ENFANTILLAGES AU SOMMET DE LA REPUBLIQUE
La guéguerre que se mènent actuellement l’Exécutif et le Législatif renvoie à des actes qui infantilisent la République
La guéguerre que se mènent actuellement l’Exécutif et le Législatif renvoie à des actes qui infantilisent la République. La guerre ouverte entre le Premier ministre, qui refuse de se soumettre à la Constitution en son article 55 qui l’oblige à faire sa Déclaration de Politique générale devant l’Assemblée nationale, trois mois après la formation du gouvernement, et la décision, ce samedi, du Bureau de l’Assemblée nationale d’annuler le débat d’orientation budgétaire prévu par une Loi organique sont autant d’actes qui bafouent les lois de la République.
Depuis quelques jours, le Sénégal est plongé dans une crise qui oppose deux institutions importantes de la République. Notamment l’Exécutif et le Législatif. Un précédent dangereux qui remet en cause la sacralité de ce qui faisait la force du Sénégal. La solidité des institutions qui est une garantie de la vitalité démocratique du pays dans un environnement d’instabilité politique des pays de la sous-région. La solidité des institutions a permis au Sénégal de réussir près de trois alternances politiques et démocratiques faisant de notre pays une référence mondiale en matière de démocratie. Hélas, depuis quelques jours, cette solidité de nos institutions est chahutée et infantilisée par l’Exécutif à travers le refus du Premier ministre de se conformer à l’article 55 de la Constitution qui l’oblige à faire sa Déclaration de Politique générale (DGP) devant l’Assemblée nationale.
Ousmane Sonko : Pourquoi je n’irai pas à l’Assemblée national
Le vendredi 28 mai, l’opinion apprend qu’Ousmane Sonko, répondant à une interpellation du député Guy Marius Sagna, a décidé, pour le moment, de ne pas respecter l’art 55 de la Constitution. « Honorable député Guy Marius SAGNA, J’ai bien reçu votre interpellation, à propos de la déclaration de politique générale du Premier Ministre, qui appelle de ma part les réponses et précisions ci-après.
1. Ma déclaration de politique générale (DPG) est prête, et je vous réitère toute mon impatience à tenir cet exercice de présentation des grands axes des politiques publiques et de l’action du Gouvernement suivant les orientations du Président de la République.
2. L’article 55 de la Constitution oblige le Premier ministre à faire sa DPG devant l’Assemblée nationale sans préciser les délais et la procédure qui relèvent du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale (loi organique n° 2002-20 du 15 mai 2002, modifiée).
3. Les dispositions du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale qui fixaient les délais et la procédure de la DPG, ainsi que toutes références au Premier ministre, ont été abrogées de la loi organique portant règlement intérieur de l’Assemblée nationale depuis 2019, suite à la suppression du poste de Premier ministre (loi organique n° 2019- 14.
4. Le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale en vigueur ne tient pas compte du Premier ministre puisqu’il n’a pas été actualisé suite à la restauration du poste de Premier ministre par la loi n°2021-41 du 20 décembre 2021 portant révision de la Constitution » indique le Premier ministre en réponse au député Guy Marius Sagna.
En conséquence, selon toujours Ousmane Sonko « dans un souci constant de respect de la séparation des pouvoirs et du principe de légalité, je ne tiendrai ma DPG devant cette Assemblée qu’une fois que la majorité parlementaire se sera amendée en réinscrivant dans le règlement intérieur l’ensemble des dispositions relatives au Premier ministre.
En cas de carence de l’Assemblée, d’ici le 15 juillet 2024, je tiendrai ma Déclaration de Politique générale devant une assemblée constituée du peuple sénégalais souverain, de partenaires du Sénégal et d’un jury composé d’universitaires, d’intellectuels et d’acteurs citoyens apolitiques. Ce sera l’occasion d’un débat libre, ouvert et, à coup sûr, de qualité largement supérieure ».
L’Assemblée nationale ajourne la séance sur la loi de programmation budgétaire
Réponse du berger à la bergère. Le débat d’orientations budgétaire (DOB), qui devait se tenir ce samedi l’Assemblée nationale avec le ministre des Finances et du Budget, Cheikh Diba, est annulé par le Bureau de l’Assemblée nationale lors d’une réunion de clôture de la session unique 2023-2024. « Le Bureau de l’Assemblée nationale a décidé souverainement de sursoir aujourd’hui au débat d’orientation budgétaire (DOB). C’est pourquoi, vous avez vu tout à l’heure le ministre des Finances et son équipe se retirer”, a déclaré le président du groupe parlementaire de Benno Bokk Yakaar, Abdou Mbow, ajoutant que la conférence des présidents a été informée de cette décision. Selon lui, le bureau de l’Assemblée nationale, qui se veut “conséquent,” a refusé de recevoir le ministre des Finances dans la mesure où le chef du gouvernement, en l’occurrence Ousmane Sonko, “a refusé de se présenter devant la représentation nationale pour faire sa déclaration de politique générale”. Le président du groupe parlementaire Benno Bokk Yakaar (BBY) a notamment déploré l’attitude du Premier ministre qui, selon lui, “a (…) réduit l’Assemblée nationale à sa plus simple expression”.
