LA PAROLE RELIGIEUSE PÈSE-T-ELLE ENCORE ?
Avec 62% des Sénégalais favorables à leur intervention en politique, leur influence reste indéniable. Néanmoins, une majorité croissante, particulièrement parmi les jeunes, appelle à une séparation plus nette entre religion et politique
(SenePlus) - Le Sénégal, nation réputée pour sa diversité culturelle et religieuse, a toujours entretenu des relations étroites entre les sphères religieuse et politique. Une étude menée en décembre 2023 par l’Institut Timbuktu en partenariat avec la Fondation Konrad Adenauer, intitulée “Perceptions de la place et du rôle des acteurs religieux dans le jeu électoral du Sénégal,” éclaire de manière détaillée l’influence et les défis auxquels font face les acteurs religieux dans le contexte électoral sénégalais.
Depuis les indépendances, le Sénégal a vu se développer une imbrication significative entre ses dirigeants politiques et religieux. Historiquement, les leaders religieux ont joué un rôle de stabilisateurs dans les moments de crises, comme ce fut le cas lors des événements de mars 2021 où des interventions religieuses ont contribué à apaiser les tensions politiques et sociales. Cet héritage se manifeste encore aujourd’hui, alors que les guides religieux continuent d’être des acteurs influents dans la régulation des conflits et la médiation politique.
L’étude révèle que 62% des Sénégalais estiment que les guides religieux doivent intervenir dans le jeu politique. Cette opinion est partagée autant par les jeunes que par les plus âgés, soulignant l’importance perçue de ces figures religieuses comme médiateurs et influenceurs dans le processus électoral. Leur soutien peut conférer une légitimité et une crédibilité supplémentaires à certains candidats ou partis politiques, en renforçant la mobilisation électorale et en influençant les décisions des dirigeants politiques.
Cependant, cette influence n’est pas sans controverse. Une majorité de 58% des répondants, en particulier parmi les jeunes et dans certaines régions comme Tambacounda, exprime une réticence vis-à-vis de l’implication des acteurs religieux dans le processus électoral. Certains leaders politiques et sociaux suggèrent que les religieux devraient se concentrer sur leur rôle spirituel et éducatif, plutôt que de s’engager activement dans la politique électorale.
La question de la laïcité reste centrale dans ce débat. Le Sénégal, bien que majoritairement musulman, est une république laïque où la séparation entre l’État et la religion est constitutionnellement établie. Cependant, dans la pratique, les frontières sont souvent floues. L’étude souligne la complexité de dissocier entièrement la religion de la politique dans un pays où l’imaginaire religieux est profondément enraciné dans la conscience nationale.
À l’approche des élections de 2024, les perspectives d’une implication accrue des religieux dans le jeu politique restaient incertaines. L’étude suggère que leur rôle pourrait évoluer vers une fonction de pacificateurs et de médiateurs, plutôt que d’influenceurs directs sur les choix électoraux. La jeunesse sénégalaise, en quête de sens et de changement, pourrait également redéfinir cette dynamique, en privilégiant des leaders politiques autonomes des consignes religieuses.
En somme, les acteurs religieux au Sénégal continuent de jouer un rôle crucial dans la stabilité politique et la cohésion sociale. Toutefois, leur influence dans le domaine électoral est de plus en plus contestée, reflétant une société en mutation où les jeunes générations aspirent à une séparation plus nette entre le sacré et le politique.
Cette étude offre un éclairage précieux sur ces dynamiques et ouvre des perspectives sur l’évolution du rôle des religieux dans les futures échéances électorales du pays.