes-vous ?
Je suis monogame de fait. Je pense être bien avec ma famille. Il n’y a pas de relations tendues, même si je suis un peu dure, semble-t-il. Il parait que je ne communique pas aussi bien avec eux. Il n’empêche qu’on est bien quand même. Si je me réfère aux appréciations de leur mère, à leurs réactions quand je traverse des crises politiques, je me rends compte que ce sont des personnes très attachantes et qui sont conscientes de ce que leur père représente dans ce pays. Si je suis fort, c’est grâce à ma famille. Ma femme n’est pas exigeante en termes de bien matériel. Au contraire, elle a tendance à me reprocher d’être trop dépensier, surtout pour mes enfants. Elle a une vie entièrement remplie de piété et de spiritualité. C'est mon marabout. Mes enfants aussi ne sont pas très exigeants. Je me rappelle la première fois que j’ai démissionné, ma fille ainée était en France. Elle m’a appelé pour me dire que c’était, pour elle, le seul acte que je devais poser et que cela lui faisait plaisir. Il est rare de voir des gens qui réagissent comme ça. Quand on quitte une fonction politique importante, les personnes qui sont autour de nous sont souvent malheureuses. Ici, ils étaient tous fiers de me voir dire non. C’est en ces périodes qu’ils me voient davantage et peuvent échanger avec moi. De 2001 à 2007, chacun des membres de ma famille avait un passeport qui aurait pu leur ouvrir les aéroports du monde entier. Un jour, à ma descente, je retrouve tous les passeports sur le lit. J’ai demandé à mon épouse la raison de cet acte. Elle m’a répondu que comme cela ne leur servait à rien, pourquoi ne pas les retourner. Je venais de me rendre compte qu'en dehors des plus grands qui poursuivaient leurs études en Europe, les plus jeunes n’avaient jamais voyagé. Je ne pensais même pas à leur offrir des vacances tant j'étais absorbé par les activités politiques. Je décidais alors de les envoyer au Maroc sur invitation d’un ami qui m’avait aidé en les recevant. Ils y ont fait un accident qui a failli coûter la vie à ma toute dernière fille. Elle était encore toute petite. Ma famille se suffit du peu qu’elle a. Mon épouse ne me pose pas de problème. Quand je veux sortir, elle est heureuse de me prêter sa voiture, car présentement je n'en dispose pas une en bon état de marche. C’est la sienne que je conduis. Elle est une secrétaire de direction à la retraite. Souvent, c’est elle qui prépare encore mes repas, alors que mes enfants et mes nièces vivent avec nous sous le même toit. Pour vous dire qu’on est une famille simple, très unie. Je loge dans cette maison depuis 1992 et je n’ai jamais déménagé. Il n’y a jamais eu de gendarme devant chez moi pour nous garder, même quand j'étais ministre d’Etat. Arrivé au pouvoir, rien n’avait changé dans notre quotidien. Quand on a perdu le pouvoir, on a continué à vivre comme on vivait avant. Ma famille est mon socle. Quand je n’ai rien dans mes poches, je n’ai pas peur de revenir chez moi. Ici, on ne me reproche pas de n’avoir pas telle chose ou telle autre chose.