RELATION AMOUR-HAINE TOUJOURS COMPLIQUEE
L'histoire politique du Sénégal est jalonnée de relations complexes entre ses anciens présidents. Si la transition entre Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf s'est faite en douceur, marquant une continuité politique...
L'histoire politique du Sénégal est jalonnée de relations complexes entre ses anciens présidents. Si la transition entre Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf s'est faite en douceur, marquant une continuité politique, les relations entre Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, puis entre Wade et Macky Sall ont souvent été tumultueuses. De la passation harmonieuse de pouvoir entre Senghor et Diouf à la rivalité acharnée entre Wade et Macky Sall, ces relations illustrent la complexité de la transmission du pouvoir et des alliances en constante évolution. Alors que Macky Sall revient sur la scène politique en 2024, le passé se mêle au présent, annonçant des élections législatives sous haute tension.
L’histoire politique du Sénégal est marquée par des transitions de pouvoir qui, bien qu’elles aient été pacifiques, n’ont pas toujours été sans tensions.
Une transition fluide entre Senghor et Diouf
Le 31 décembre 1980, Léopold Sédar Senghor, premier président du Sénégal indépendant, démissionne volontairement et passe le relais à son Premier ministre Abdou Diouf. Cette transmission du pouvoir, bien qu’exceptionnelle en Afrique, est soigneusement préparée par Senghor. Cependant, elle n’est pas sans susciter des tiraillements au sein du Parti socialiste où plusieurs membres se voyaient comme de potentiels successeurs.
Malgré cette période de transition, la relation entre Senghor et Diouf est marquée par une certaine continuité. Les deux hommes ont travaillé ensemble pendant des années au sein du gouvernement et du Parti socialiste. Diouf, qui avait refusé de prêter allégeance à Senghor lors de la crise de décembre 1962 entre ce dernier et Mamadou Dia, avait été relevé de ses fonctions de gouverneur, mais cela n’a pas empêché le président-poète de lui accorder sa confiance par la suite.
Ainsi, après avoir été directeur de cabinet à la présidence de la République en 1963, Abdou Diouf finit par devenir Premier ministre, avant d’accéder à la présidence.
Son magistère, bien que marqué par une continuité politique, se distingue par une volonté de rupture avec l’héritage de Senghor, un processus que certains ont qualifié de ‘’désenghorisation’’. Il introduit notamment le multipartisme intégral et libéralise la presse, ouvrant ainsi le champ politique à plus de diversité.
Après sa démission, Senghor se retire totalement de la scène politique, vivant une retraite paisible en France. Son départ laisse à Diouf les coudées franches pour gouverner sans être éclipsé par la figure de son prédécesseur. Cette transition harmonieuse, dictée par des relations personnelles et politiques solides, contraste fortement avec les rapports tendus entre Diouf et Wade.
Les relations conflictuelles entre Diouf et Wade
Abdou Diouf et Abdoulaye Wade ont eu une relation nettement plus complexe, marquée par des décennies d’opposition politique avant que le ‘’Pape du Sopi’’ ne devienne président en 2000. Pendant 24 ans, il a été le principal opposant à Diouf, incarnant le changement et la contestation à travers sa formation politique, le Parti démocratique sénégalais (PDS).
Leurs rapports sont jalonnés d’affrontements politiques. En 1988, Wade est condamné à un an de prison avec sursis, pour son implication dans des troubles postélectoraux, et en 1993, il est arrêté pour son implication présumée dans l’assassinat de Me Babacar Sèye, vice-président du Conseil constitutionnel.
Malgré ces tensions, il finit par être libéré et poursuit sa carrière politique.
En 2000, après sa défaite lors de l’élection présidentielle face au secrétaire général national du PDS, le président Diouf accepte les résultats des urnes et se retire dignement. Wade, reconnaissant, lui demande même de le représenter lors d’un sommet sous-régional, signe de respect envers son ancien rival.
Malgré cela, leurs relations ne restent pas totalement pacifiques. En 2002, le chef d’État s’oppose initialement à la candidature d’Abdou Diouf à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), mais finit par soutenir son prédécesseur, sous la pression de la France. Ce revirement illustre les ambiguïtés des relations entre les deux hommes, oscillant entre respect institutionnel et rivalité politique.
Après son départ du pouvoir, Abdou Diouf se retire progressivement de la vie politique sénégalaise, laissant le Parti socialiste aux mains de ses successeurs, notamment Ousmane Tanor Dieng. Contrairement à Senghor, bien qu’il soit membre de l’Académie française, Diouf, lui, choisit de rester impliqué sur la scène internationale en tant que secrétaire général de l’OIF, un poste qu’il occupera jusqu’en 2014.
Les relations tumultueuses entre Abdoulaye Wade et Macky Sall
La relation entre Abdoulaye Wade et Macky Sall, deux figures emblématiques de la politique sénégalaise, ressemble à un feuilleton marqué par des épisodes de conflit, de réconciliation et de nouvelles tensions. Après des années d’animosité, leur rapprochement en 2019 avait laissé entrevoir une possible trêve. Mais derrière cette apparente réconciliation, se cachent des divergences profondes qui continuent de nourrir la complexité de leur relation.
