LES PORTES DE LA PRISON ENTROUVERTES POUR SONKO, DIOMAYE ET AUTRES
En effaçant les condamnations de figure de l'opposition telles qu'Ousmane Sonko, le texte aux dispositions exceptionnelles pourrait modifier en profondeur la donne de l'élection. Ses détracteurs y voient une manœuvre politicienne du camp présidentiel
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Le projet de loi d’amnistie, vivement contesté par l’opposition, la société civile, les activistes et de larges secteurs de l’opinion, vient de parvenir à l’Assemblée nationale. Ce projet de loi prônant le pardon et la réconciliation est exceptionnel du fait qu’il efface d’un trait de plume des faits reprochés aussi bien à des personnes condamnées qu’à d’autres qui n’ont pas encore été jugées. Après avoir tenu secret le contenu de ce projet de lors du dernier Conseil des ministres, le président de la République l’a donc envoyé à l’Assemblée nationale qui va l’examiner, et certainement l’adopter, en mode fast-tract!
Ainsi, les membres de la Conférence des présidents étaient convoqués en réunion hier pour discuter du calendrier de travail concernant l’examen des affaires en cours.
Le projet de loi numéro 05/2024, portant amnistie, a été présenté aux présidents des groupes parlementaires, comprenant le décret de présentation du 1ermars 2024 parle président de la République, un exposé des motifs et le projet de loi lui-même.
Dans son exposé des motifs, le président de la République justifie cette loi d’amnistie par la nécessité d’apaiser le climat politique et social, renforcer la cohésion nationale, consolider le dialogue national et permettre à certaines personnes ayant eu des démêlés avec la justice de participer pleinement à la vie démocratique. Le projet de loi couvre la période de 2021 à 2024 et vise à rétablir les droits civiques et politiques de ceux qui en ont été privés.
Le projet de loi d’amnistie prévoit l’effacement de toutes les peines et déchéances liées à des infractions criminelles ou correctionnelles commises entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024 dans notre pays comme à l’étranger et liées à des manifestations ou à des motivations politiques. Il stipule également que l’amnistie ne porte pas préjudice aux droits des tiers et interdit aux magistrats ou fonctionnaires de rappeler ou laisser subsister toute mention des condamnations effacées par l’amnistie dans les dossiers judiciaires ou documents officiels.
Après avoirlu l’article premier du projet de loi, on ne peut manquer d’en tirer la conclusion qu’Ousmane Sonko, Bassirou Diomaye et autres personnes détenues en relation avec les événements survenus dans notre pays depuis mars 2021 seront libérés. Ces personnesrecouvreront la liberté malgré les accusations parfois gravissimes portées contre elles, qu’elles aient été jugées ou non. C’est là justement une première dansl’histoire politico-judiciaire de notre pays que des présumésinnocents non jugés soientlibérés par une loi d’amnistie. Laquelle semble effacer entièrementla condamnation dansl’affaireAdji Sarr etle contumax du leader de Pastef.Demême, les accusations portées contre le candidat de Pastef à la présidentielle, BassirouDiomaye Faye,seront aussi complètement effecées, conformément à l’article 2 de la loi d’amnisitie. Les personnes détenues — ou déjà libérées — en relation avec les événements politiquessurvenus dans notre pays depuis mars 2021 vont aussi recouvrer leurs droits civiques et politiques. Ce point est évoqué en ce qui concerne les plateformes de communications électroniques. Il est à noter que BassirouDiomaye Faye, incarcéré pour outrage à magistrat suite à la publication d’un texte sur Facebook, devrait donc profiter de cette disposition.
