LA COLLECTE DE PARRAINS MENACÉE PAR LA VIE CHÈRE
Les candidats à la candidature de la présidentielle ne dorment plus depuis le début des opérations de parrainages. Les citoyens, mécontents du système politique actuel, expriment ainsi leurs frustrations à travers le refus de parrainage

Un mouvement de désobéissance civile apparait à l’approche de la présidentielle de 2024. Il est marqué par le refus de citoyens de parrainer les hommes politiques pendant que les partis de l’opposition et du pouvoir se battent pour obtenir les fameuses signatures accompagnées de relevés des numéros d’identification nationale des électeurs pour la validation de la candidature de leurs candidats à la prochaine élection présidentielle. Ces citoyens, mécontents du système politique existant, expriment ainsi leurs frustrations à travers ce refus de parrainage de candidats à la candidature.
Les candidats à la candidature de la prochaine élection présidentielle ne dorment plus depuis le début des opérations de parrainages. Munis de leurs fiches délivrées par la Direction générale des élections (DGE), ils sont présents sur le terrain à la collecte de parrains. Mais la vie chère semble leur jouer un mauvais tour avec le refus d’une bonne partie des citoyens électeurs de parrainer des candidats. Certes, beaucoup d’observateurs soutiennent que ces citoyens refusent de parrainer des candidats autres que le leader de Pastef, Ousmane Sonko. Mais, si cette raison est effectivement valable, il y en a une autre qui explique davantage le refus ces citoyens de parrainer des candidats à la présidentielle de février prochain. C’est du moins ce qui est ressorti de notre reportage sur le terrain. Des Sénégalais rencontrés dans les rues de Dakar parlent de la cherté de vie qui motiverait leur refus de parrainer des candidats. Malgré les promesses mielleuses des responsables politiques et de leurs collecteurs sur le terrain, en dépit des arguments sentimentaux, confrériques, régionalistes et autres, leur quête effrénée de parrains bute sur un refus catégorique de certains citoyens que la cherté de la vie a dégoûté de la politique. Ils estiment que les hommes politiques sont déconnectés des préoccupations quotidiennes des Sénégalais lambda. Ces compatriotes, outrés par le comportement des acteurs de la politique, ont opté pour l’indifférence par rapport aux parrainages. C’est le cas d’Astou Diallo, femme de ménage, habitant la Sicap Baobab. D’après elle, les politiciens sucent le sang des populations. Les jugeant prétentieux, elle estime qu’ils n’hésiteraient point à brûler le pays pour leurs propres intérêts. Malgré l’argent qu’elle reçoit chaque mois de son mari émigré établi en Italie et son petit commerce, elle n’arrive plus à préparer les trois repas pour ses enfants. «Le soir, tout le monde se débrouille entre le couscous au coin de la rue où les sandwiches de la gérante d’un restaurant de fortune. Le prix de l’électricité dépasse nos moyens, les factures d’eau de ce mois-ci, nous n’en parlons même pas. Au marché Castors où je vais régulièrement, tous les prix sont à la hausse. La chaleur et les embouteillages nous rendent plus vulnérables. C’est extrêmement dur de vivre dans ce pays et les politiciens de tous bords ne parlent jamais des difficultés dans lesquelles se débattent les populations. Ils sont tout le temps dans leurs intérêts crypto personnels. Rares sont ceux qui se soucient de nos difficultés. J’ai décide volontairement de les boycotter et de me concentrer sur la survie de ma famille », confie Astou Diallo dont la frustration est visible sur le visage.
D’autres Sénégalais refusent de parrainer des candidats en solidarité avec leur leader. C’est le cas de Bassirou Diandy, vendeur de tissus au marché Hlm. Ce jeune homme attend encore, le signal de son leader, Ousmane Sonko. Selon lui, sans Sonko, « Les Patriotes » ne soutiendront aucun candidat. Bara Sady, chauffeur de taxi en ligne, exprime un désintéressement total par rapport au processus politique en cours. Son objectif principal, confie-t-il, c’est d’assurer la survie financière de sa famille. Le coût élevé de la vie, motif de refus de parrainage La réalité de la vie quotidienne des citoyens confrontés à des préoccupations telles que le coût élevé de la vie, la flambée des prix des denrées alimentaires, les factures salées d’électricité et d’eau, les loyers exorbitants, les problèmes de transport et autres, poussent de plus en plus de gens à se détourner des discours des politiciens. Matar Mbengue, chef de quartier à Bayakh, accroché à la porte de son domicile, visage fermé, yeux rouges à cause de la fatigue, témoigne qu’il sort d’un long embouteillage depuis le centre-ville de Dakar jusqu’à son village à la périphérie de Rufisque. Il explique les longues heures passées dans les bouchons et les difficultés éprouvées avant de rallier sa demeure sous une forte chaleur. Il parle avec regret de l’échec des politiciens à convaincre les citoyens et soutient que la violence et les difficultés de la vie quotidienne sont le résultat des agissements des politiques. Aussi, a-t-il décidé de ne parrainer aucun candidat. En plus, il exhorte les acteurs à cesser de prendre les gens pour des naïfs.
