LA FILIÈRE SÉNÉGALAISE AU QUÉBEC
Abdoulaye Wade, Karim Wade, Mamadou Pouye et Madické Niang mentionnés dans une enquête sur la corruption réalisée par une télévision canadienne
Quand l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade a perdu l’élection de 2012, le nouveau gouvernement a tout de suite déclenché une série d’enquêtes sur la corruption de son régime.
Notre Bureau d’enquête a découvert que deux de ses fidèles ont investi près d’un million de dollars dans l’immobilier montréalais depuis 2006. L’un d’eux a été condamné à cinq ans de prison et à rembourser l’équivalent d’environ 160 M$, dans un procès critiqué par les Nations unies.
Mamadou Pouye, le prête-nom du régime à Outremont
Mamadou Pouye est un vieux copain de collège de Karim Meïssa Wade, ministre et fils de l’ancien président Abdoulaye.
Deux semaines après leur défaite à l’élection de mars 2012, une compagnie à numéro que contrôlent Pouye et sa femme achetait un condo dans Outremont, pour 470 000 $, taxes comprises, sans hypothèque.
L’appartement de la rue Champagneur vient d’être revendu. Pouye et sa famille ont décidé de s’établir en Afrique du Sud, après ses graves ennuis à Dakar, la capitale du Sénégal.
En 2015, un tribunal spécial l’a condamné à cinq ans de prison, lui reprochant d’avoir orchestré pour Karim Wade le détournement de 69 milliards de francs CFA (environ 160 M$). Le président actuel du Sénégal a ensuite gracié l’homme d’affaires, comme l’ensemble des condamnés, incluant Wade.
Le nom de Pouye a de nouveau fait les manchettes l’an dernier à la publication des Panama Papers, la fuite massive de documents sur les compagnies offshore. Il y figure comme dirigeant et administrateur de deux compagnies du Panama, enregistrées par le cabinet Mossack Fonseca et une avocate québécoise à Dubaï, Hélène Mathieu.
Selon l’International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ), ces entreprises, Seabury inc. et Latvae Group inc., ont signé des contrats de consultation d’une valeur de 35 M$ US avec le port de Dakar.
L’adresse sénégalaise qui figure dans les données de l’ICIJ est la même qu’ont donnée Pouye et sa femme quand ils ont enregistré leur compagnie à numéro québécoise.
À Montréal, le notaire ayant signé l’achat de leur appartement en 2012 se charge de leur faire parvenir tout le courrier qu’ils reçoivent à leur propriété. L’an dernier, Revenu Québec leur a d’ailleurs envoyé une hypothèque légale de 21 797 $, puisque leur entreprise n’avait pas rempli sa déclaration de revenus.
«Procédures politiques»
Notre Bureau d’enquête a contacté l’avocate de Pouye, qui nie en bloc l’ensemble des crimes que Dakar lui reproche. Corinne Dreyfus-Schmidt affirme que le tribunal d’exception ayant mené le procès n’offrait «aucune garantie au regard de la protection des libertés individuelles et des droits de la défense».
Selon elle, le procès visait en fait «l’élimination d’un opposant politique en la personne de Karim Wade», qui veut devenir le prochain président du Sénégal.
Elle n’a cependant pas répondu aux questions spécifiques de notre Bureau d’enquête, notamment sur l’utilisation de sociétés offshore par son client.
Quoi qu’il en soit, Pouye semble vouloir se faire plus discret au Québec. Dix jours après la discussion de notre Bureau d’enquête avec son avocate, son nom est disparu de la liste des actionnaires de sa compagnie à numéro au Registre des entreprises du Québec. Seule sa femme y figure désormais.
Un autre fidèle allié de la famille de l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade a investi dans des pied-à-terre à Montréal. L’ancien ministre et avocat de la famille, Madické Niang, 64 ans, en est à son deuxième investissement dans le centre-ville.
Les liens privilégiés de cet homme de loi avec la famille Wade remontent à 1993. Le futur président est alors soupçonné d’avoir commandité l’assassinat du vice-président du Conseil constitutionnel, qui devait confirmer la défaite de son parti d’opposition aux élections.
C’est Niang qui va représenter Adboulaye Wade, libéré faute de preuve.
Après l’élection de son ancien client en 2000, Niang devient l’un de ses plus influents ministres, nommé tour à tour aux Mines, à la Justice, puis aux Affaires étrangères. Mais en 2012, le gouvernement dont il était l’un des piliers est congédié par le peuple, scandalisé par une série de scandales de corruption, dont certains touchent Niang.
Les choses se gâtent alors pour le clan Wade, accusé de corruption massive. Karim, ex-ministre et fils de l’ancien président, est arrêté en 2013, puis condamné à six ans de prison, dans un procès critiqué par les Nations unies et Amnesty International, parce qu’il ne respectait pas les critères internationaux en matière d’impartialité de la justice.
Quand le président actuel le gracie en juin 2016, c’est chez Niang que les autorités reconduisent Karim Wade, à sa sortie de prison. De là, il se dirige vers l’aéroport, où l’attend un avion envoyé par un bon ami: l’émir du Qatar, selon le magazine Jeune Afrique.
Dans une lettre de 2012 au Procureur de la République française qu’a obtenue notre Bureau d’enquête, les avocats de l’État sénégalais ont d’ailleurs demandé aux autorités de l’Hexagone d’enquêter sur les éventuels biens de Niang dans ce pays, sans toutefois mentionner quelque actif qu’il pourrait y détenir.
Contacté par notre Bureau d’enquête par le biais de son fils, Niang n’a pas rappelé pour répondre à nos questions.