NIASSE, IDY, KHALIFA, AMINATA MB. NDIAYE, GAKOU, LE CREPUSCULE DES MOHICANS
Malgré la pléthore de listes engagées dans la bataille électorale pour obtenir des sièges dans l’imposante bâtisse en face de la place Soweto, des figures emblématiques de la vie politique nationale brilleront par leur absence sur les listes en lice
Les élections législatives du 17 novembre prochain seront âprement disputées. Malgré la pléthore de listes engagées dans la bataille électorale pour obtenir des sièges dans l’imposante bâtisse en face de la place Soweto, des figures emblématiques de la vie politique nationale brilleront par leur absence sur les listes en lice. Idrissa Seck, Khalifa Sall, Aminata Mbengue Ndiaye, Moustapha Niasse et Malick Gakou ne participeront pas aux prochaines législatives. Un fait inédit.
Ce sont les derniers Mohicans de la vie politique sénégalaise. Ils ont joué un rôle important dans le jeu politique ces quarante dernières années, en traversant presque tous les régimes qui se sont succédé. Aujourd’hui, le vent a tourné. Les partis politiques traditionnels sont en déclin et leurs figures tutélaires sont presque dépassées par les nouvelles réalités politiques. Le discours des vétérans n’attire plus et est jugé « désuet ».
Idrissa Seck, le « Mburu ak Soow » empoisonné !
Le « Ndamal Kàdjoor » avait une prestance inégalable. Son charisme et son discours attiraient les foules. Ancien proche collaborateur du Président Abdoulaye Wade, Idy, comme l’appellent ses partisans, a quitté le Parti Démocratique Sénégalais (PDS) pour fonder sa propre formation politique, baptisée Réwmi. Alors qu’il était pressenti pour être le successeur potentiel du « Pape du Sopi », les déboires judiciaires se sont enchaînés. Le dossier des chantiers de Thiès a même contribué à renforcer son aura politique. Là où Idy passait, les foules se mobilisaient. Sûr de lui-même, les négociations tenues avec Wade sous les caméras lui furent fatales. Il rate de justesse la consécration suprême lors des élections présidentielles de 2007, en arrivant deuxième avec un peu plus de 15 %.
En 2012, le régime de Wade arrivait à l’usure. Engagé au sein de la coalition Benno Siggil Sénégal (BSS), Idrissa Seck préfère se battre contre la troisième candidature « illégale » de Me Wade plutôt que de mener campagne. Il finira à la cinquième place. Une désillusion ! Il sera contraint de soutenir Macky Sall au second tour de cette présidentielle, en intégrant la coalition Benno Bokk Yakaar (BBY), qu’il quitte en 2013. En 2014, il s’impose naturellement comme le chef de l’opposition à Macky Sall. A l’élection présidentielle de 2019, Idrissa Seck renaît de ses cendres en arrivant deuxième avec 20 % des voix. En 2020, en pleine pandémie de Covid19, il rejoint à nouveau Macky. Le « Mburu ak Soow », qu’il avait tant vanté pour qualifier son rapprochement avec Macky, lui sera ensuite fatal. Sa popularité dégringole. Après le renoncement du Président Sall, il quitte encore BBY. Il sera humilié lors de la présidentielle de 2024 où il n’obtient que 0,9 % des voix. La descente aux enfers se poursuit. La retraite politique d’Idrissa Seck, surpris par cette cuisante défaite, semble actée. Aujourd’hui, le « Ndamal Kàdjoor » est à l’écart, malgré l’effervescence du jeu politique. Le parti Réwmi est le grand absent des retrouvailles de la famille libérale sous la bannière de la coalition Tàkku Wàttu Sénégal, en vue des élections législatives du 17 novembre. Que mijote Idy ? Le silence est une forme de communication.
Khalifa Sall, de la gloire à la décadence
Surnommé Khaf, l’ancien maire de Dakar est un socialiste dans l’âme. Khalifa Sall a gravi les échelons au sein du Parti Socialiste (PS) sous le régime du Président Diouf. Il est élu maire de Dakar en 2009, un tournant dans sa carrière politique. Aux élections municipales de 2014, Khaf décide de se présenter sous la liste Taxawu Sénégal, malgré les mises en garde du PS. Un choix couronné de succès. Il est réélu après avoir écrasé « haut la main » la candidate du parti du président Macky Sall, une certaine Aminata Touré, à Dakar. L’ancien maire de Dakar affiche alors ses ambitions: infrastructures, financement, social. Sa popularité augmente au point que certaines voix socialistes le plébiscitent comme candidat à la présidentielle de 2019. Mais, face à un Macky déterminé à obtenir un second mandat, la neutralisation de Khalifa Sall devient inéluctable. Les membres du PS au sein de la coalition BBY sont alors divisés. Cela n’empêche toutefois pas Macky de conduire Khalifa Sall à l’abattoir. Le maire de Dakar est condamné dans l’affaire dite de la caisse d’avance en 2017, ce qui le rend inéligible par la suite. Un coup dur ! Il sera gracié en 2019. Entre-temps, de nouveaux pôles ont émergé. Les alliances deviennent plus que jamais un impératif. Dans le sillage des élections municipales de 2021, il met sur pied la coalition Yeewi Askan Wi, en compagnie de l’actuel Premier ministre Ousmane Sonko. Mais, avec les déboires judiciaires d’Ousmane Sonko, le vide s’installe rapidement. Chaque ténor de la coalition cherche à la diriger. C’est la guerre des « mâles dominants » ! Khalifa Sall décide alors de se porter candidat. Ce choix se soldera par un échec cuisant, puisqu’il arrive quatrième face à la machine de guerre de la coalition Diomaye Président. Aujourd’hui, Khaf est conscient des réalités politiques. Âgé de 68 ans, il a décidé de céder la place à son fidèle lieutenant de toujours, Barthélémy Dias. Cela ne signifie pas pour autant une retraite politique. L’ancien maire de Dakar a mis en place l’Alliance pour la Transparence des Élections (ATEL), regroupant 114 partis politiques. Selon Khalifa Sall, président de la coalition Taxawu Dakar, cette plateforme est une structure de réflexion et de lutte au service de la démocratie, afin que « notre pays continue d’être un modèle de démocratie et de transparence dans l’organisation des scrutins ». « La plateforme a pour but de faire en sorte que, dans les soixante prochains mois, nous puissions organiser un scrutin transparent, sincère et serein. Pour cela, il est essentiel que chaque parti joue sa partition et que le pouvoir en place respecte les textes régissant l’ensemble du processus », a-t-il expliqué. Selon l’ancien maire de Dakar le Sénégal connaîtra un scrutin particulier, car « les textes récemment publiés laissent perplexes beaucoup d’entre nous, qui avons l’expérience des élections dans ce pays ». Khaf cherche-t-il à renaître de ses cendres avec ATEL ?
