POUR ERWAN DAVOUX, LE PARTI-ÉTAT ÉTOUFFE LA DÉMOCRATIE SÉNÉGALAISE
Journalistes intimidés, opposants persécutés, économie à l'arrêt : le Sénégal de Diomaye-Sonko inquiète. Le directeur de Geopolitics.fr analyse pointe "la dérive autoritaire" d'un duo obnubilé par sa" vengeance contre l'ancien régime"

(SenePlus) - Dans une analyse publiée sur le site Marianne, Erwan Davoux, directeur de Geopolitics.fr et ancien chargé de mission à la présidence de la République, dresse un bilan préoccupant de la première année de présidence de Bassirou Diomaye Faye. Son constat est sans appel : l'exercice du pouvoir par le Pastef révèle des tendances autoritaires inquiétantes qui menacent l'équilibre démocratique du pays.
Selon l'analyse d'Erwan Davoux, le parti majoritaire a réussi à concentrer un pouvoir considérable dans ses mains. Après la victoire de Bassirou Diomaye Faye à la présidentielle de mars 2024 avec 54% des voix, son parti a remporté une majorité écrasante lors des législatives d'octobre, s'attribuant "130 sièges sur les 165 que compte l'Assemblée nationale". Cette configuration politique inédite au Sénégal a mis fin à l'équilibre des pouvoirs qui caractérisait auparavant le pays.
"Au sein de la précédente Assemblée, une coalition de partis disposant d'une courte majorité invitait au compromis et au respect des droits de l'opposition. Tel n'est plus le cas", souligne l'auteur, qui cite comme exemple significatif l'abandon de la tradition qui voulait que la vice-présidence de l'Assemblée nationale revienne à l'opposition.
L'une des critiques principales formulées par Erwan Davoux concerne l'obsession du nouveau pouvoir pour le règlement de comptes avec l'administration précédente. "Tout le débat politique est monopolisé par les attaques contre l'ancien pouvoir alors que le Pastef est aux responsabilités depuis presque un an", note-t-il.
Au cœur de cette stratégie se trouve la question de la loi d'amnistie. Votée sous la présidence de Macky Sall, cette loi couvre "tous les faits susceptibles de revêtir la qualification d'infraction criminelle ou correctionnelle, commis entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024" dans un contexte politique. Paradoxalement, cette même loi a permis à Diomaye Faye et à son Premier ministre Ousmane Sonko de sortir de prison avant les élections.
D'après l'analyste, "le Pastef avait claironné haut et fort qu'il l'abrogerait afin de mettre en cause les dirigeants précédents mais fait désormais machine arrière", probablement parce que l'abrogation "pourrait mettre dans une fâcheuse posture Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko qui en ont bénéficié".
L'article d'Erwan Davoux met également en lumière de graves atteintes aux libertés, notamment à la liberté de la presse. "Les journalistes qui entendent exercer leur métier avec une certaine indépendance sont dans le collimateur", affirme-t-il.
Le cas du site Dakaractu est emblématique : "l'un des [sites] plus suivis du pays a été contraint de fermer ses bureaux à Dakar et à l'exil, n'étant plus un média reconnu par le pouvoir". L'auteur rappelle également que le 4 octobre, le magazine Jeune Afrique s'interrogeait : "Sénégal : peut-on encore contredire Ousmane Sonko ?"
Le traitement réservé aux opposants politiques est tout aussi préoccupant. Davoux cite le cas du maire de Dakar, Barthélémy Dias, "ancien compagnon de route d'Ousmane Sonko avec lequel il est désormais brouillé", qui se trouve "interdit d'entrée dans son hôtel de ville" et a été "démis de ses fonctions de maire par un arrêté préfectoral".
Les députés de l'opposition ne sont pas épargnés : "Farba Ngom, un proche de l'ancien président, a vu son immunité levée dans des conditions pour le moins suspectes : aucune procédure judiciaire à son encontre mais un simple signalement effectué contre lui par une instance créée par le Pastef".
Pendant que le pouvoir se concentre sur sa "volonté de revanche", l'économie sénégalaise souffre, selon l'analyse. L'audit des finances publiques lancé par le nouveau gouvernement, qualifié de "bien tardif" par l'auteur, a eu des conséquences désastreuses : "L'effet indéniable et immédiat de ce document, qui poursuivait des fins avant tout politiciennes, a été de freiner les investisseurs, renforcer les difficultés à trouver un accord avec le Fonds monétaire international (FMI) et la dégradation de la note du Sénégal par l'agence de notation Moody's comme Standard & Poor's".
Le secteur du BTP est particulièrement touché : "En effet, il a été décidé l'arrêt des constructions dans une dizaine de zones du pays (afin de vérifier la légalité des permis de construire), dont le littoral de Dakar. Initialement prévue pour durer deux mois, cette situation perdure. Ce sont 10 000 emplois qui ont été perdus".
Sur la scène internationale, Erwan Davoux constate que "la voix du Sénégal, traditionnellement l'une des plus fortes sur le continent africain, grâce à l'excellence de sa diplomatie et à des chefs d'États emblématiques est quasiment atone".
Il rappelle que sous la présidence de Macky Sall, le Sénégal avait obtenu "que l'Afrique soit représentée au G20" et jouait "un rôle actif dans le dénouement de crises intra-africaines". Désormais, selon l'auteur, "tout cela appartient au passé" car le président et son Premier ministre "sont portés par un panafricanisme régional ambiant".
En conclusion, Erwan Davoux s'inquiète pour l'avenir de la démocratie sénégalaise. Il rappelle que "le Sénégal n'est ni le Mali, ni le Niger, ni le Burkina. C'est un pays à la tradition démocratique bien ancrée et dans lequel la conscience politique est élevée".
Face à cette situation, l'auteur s'interroge : "Pour l'instant, le duo qui dirige l'État résiste. Pour combien de temps encore ?"