LES LIMITES DE LA DÉSOBÉÏSSANCE
Prompt à sortir pour plaider dans la rue, Ousmane Sonko continue de refuser d’aller devant les tribunaux pour laver son honneur. Une posture diversement appréciée
C’est une stratégie dont l’efficacité est de plus en plus remise en cause. Le refus systématique de répondre devant la justice pose de plus en plus problème chez certains observateurs. Joint par téléphone, cet avocat de l’accusé tente de préciser : ‘’On dirait que vous n’avez pas suivi l’affaire. Il a été démontré que dans cette affaire, notre client n’a pas reçu de convocation. Comment voulez-vous qu’il réponde, alors qu’il n’a pas été cité ? Ce n’est pas possible. Il faut plutôt poser la question à ceux qui devaient le convoquer et qui ne l’ont pas fait en bonne et due forme. C’est ça la vérité. Peut-être, c’est parce qu’ils n’ont pas intérêt à ce qu’il soit là. Peut-être qu’ils avaient peur.’’
Les jours précédant le procès, beaucoup avaient compris qu’il posait un certain nombre de conditions pour pouvoir revoir sa posture de défiance envers l’institution judiciaire. Hier, le président de Pastef/Les patriotes a tenu à repréciser son propos. Pour lui, il n’a jamais été question de négocier quoi que ce soit avec le pouvoir en place. ‘’Moi, je n’ai rien négocié ; je n’ai jamais rien négocié. Parce que je suis dans mes droits. J’ai exigé que l’on respecte mes droits. Tant qu’ils mettront sous blocus ma maison, tant qu’ils vont entraver la liberté d’aller et de venir de ma famille, tant qu’ils continueront à briser mes véhicules, tant que ça durera, je ne répondrai pas ; ce n’est pas de la négociation’’, peste-t-il avec beaucoup d’assurance.
À l’en croire, ce sont plutôt des autorités de la justice qui se sont approchées de lui et ont essayé d’œuvrer pour que ses droits soient respectés. ‘’Je ne négociais rien du tout’’, martèle le maire de Ziguinchor.
S’il refuse de répondre au tribunal, de faire face à son adversaire dans le procès relatif au viol comme dans celui des 29 milliards du Prodac, Ousmane Sonko ne manque jamais de plaider ses dossiers dans la rue. Hier, il est encore largement revenu sur le procès, en déversant sa bile comme à l’accoutumée sur Macky Sall et les institutions judiciaires. D’après lui, si on avait mis les audio dans le dossier, le juge n’allait même pas écouter 30 secondes la partie civile. ‘’La justice devait même arrêter les comploteurs, parce qu’ils ont non seulement nui à l’image du Sénégal, mais ils ont surtout entrainé la mort des citoyens’’, comme il le dit.
Malheureusement, faute de présence de la défense et de ses avocats, le public n’a eu droit qu’à la version d’Adji Sarr, de ses avocats, du ministère public et de la pauvre dame Ndèye Khady Ndiaye qui a essayé de se défendre du mieux qu’elle pouvait. Ce qui laisse un goût d’inachevé aux Sénégalais et n’a pas permis de démêler le vrai du faux.
‘’Un procès politique ne se gagne pas au tribunal’’
Dans sa déclaration, hier, l’opposant radical a tenté de s’expliquer. Pour lui, tout ce qui s’est passé n’est que politique. Et un procès politique ne se gagne pas au tribunal. Il donne l’exemple de l’ancien président Abdoulaye Wade. ‘’On m’a envoyé aujourd’hui même une vidéo du président Abdoulaye Wade. L’interviewer lui disait dans la vidéo qu’un procès est risqué. Il a répondu que oui, en Afrique, un procès est toujours risqué. Mais j’ai toujours dit qu’un procès politique ne se gagne pas au tribunal, ça se gagne avec l’opinion. Si vous voyez ma posture depuis le début, c’est ce que j’ai voulu vous montrer’’, a-t-il déclaré pour motiver sa posture.
Seulement, il ne dit pas que dans cette bataille de l’opinion, ce qui se fait au tribunal est également aussi important que ce qui se passe dans les médias et les réseaux sociaux. S’il avait répondu présent, il aurait pu être bien plus facile de démolir l’accusation devant le Sénégal entier et d’exiger que ses preuves soient brandies, au besoin projetées devant tout le public.
Sur la question de la convocation, avocats de la défense et ministère public se sont renvoyé la balle. Si les uns réfutent toute convocation, les autres ont soutenu, documents à l’appui, que le maire de Ziguinchor a non seulement eu à recevoir une citation à la mairie, du fait qu’au niveau de son domicile à Keur Gorgui, personne n’a voulu prendre la convocation. D’après le ministère public, le commissaire central de Ziguinchor s’est aussi rendu à son domicile à Ziguinchor le 9 mai pour lui donner une convocation. Ousmane Sonko a juré qu’il n’a reçu aucune convocation de ce commissaire. Toujours est-il que lui-même a clamé urbi et orbi qu’il n’allait pas répondre au tribunal, tant que le blocus n’est pas levé, tant qu’on lui fixera un itinéraire...
Plus que jamais convaincu à poursuivre la désobéissance civique et à continuer le combat avec le régime, il a donné rendez-vous à Dakar et déclenché ce qu’il considère comme sa marche vers le pouvoir.
De l’avis de Dr Bassirou Bèye, doctorant en sciences politiques, le chemin pris par le leader politique est périlleux. ‘’Avec cette position, il réunit les trois caractères perçus comme limite de la désobéissance. Contre la loi, contre la majorité (démocratie), contre l’ordre public. Les auteurs contre la désobéissance s’appuient majoritairement sur ces trois éléments pour remettre en question la légitimité de la désobéissance. Par-là, ils définissent celui qui ne peut être considéré comme désobéissant. Certains auteurs sont allés plus loin pour parler d’actes incivils et inciviques ou qui relèvent tout simplement de la violence. Évidemment, c’est inadmissible dans un État de droit’’.
En réalité, persiste-t-il, Sonko joue dans la défiance, par actes de violence. ‘’Cela n’a rien à voir avec la désobéissance civile ou civique. À la limite, ce qui manque, c’est juste des armes pour que l’on parle de rébellion’’.
À l’en croire, le leader politique devrait également étudier minutieusement l’inertie de Dakar notée depuis quelque temps. ‘’Je pense qu’ils en sont conscients parce que leurs responsables en parlent ; ils sont étonnés que Dakar n’ait pas bougé. Sonko en est conscient, mais va jouer sur la stratégie de la peur pour inviter la communauté internationale et surtout les chefs religieux par exemple à intervenir. Je ne serai pas non plus surpris de le voir discuter, même de manière officieuse ou par procuration’’.