Aussi bien le Premier ministre que le bureau de l’Assemblée nationale ont violé la loi
Le bras de fer instauré entre l’Exécutif et l’Assemblée nationale a abouti à une violation de la loi constitutionnelle par le Premier ministre et de la loi organique organisant le DOB par le Parlement. « Le Document de Programmation budgétaire et économique pluriannuelle (DPBEP) sert de référence à l’élaboration de la loi de finances de l’année à venir dont il définit les orientations, le niveau global des recettes attendues et des dépenses projetées sur la base de l’évolution de la conjoncture économique nationale et internationale. Au Sénégal, il porte sur une période triennale glissante, ajustée annuellement et fait l’objet du Débat d’Orientation budgétaire (DOB) qui doit se tenir au plus tard le 30 juin de chaque année à l’Assemblée nationale.
Le DPBEP qui n’est pas soumis au vote, est élaboré conformément à l’article 51 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) n°2020-07 du 26 février 2020, internalisant la Directive communautaire n°06/CM/2009 du 26 juin 2009 qui prône une gestion des finances publiques axée sur la performance, l’obligation de rendre compte et la transparence. Cette dernière exigence est confortée par la loi n° 2012- 22 du 27 décembre 2012 portant code de transparence dans la gestion des finances publiques » indique l’ancien député du PDS Alioune Souaré. Il déplore l’acte posé par le bureau de l’Assemblée nationale ce samedi matin. « Le bureau de l’Assemblée nationale dispose d’un pouvoir administratif, il n’a aucun droit pour surseoir au DOB régi par une loi organique. L’art 17 du Règlement intérieur ne mentionne nulle part que le Bureau de l’Assemblée nationale doit surseoir une activité comme le DOB régie par une loi organique dont l’origine est communautaire » ajoute l’ancien parlementaire.
Dans la hiérarchie des normes, la loi organique vient après celle constitutionnelle. Alioune Souaré est d’avis aujourd’hui que le bureau de l’Assemblée nationale a infantilisé l’institution parlementaire. « Le prétexte de l’acte posé ce samedi 29 juin par le bureau de l’Assemblée en réponse au texte publié par le Premier ministre Ousmane Sonko ne tient pas la route. Le bureau a manqué de maturité en réagissant sur un papier du Premier ministre qui ne leur est pas destiné et qui n’a aucun caractère officiel. Ce qui est grave et scandaleux, c’est que le DOB émane non seulement d’un texte communautaire, mais il est inscrit dans la Loi organique de 2020 » souligne l’ancien député Alioune Souaré. L’ancien député du PDS inflige aussi à Ousmane Sonko un blâme pour avoir violé la Constitution en son article 55. « L’enfantillage d’Ousmane Sonko, c’est le fait, en tant que Premier ministre, d’oublier qu’il est une institution au regard de l’art 6 de la Constitution qui place le Premier ministre, après le président de la République, et l’Assemblée nationale, puis le HCCT, le CESE, le pouvoir judiciaire notamment le Conseil Constitutionnel, la Cour Suprême, la Cour des Comptes et les Cours et Tribunaux.
Selon la Constitution en son art 57, le Premier ministre a pour missions entre autres l’exécution des lois et dispose d’un pouvoir réglementaire. Comment on peut vous confier de telles missions et surtout vous dire que l’art 55 vous oblige à faire une DPG et vous désignez un autre lieu. C’est manquer de respect à la République et aux institutions. C’est de l’enfantillage. Le Premier ministre doit cesser de cultiver le populisme, il a du travail pour ce pays », estime l’ancien parlementaire. Alioune Souaré pense que la démarche du Premier ministre aurait du consister à une saisine du Conseil Constitutionnel ou demander au président Diomaye de le faire puisque l’organe judiciaire est le seul arbitre en matière constitutionnelle et des lois organiques.
Le député Amadou Ba de Yewwi Askan wi défend Sonko et descend en flammes l’Assemblée nationale
« Ce qui s’est passé ce samedi 29 juin à l’Assemblée nationale restera dans les annales sombres de son histoire. Le Président Amadou Mame Diop et ses collègues de Bby ont posé un précédent dangereux contre l’Institution parlementaire. Que tout le monde s’en rende compte pour apprécier l’énormité de la forfaiture : violer délibérément la Loi organique sur les Lois de finances (LOLF) en représailles à des propos soit disant discourtois du Premier ministre Ousmane Sonko tenus en dehors de l’Assemblée nationale sur sa page Facebook » souligne le député Amadou Ba dans un post sur les réseaux sociaux. « Le DAB est une exigence de l’art 56 de la LOLF qui en exige la discussion à une période précise avant la clôture de la session parlementaire unique. Après avoir programmé sa tenue depuis plusieurs jours, ce samedi 29 juin, le Président Amadou Mame Diop et ses acolytes de Bby ont décidé son ajournement sine die le jour même de sa tenue. Ce faisant, ils empêchent sa tenue dans les délais imposés par la LOLF. Dans quel pays démocratique où règne l’Etat de droit, une institution viole-t-elle les lois pour protester contre des « propos discourtois » ? Voilà la seule question qui mérite l’attention » ajoute Amadou Ba.