LE NÉPOTISME, UNE TRADITION BIEN ANCRÉE AU SÉNÉGAL
De Senghor à Macky Sall, en passant par Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, l'histoire politique du Sénégal indépendant témoigne de la banalisation du népotisme au plus haut niveau de l'Etat, malgré les promesses de rupture
Le népotisme, défini par le Larousse comme ‘’l’abus de quelqu'un qui use de son autorité pour procurer des avantages aux gens de sa famille’’, est une pratique qui a fait couler beaucoup d’encre ces derniers temps au Sénégal. Plusieurs nominations récentes ont ravivé les débats autour de cette question, divisant les opinions et suscitant de vives polémiques.
Au cours des derniers jours, de nombreux journalistes et citoyens ordinaires ont utilisé le terme "népotisme" à tort et à travers, allant jusqu'à en donner des définitions étendues. La cause de cette confusion ? La nomination de plusieurs personnes, soit par décret présidentiel, soit par arrêté ministériel. La plus notable est celle réalisée par le ministre de l’Industrie et du Commerce Serigne Guèye Diop. Il est accusé de népotisme, pour avoir recruté plusieurs de ses proches, y compris sa fille Daba Diop, son gendre ainsi que deux anciennes collaboratrices, Seynabou Kébé Ndiaye et Yacine Diakhaté, avec qui il avait travaillé chez Nestlé.
Toutefois, l'ex-maire de Sandiara a démenti ces accusations en publiant un arrêté datant du 11 juillet 2024. Le document présente les membres nouvellement nommés dans son cabinet.
Cependant, quelques minutes plus tard, la liste a été retirée du site web du ministère, ce qui a alimenté des débats interminables sur les réseaux sociaux et dans la rue.
Sophie Nzinga Sy, la nomination controversée
L'une des nominations les plus controversées est celle de Sophie Nzinga Sy, nouvelle directrice de l’Agence pour la promotion et le développement de l’artisanat (Apda). Sophie Nzinga Sy est la fille de la ministre des Affaires étrangères et de Jacques Habib Sy, professeur en sciences de l'information et de la communication. Sa nomination a provoqué des réactions mitigées : certains Sénégalais crient au népotisme, tandis que d’autres estiment qu’il n’y a pas lieu de polémiquer, soulignant ses compétences et son expérience.
Les défenseurs de Sophie Nzinga Sy mettent en avant ses contributions à des projets d'envergure nationale et sous-régionale promouvant la mode et le design africains. Ils insistent sur le fait qu'elle a été nommée par le président Diomaye et non dans le cabinet de sa mère, ce qui, selon eux, élimine toute suspicion de favoritisme familial.
Le porte-parole de la présidence, Ousseynou Ly, a pris sa défense (Sophie Nzinga Sy) lors de l’émission "Moment de vérité" sur Walf TV. Il a déclaré : ‘’On ne sera jamais d’accord avec le népotisme. Ce qu’on défendait quand on était dans l’opposition, on va continuer de le défendre. Mais pour le cas de notre sœur…, ce n’est pas du népotisme. C’est le président de la République qui l’a nommée et ils n’ont aucun lien de parenté, que je sache. Ce n’est pas sa mère (la ministre Yacine Fall) qui l’a nommée. Elle n’a pas été nommée dans le même département que sa mère. Elle est compétente dans ce domaine. Elle y excellait bien avant le pouvoir.’’
Les accusations contre Jacques Habib Sy
En outre, ceux qui avancent que son père, Jacques Habib Sy, a récemment été coopté comme conseiller spécial du Premier ministre Ousmane Sonko, se trompent, confirme la primature. ‘’Jacques Habib Sy ne fait pas partie de la liste des membres du cabinet d’Ousmane Sonko’’, bien qu'il soit membre du cabinet politique du Pastef depuis la réorganisation de ce parti.
Cette clarification n'a toutefois pas suffi à apaiser les esprits et la polémique continue de se propager sur la toile.
