L’AMNISTIE SOUILLÉE ?
La décision du gouvernement d'accorder une enveloppe de 5 milliards de Fcfa en guise d’assistance financière aux ex détenus et aux autres victimes des manifestations politiques de la période 2021 à 2024 suscite des vagues dans l’espace public
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La décision du gouvernement d'accorder une enveloppe de 5 milliards de Fcfa en guise d’assistance financière aux ex détenus et aux autres victimes des manifestations politiques de la période 2021 à 2024 suscite des vagues dans l’espace public. Elle semble souiller la loi d’amnistie souhaitée par Sonko et compagnie.
5 milliards FCFA. C'est l'enveloppe que le gouvernement a décidé de casquer pour apporter une assistance aux 2 172 ex-détenus et aux 79 victimes des manifestations politiques de mars 2021 à février 2024. Ainsi, chaque famille de personne décédée va recevoir 10 millions de FCFA. A cette enveloppe, il sera assorti entre autres mesures de l'admission au statut de pupille de la Nation pour les orphelins mineurs. La famille va avoir accès aux bourses de sécurité familiale, à une couverture sanitaire universelle, une carte d’égalité des chances. Une allocation de 500 000 francs sera aussi accordée pour les ex-détenus. Cette batterie de mesures entérinées par le Gouvernement par le biais de la ministre des Solidarités intervient après une controverse sur une somme de 108 millions de Fcfa qui a été accordée à d’“ex-détenus politiques” qui réclamaient un processus d'indemnisation inclusif, transparent et équitable. Cette assistance accordée aux victimes suscite une levée de boucliers. « Dans un État de droit, toute indemnisation découle de l'existence d'un responsable et d'une victime dûment identifiés par une décision de Justice», a constaté l'ancien ministre d'Etat sous Abdoulaye Wade, Babacar Gaye qui se demande : «Par quelle gymnastique, en l'absence de décision judiciaire à laquelle une telle mesure doit être adossée, l'Etat devrait-il verser aux militants de Pastef autant d'argent tiré des deniers publics ?».
Dans le même registre, le magistrat démissionnaire, Ibrahima Hamidou Dème, s'inquiète de son côté d'une “patrimonialisation de l’Etat”. Il constate que le clientélisme tant décrié ces dernières années, persiste de plus belle avec la gouvernance Pastef. L’Etat de droit, selon lui, c’est avant tout la soumission de l’Etat à la loi. Or, fait remarquer Ibrahima Hamidou Dème, aucune loi, aucune jurisprudence ni même aucune logique ne peut justifier que des personnes poursuivies par la justice bénéficient de la qualité de victimes et soient indemnisées sans décision judiciaire
Dans le même ordre d'idées, Me Moussa Diop dénonce une procédure en porte-à-faux avec les règles de bonne gouvernance. “La bonne gouvernance dans la Rupture voudrait qu'une indemnisation des victimes avec des deniers publics soit faite par voie judiciaire et non politique. Ce qui se fait est en porte-à-faux avec ce pourquoi nous nous battions. Allons-y directement vers l'abrogation promise de la loi d'amnistie avec une Assemblée nationale mécanique et sans fuite en avant pour identifier les véritables victimes qui ne se limitent pas à des militants du Pastef”, a-t-il noté.
QUID DE LA REVISION PARTIELLE ANNONCEE DE LA LOI SUR L’AMNISTIE ?
Du côté du pouvoir, le député Amadou Ba, membre de la mouvance présidentielle Pastef, a fait une précision. Selon le juriste, les familles endeuillées, les blessés et les ex détenus vont recevoir une assistance et non une indemnisation. Cette indemnisation viendra, dit-il, avec le règlement définitif de la loi d’amnistie
Dans un post, l'ancienne Première ministre de Macky Sall devenue alliée du Pastef a partagé son avis tranché sur la question. D'après Aminata Touré, aucune indemnité ne sera jamais suffisante pour effacer la douleur d’une mère qui a perdu son enfant. À l'en croire, l’Etat ne fait que reconnaître cette peine par une compensation financière symbolique. Elle a enfin demandé à ce que “les responsables de ces tueries soient traduits en Justice”
«J'invite l'Etat à revoir sa méthode”, a déclaré, hier, Boubacar Seye, membre du collectif des victimes des émeutes politiques, sur le micro de nos confrères de la chaîne 7tv. Il faut dire que le dossier des émeutes politiques de mars 2021 à mars 2024 fera tache. Et sa gestion par les nouvelles autorités sera scrutée de près. Car, le parti au pouvoir Pastef alors dans l'opposition, en apportant ses soins aux manifestants, avait de facto, revendiqué leur appartenance dans sa formation politique. Toutefois avec son arrivée au pouvoir, la formation des “Patriotes” semble être prise dans leur propre jeu politique.
Donc, le soubassement du dossier est éminemment politique. C'est pourquoi, le président du Pastef, Ousmane Sonko, s'était engagé à rendre justice aux victimes et aux détenus. Outre l'assistance apportée aux manifestants, il avait, en ce sens, décidé d’abroger la loi sur l’amnistie votée en mars 2024 couvrant les faits liés aux violentes manifestations politiques dans la période de mars 2021 à février 2024. Mais, lors de sa déclaration de politique générale, le 27 décembre 2024, à l’Assemblée nationale, le patriote en chef du Pastef avait varié sur sa position. Il avait fait état d'un projet de loi rapportant la loi d'amnistie. D'ailleurs, lors de la séance devant les députés, il était obligé de s'expliquer sur l'utilisation du verbe rapporter plutôt qu'abroger. Sonko a estimé qu'elle découle de la volonté d'extirper de la loi, ce qui ne doit pas en faire partie.
Toujours est-il que la méthode du gouvernement risque de souiller la procédure. Puisqu’en décidant d'accorder une réparation aux victimes et ex détenus avant même que la justice ne se prononce sur les faits pour lesquels ils ont été poursuivis, le Pouvoir s'est emmêlé les pinceaux.