Aminata Mbengue Ndiaye, l’indéboulonnable matriarche !
La lionne du « Njàmbur » est un pilier du Parti Socialiste (PS). Elle a occupé le poste de ministre de la Famille et de l’Enfance sous la présidence d’Abdou Diouf. L’ancienne maire de Louga a gravi les échelons au sein du PS. C’est une figure qui a toujours fait l’unanimité au sein du parti. Son parcours en tant que ministre de l’Élevage est salué par les acteurs du secteur. Après le décès d’Ousmane Tanor Dieng, Macky Sall la nomme présidente du Haut Conseil des Collectivités Territoriales (HTTC), une institution décapitée par le Président Diomaye Faye. Si un parti politique a raté la coche du renouvellement générationnel, c’est bien le PS. Alors que de jeunes pousses comme Barthélemy Dias et Malick Noël Seck étaient perçues comme une aubaine pour rajeunir le parti, les avantages offerts par Macky Sall ont mis un frein à toute velléité de renouvellement. Les anciens socialistes n’ont jamais voulu céder la place aux jeunes, d’où les dissidences fréquentes, notamment celle de Khalifa Sall. Aujourd’hui, le « Wind of change » – vent du changement – souffle sur le Sénégal. La jeunesse est plus que jamais au rendez-vous. Aminata Mbengue Ndiaye l’a bien compris. Lors d’un comité de pilotage des investitures pour les législatives du 17 novembre, la secrétaire générale du PS a décidé de ne se présenter sur aucune liste, « non pas pour des raisons de santé, mais par principe et par grandeur ». Une décision sage, largement soutenue. Des hiérarques comme Serigne Mbaye Thiam et Alioune Ndoye lui ont emboîté le pas. Cette décision n’est-elle pas arrivée trop tard ?
Malick Gackou, le malchanceux ?
L’enfant de la banlieue a fait ses débuts au Parti Socialiste aux côtés d’Ousmane Tanor Dieng, Babacar Sine et Abdourahim Agne. Il est un pur produit de l’école du parti. En 1999, il quitte les socialistes pour rejoindre Moustapha Niass, qui venait de créer l’Alliance des Forces de Progrès(AFP) en vue de la présidentielle de 2000. Élu président du conseil régional de Dakar en 2009 dans la vague Benno Siggil Sénégal (BSS), il renonce en 2014 au poste de maire de Guédiawaye, au profit d’Aliou Sall, le frère du président Macky Sall. Incompréhensible pour beaucoup de ses partisans, certains y voyaient une attente tacite avec le régime de Macky sans aller plus loin. Des accusations qu’il a balayées d’un revers de main.
En 2015, il quitte l’AFP, où tous ceux qui exhibent des ambitions présidentielles sont quasiment exclus. Les élections présidentielles de 2019 et de 2024 ne sont pas des succès pour la tête de file du Grand Parti (GP). Malick Gackou est en retrait depuis l’élection du président Diomaye Faye où il s’était classé bon dernier. Pour les législatives du 17 novembre, malgré l’absence des membres du GP sur la liste de PASTEF, Malick Gackou a appelé une mobilisation de ses militants pour une victoire de ses anciens alliés. Relativement moins jeune que les autres Mohicans, Malick Gakou se singularise par sa longévité sur le champ politique. Mais l’homme, à force chaque fois de laisser la place aux autres favorisant notamment les élections d’Aliou Sall et d’Ahmed Aïdara, en n’osant pas affronter seul l’électorat pour se peser passe pour un poltron politique. Ceux qui croient en lui vivent des désillusions permanentes. L’homme doit tout simplement quitter le champ politique.
Le jeu politique national semble plus que jamais bouleversé. L’arrivée au pouvoir du PASTEF a sonné le glas des dinosaures politiques, fossilisés à travers les régimes qui se sont succédé depuis les indépendances. Toutefois, il est nécessaire de se demander si certaines formations politiques n’ont pas raté le rendez-vous du rajeunissement.