Mensonges et manipulation des politiques
Vendeuse ambulante à Yarakh Capa, assise sur une chaise et arrangeant ses produits sur une petite table basse en bois, Maman Binta Sadio adopte une approche pragmatique. Elle ne prévoit de parrainer personne à moins qu’elle ne reçoive de l’argent pour améliorer sa situation financière. Pour Maman Binta, les politiciens ont atteint le sommet des mensonges et de la manipulation. Tout en sourire, elle nous remercie de lui avoir permis de s’exprimer tout en avouant n’avoir pas encore reçu la visite de collecteurs de parrainages depuis le début des opérations. Des jeunes soudeurs métalliques accrochés vers le Front de Terre assurent qu’ils n’ont pas le temps d’écouter les collecteurs de parrainages. « Ils sont passés à plusieurs reprises mais nous leur avons fait comprendre que ce qui nous intéresse, c’est notre travail journalier qui nous permet de survivre », disent ces jeunes tout en exhortant les acteurs de la politique à arrêter les appels à brûler le pays et les vols de deniers publics.. Le refus de parrainer les politiciens pourrait ainsi s’expliquer par le profond mécontentement des électeurs. La non fiabilité du fichier électoral, les affaires judiciaires et le manque de confiance envers les partis politiques contribuent à cette méfiance. Ce phénomène, bien qu’invisible aux yeux de certains, est en réalité un cri silencieux de la population, un avertissement clair aux politiciens.
Électeur averti très exigeant
Pendant que les partis politiques, du pouvoir comme de l’opposition, se préparent pour la campagne électorale à venir, ils devront faire face à des électeurs sénégalais avertis et exigeants. L’avenir politique du pays repose sur la capacité des politiciens à comprendre ces préoccupations et à agir en conséquence pour leur trouver des réponses. Les plaintes et complaintes des citoyens sénégalais face au matraquage politique des candidats à l’élection présidentielle de février 2024 ne sont pas à négliger. Le dégoût de ces compatriotes par rapport à la politique politicienne est un phénomène bien réel. Maïmouna Diallo, une nymphe rencontrée au Marché Serigne Fallou d’Ouest-Foire, ne cache pas son désamour pour les hommes politiques. Tenant son panier, elle exprime avec des mots acerbes son refus de parrainer un candidat. D’après elle, ce n’est pas le blocage des fiches d’Ousmane Sonko qui motive son refus de parrainer mais, plutôt, les complications et la cherté de la vie, les factures d’électricité et le loyer qui grimpent. N’étant plus assez solide pour perdre son temps dans les activités politiques pour satisfaire les soucis de « charognards » politiques qui dilapident davantage les ressources du pays, Maïmouna Diallo invite les Sénégalais à se concentrer sur l’essentiel, à s’occuper de leurs problèmes et essayer de survivre. Ce n’est pas pour Maïmouna Diallo seulement que la cherté de vie constitue la principale préoccupation. Des jeunes sans emplois stables se plaignent eux aussi des difficultés de la vie. C’est le cas de Modou Diouf, charretier venu de Ndoffane Laghem pour chercher fortune à Dakar. Le jeune homme déplore l’attitude arrogante des leaders et responsables politiques. Il estime que ces derniers ne font qu’user de ruses pour tromper les populations. Son refus de parrainer un candidat politique n’a rien à voir avec l’affaire Sonko. Il explique son dégoût par l’incapacité des autorités étatiques à alléger les souffrances des populations. Selon lui, une fois élus, ces politiques se transforment en monarques, en de véritables viveurs, s’accaparent des richesses du pays et accroissent les malheurs des Sénégalais. Bref, le charretier ne croit plus aux promesses des politiciens. Fouet en main, Modou Diouf explique que seul le travail pour satisfaire les attentes de ses parents restés au village le préoccupe présentement. Trimant fort sous la chaleur, il dit être sur une logique d’économiser de l’argent pour tenter l’aventure à l’extérieur. Même si c’est via la mer, à bord de pirogues de fortune, il se dit prêt à tenter sa chance. Déterminé, il confie n’avoir jamais arrêté de chercher des vendeurs de visas ou des convoyeurs de migrants pour réaliser son projet de quitter ce pays.
Des Sénégalais s’en tapent du parrainage
Dans le même marché, nous avons croisé Ngor Sarr, un jeune marchand très maigre, certainement épuisé par le stress et les soucis permanents. Il tacle sévèrement les politiques et dit qu’il s’en tape de l’affaire Sonko. D’après lui, la politique au Sénégal constitue un raccourci assez rapide pour devenir riche. Ce qui le frustre, c’est de voir des gens sans profession ni compétence, qui n’ont hérité de rien, devenir riches rapidement. Ces parvenus deviennent des arrogants qui roulent en bolides, vitres teintées. D’après Ngor, c’est cette catégorie revancharde qui détruit davantage et rend la vie plus dure. Son rejet n’est pas politique, il est plutôt social. Il avertit qu’aucun politique ne doit compter sur sa pièce d’identité pour atteindre ses objectifs. Le parrainage, ce n’est pas sa tasse de thé. Ngor Sarr, comme beaucoup d’autres Sénégalais, court derrière un quotidien difficile. Comme lui, beaucoup de jeunes semblent tourner le dos à la politique. Ils décrivent l’égoïsme des leaders qui cherchent à s’enrichir davantage, eux, leurs proches et amis. Le bas peuple n’est pas dans leur ligne de mire. Que les gens meurent en mer ou dans des accidents dramatiques de voitures en mauvais état et autres, ça les laisse indifférents. Pour les jeunes, parrainer ces gens, c’est contribuer à accroître la misère des populations.