D'autres observateurs tentent de distinguer le népotisme du clientélisme politique, arguant que les acteurs politiques ont avant tout besoin de travailler avec des personnes de confiance et avec ceux qui les ont soutenus dès les premiers jours de leur engagement.
Le népotisme, une tradition sénégalaise
Le népotisme n'est pas un phénomène nouveau, au Sénégal. Il trouve ses racines dès les premières années de l'indépendance et a persisté à travers les différents régimes.
Léopold Sédar Senghor et son neveu Adrien Senghor
Le premier président de la République, Léopold Sédar Senghor, avait confié à son neveu, Adrien Senghor, le ministère du Développement rural. Les résultats de ce dernier ont, semble-t-il, plu au premier président-poète qui lui a, par la suite, confié le département de l’Équipement, avant de faire de lui un ministre d’État.
Cette pratique a posé les bases d'une tradition de népotisme dans la pratique républicaine.
Toutefois, Pierre Senghor, qui a été le premier maire de Bambey, n’a jamais eu de fonction nominative. Il était le frère du président-poète Senghor.
Abdou Diouf et Maguette Diouf
Sous la présidence d'Abdou Diouf, cette tradition a perduré. Bien que Diouf n'ait eu qu’un membre de sa famille dans son gouvernement, ce dernier, Maguette Diouf, a occupé des postes clés. Il avait la charge de la Modernisation de l’État, une fonction visant à rendre l’Administration plus performante. Convaincu par les travaux de son frère, Abdou Diouf lui a ensuite confié l’Énergie, les Mines et l’Industrie.
Après la chute du régime socialiste, il est resté discret, mais il a refait surface sous l’ère Macky Sall en refusant de céder son logement de fonction.
Abdoulaye Wade et sa famille
Avec Abdoulaye Wade, pionnier de la première alternance, des questions de sécurité l'ont poussé à s'entourer de son neveu Lamine Faye, qu'il a promu au rang de capitaine de la gendarmerie. Plus tard, Wade a nommé sa fille Sindiely comme conseillère principale, avant de lui confier la présidence du comité d’organisation du 3e Festival des arts nègres (Fesman).
Pendant ce temps, son fils Karim Wade occupait le poste de ministre de la Coopération internationale, de l’Aménagement du territoire et des Infrastructures, gérant également le Sommet de l’Anoci et ses milliards de dépenses, au point où certains analystes le qualifiaient de "ministre de la Terre et du Ciel".
Macky et la dynastie Faye-Sall
Après la chute de Wade en 2012, Macky Sall a promis de ne jamais nommer son frère par décret, adoptant le slogan ‘’La patrie avant le parti’’.
Cependant, il a fini par confier à son frère Aliou Sall, alors maire de Guédiawaye, la Caisse des dépôts et consignations. Quelques mois après, il a jeté l’éponge avec le scandale de Petro-Tim lié à la gestion des hydrocarbures du Sénégal.
Mansour Faye, le frère de l’épouse du chef de l’État, est également un exemple de népotisme, nommé délégué général à la Protection sociale et à la solidarité nationale avant de devenir ministre des Infrastructures, des Transports terrestres et du Désenclavement du Sénégal.
Cette pratique ne se limite pas à l'Exécutif ; elle a atteint son paroxysme dans les mairies et d'autres institutions de l'État, parfois même dans les concours de la Fonction publique et les recrutements, rapporte un secrétaire municipal. Il ajoute que certains maires abusent de cette pratique malsaine et suggère l'adoption de lois pour réduire ce phénomène qui sape le mérite.
La pratique du népotisme au Sénégal semble être une constante à travers les différents régimes, avec chaque président utilisant son pouvoir pour favoriser ses proches. Bien que certaines nominations puissent être justifiées par les compétences des personnes concernées, la perception de favoritisme continue de ternir l’image de la gouvernance au Sénégal. Les autorités devront peut-être revoir leur approche pour rétablir la confiance du public et assurer une gouvernance plus transparente et plus équitable.