Le 27 septembre 2019, un moment fort symbolique s’est déroulé, lorsque Macky Sall et Abdoulaye Wade sont apparus main dans la main à la mosquée Massalikoul Djinane, marquant ce qui semblait être la fin de leurs querelles politiques. Le président Sall, dans un geste de courtoisie, a même raccompagné ‘’le vieux’’ à son domicile, déclarant devant les caméras : ‘’Évidemment, il y a eu des contentieux, mais tout ça doit être dépassé. C’est pourquoi je lance un appel solennel au président Abdoulaye Wade à discuter avec moi du pays.’’
Cette main tendue marquait une tentative de réconciliation, après des années de tensions. En effet, depuis 2012, les deux hommes étaient devenus des adversaires acharnés. Macky Sall, qui avait servi loyalement sous Wade, n’a jamais pardonné son exclusion brutale du (PDS) en 2008. De son côté, Wade n’a jamais digéré l’emprisonnement de son fils Karim sous la présidence de Macky Sall, incarcéré pendant plus de trois ans. Ce qu’il a vécu comme une trahison.
Le protocole de Conakry
La rupture entre les deux anciens alliés est en grande partie due à la présidentielle de 2019. Wade, en réaction à la disqualification de son fils Karim à la course présidentielle, avait lancé un appel virulent à ses partisans pour saboter le scrutin. Ses déclarations incendiaires, demandant même de brûler les urnes et les cartes d’électeur, avaient fait craindre une escalade de la violence politique.
Une médiation d’urgence, renommée le ‘’protocole de Conakry’’, menée par des acteurs régionaux comme Alpha Condé, président de la Guinée, avait permis d’éviter le pire. L’ancien président avait été temporairement exfiltré à Conakry pour calmer les tensions, ce qui avait ouvert la voie à l’élection de Macky Sall pour un second mandat.
Malgré ce contexte de conflit, Macky Sall a décidé de rendre hommage à son ancien mentor, en baptisant le stade de Diamniadio du nom d’Abdoulaye Wade. Ce geste symbolique visait à apaiser les tensions, mais il n'a pas suffi à dissiper les rancœurs.
Macky Sall – Diomaye et Sonko : des comptes à solder
La surprise de l’annonce du retour de Macky Sall sur la scène politique en tant que tête de liste nationale de la coalition de l’opposition Takku Wallu Sénégal pour les législatives de novembre 2024, ne manque pas de relancer les hostilités. Ce retour en politique intervient alors que le nouveau régime, dirigé par le président Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko, est déterminé à mener une ‘’reddition des comptes’’ visant l’ancien régime de Macky Sall. Mais surtout à asseoir leur pouvoir en obtenant une majorité absolue à l’Assemblée nationale.
Pour rappel, Diomaye et Sonko ont été emprisonnés par le régime de Macky Sall. Le Sénégal a vécu les pires crises préélectorales dans la confrontation entre ces derniers.
Malgré une accalmie après l’élection présidentielle, la situation reste tendue, tant il y a de contentieux à solder. Avec des enquêtes, des audits et des interdictions de quitter le territoire visant d’anciens dignitaires de son régime, Macky Sall et ses partisans font face à une pression croissante de la part du gouvernement en place.
Ousmane Sonko, figure centrale de l’opposition pendant les années Sall, voit en ce retour une opportunité de prendre une revanche personnelle et politique contre celui qui fut à l’origine de la féroce répression contre son parti.
Macky Sall, un retour sous haute tension
Le retour de Macky Sall dans le paysage politique a été accueilli avec des réactions mitigées. Ses partisans voient en lui un leader capable de ramener de la stabilité dans un contexte politique tendu. En revanche, ses détracteurs, notamment les victimes des répressions sous son régime, considèrent ce retour comme une provocation. Amnesty International a d’ailleurs rappelé que plus de soixante personnes ont perdu la vie lors des manifestations antigouvernementales entre 2021 et 2024, sous la présidence de Macky Sall.
Dans ce climat explosif, les partisans de Sonko ne cachent pas leur amertume face à la présence de Macky Sall sur la scène politique, voyant en lui le symbole de l’ancien régime corrompu. Ousmane Sonko, investi par le Pastef comme tête de liste pour les législatives, incarne désormais l’opposition frontale à Macky Sall, inversant ainsi les rôles par rapport aux années précédentes.
Les Wade et Macky, une alliance improbable aux législatives
Ironiquement, malgré leurs différends passés, les partis de Wade et de Macky Sall se retrouvent aujourd’hui dans la même coalition pour les élections législatives anticipées de novembre 2024. Cette alliance inattendue reflète la complexité de la politique sénégalaise, où les alliances se font et se défont au gré des intérêts électoraux.
Le retour de Macky Sall, malgré les critiques et les rancœurs qu’il suscite, ajoute une dimension nouvelle à ces législatives, déjà marquées par des enjeux de pouvoir cruciaux. Tandis que Sonko et son gouvernement poursuivent leur campagne de transparence et de reddition des comptes, l’ancien président se positionne comme un acteur incontournable de l’opposition, bien décidé à regagner le terrain politique qu’il a perdu.
Les relations entre les anciens présidents reflètent à elles seules les dynamiques complexes du pouvoir au Sénégal. De l’amitié à l’inimitié, en passant par des tentatives de réconciliation, ces figures de la politique sénégalaise ont traversé des décennies de collaborations et de conflits.
Leur trajectoire politique illustre les tensions qui existent au sein des élites sénégalaises, où le jeu des alliances et des rivalités ne cesse de redéfinir le paysage politique.