L’épée de Damoclès pend au-dessus de la tête de Sonko dans l’affaire Mame Mbaye Niang
Selon toujours le projet de loi d’aministie, la possibilité d’une contrainte par corps ne peut être mise en œuvre que sur demande des victimes de l’infraction. Mame Mbaye Niang étant une victime, cette épée deDamoclès plane au-dessus de la tête du leader de Pastef , Ousmane Sonko, puisque l’actuel ministre du Tourisme pourrait faire une requête à tout moment. Sauf si son mentor Macky Sall lui demandait gentiment de tout laisser tomber… L’article 3 du projet de loi, qui stipule que l’amnistie ne porte pas atteinte aux droits destiers, estjustement évoqué concernant l’affaire Mame Mbaye Niang. Selon l’article 3, «L’amnistie ne préjudicie pas aux droits des tiers». La contrainte par corps ne peut être exercée contre les condamnés ayant bénéficié de l’amnistie,saufsur demande des victimes de l’infraction ou de leurs ayants droit. Mais puisque le vent de la réconciliation souffle cesjours-ci et que le présidentMacky Sall ne serait pas opposé finalement à une candidature du leader de Pastef.. ;
Articles 4 et 5 : les magistrats ligotés
Dans le cadre de la cette loi d’amnistie, les magistratsse voient désormais encadrés par des procédures spécifiques. Selon l’article 4, les litiges relatifs à son application seront traités par la chambre d’accusation de la Cour d’Appel de Dakar, conformément aux dispositions de l’article 735 (à revoir) du Code de Procédure pénale.
De plus, l’article 5 interdit expressément à tout magistrat ou fonctionnaire de mentionner ou de laisser persister dans un dossier judiciaire, policier ou tout document officiel, les condamnations, déchéances, exclusions, incapacités et privations de droit associées aux peines effacées par l’amnistie, sauf disposition contraire prévue à l’article 3 de la loi.
Bizarreries du texte de la loi d’amnistie
Lesfaitsjugés et non jugés qui y figurent, et qui risquent de créer une confusion,surtout concernat les personnes poursuivies ou détenues qui sont au Sénégal et à l’étranger,font partie des premières bizarreries cette loi.
D’habitude, toutes les lois d’amnistie sont prises après jugement et condamnation. Or, dans le cas précis de la loi adoptée mercredi dernier en Conseil des ministres, l’amnistie s’aplique aussi à des personnes présumées innocentes. Ce qui est inédit. Encore une fois, dans les textes de loi d’amnistie, le jour du jugement et la date du délibéré sont mentionnés, comme l’indiquent les textes, mais tel n’est pas le cas dans le projet de loi soumis à l’appréciation de l’Assemblée nationale.
L’article 4 qui indique la procédure
Il s’y ajoute qu’il n’est nul besoin d’indiquer les procédures dans une loi d’amnistie, comme c’est le cas dans celle qui nous intéresse. D’après l’article 735, qui évoque la procédure des demandes de rectification, si une personne est condamnée sous une fausse identité ou une usurpation sur son état civil, le procureur peut entrer en action, saisir le président du tribunal, et le ministère public est informé. Le dernier alinéa de cet article dispose que la même procédure peut être appliquée aux ayants droit à l’amnistie et ceux étant réhabilités avec une demande de rectification sur leur casier judiciaire. Ce qui semble donner à Ousmane Sonko plus de garanties avec la possibilité de rectification de son casier judiciaire. Pour rappel, l’article 4 explique la procédure de rectification de la condamnation mais n’exclut pas que le Conseil constitutionnelsoitsaisi car c’est lui qui est compétent enmatière de constitutionnalité d’une loi. Toute loi, à plus forte raison d’amnistie, doitfaire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité avant la promulgation.
Possibilité de requête contre la loi d’amnistie
Le président de la République esttenu de soumettre la loi d’amnistie au Conseil constitutionnel avant toute promulgation. Les 7 Sages devront alors apprécier de la constitutionnalité du texte. Il faut noter que les députés peuvent saisir le Conseil constitutionnel avec l’article 74, qui leur permettra d’attaquerla loi avec le dixième de leur nombre dans les six jours qui suivent. Une situation qui pourrait compliquer cette crise triangulaire—entre le président de la République, l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel — tant évoquée dans nos colonnes.