SEIZE CHEFS D'ÉTAT-MAJOR EN SOIXANTE ANS
A ce jour, aucun CEMGA n’est venu de la Marine nationale. La production imminente d’hydrocarbures la propulsera sûrement au devant de la scène militaire après les Armées de terre et de l’air dans un avenir pas lointain
12 avril 1963-12 avril 2023. Il y a soixante ans, le Général Amadou Fall, premier Chef d’Etat-major général des Armées(Cemga) était radié par le Président Léopold Sédar Senghor. Victime de sa proximité avec le Président du Conseil Mamadou Dia, il est remplacé par le Général Jean-Alfred Diallo le 17 décembre 1962. Un autre Cemga, le Général de division, Joseph Louis Tavarez De Souza, sera lui aussi victime des soubresauts politiques, consécutifs aux élections de 1988. Une histoire de Cemga vous retrace le passage des quinze chefs des Armées. Le seizième, le Général de corps d’armée Mbaye Cissé, nommé le 6 avril dernier, l’est effectivement depuis le lundi 10 avril.
Amadou Fall, le premier étoilé à commander les Forces armées sénégalaises du 20 août 1960, date de l’éclatement de la Fédération du Mali, au 17 décembre 1962, chute de Mamadou Dia et de quatre ministres, paie pour sa proximité avec son chef direct.
Il sera limogé par le Président Léopold Sédar Senghor. Une sanction « illégale » selon Roland Colin, directeur de cabinet de Dia, auteur de « Sénégal notre pirogue, au soleil de la liberté, journal de bord 1955-1980 ». Selon lui, cette mesure devait être prise en Conseil des ministres sur proposition de Mamadou Dia, Président du Conseil et ministre de la Défense. Après avoir purgé deux mois d’arrêt de forteresse à Gorée, le Général Fall est radié de l’Armée le 12 avril 1963, soixante ans jour pour jour. Il se contentera de sa pension de Colonel de l’Armée française. Convaincu d’être innocent, il refusera d’écrire au Président Senghor pour faire amende honorable. Il ne sera jamais réhabilité. Il sera remplacé par le Général Jean Alfred Diallo, autre officier formé comme lui en France.
Le Général de division Diallo restera à la tête des Forces armées jusqu’au 30 juin 1972, en exerçant dans le même temps les fonctions de Haut commandant de la Gendarmerie de 1968 à son départ de la Grande muette. Le successeur du Général Amadou Fall, aura ainsi cumulé une dizaine d’années au poste de Cemga. Témoin de la grande grève de mai 1968, avec un pouvoir civil presque à terre, le Général Diallo refuse le pouvoir que lui offrait le Président Senghor.
Son remplaçant, le Général Idrissa Fall (1er juillet 1972 au 30 juin 1984) est celui qui a eu le plus long bail au poste de Cemga. Alors que ses deux devanciers eurent comme grandes épreuves la crise de 1962 et la grève de mai 68, le troisième Cemga verra l’intervention de ses hommes en Gambie pour chasser Kukoi Samba Sagna et sauver le Président Dawda Jawara. Ce sera l’opération Fodé Kaba II marquée par la perte de plusieurs de nos soldats. Le nouveau Cemga leur a rendu d’ailleurs hommage dans un ouvrage relatant cette première grande épreuve de feu de notre Armée à l’extérieur sous Abdou Diouf.
Sous le Général Joseph Louis Tavarez de Souza, (1er juillet 1984-31 mai 1988), l’Armée connaîtra quelques états d’âme, liés aux événements post-électoraux de 1988 marqués par l’emprisonnement de l’opposant Abdoulaye Wade et des émeutes à Dakar.
Le Cemga De Souza voulait-il tenter un coup d’Etat en compagnie des colonels Bampassy, Gomis, Oumar Ndiaye et Gabar Diop? L’accusé avait répondu fort à propos dans une interview à Sud Quotidien: « On ne tente pas un coup d’Etat, on le fait. » Il sera limogé puis affecté en Allemagne en qualité d’ambassadeur. A son retour à Dakar, un peu plus d’une année plus tard, il sera traduit devant le conseil d’enquête et jugé par son successeur, le Général de corps d’armée aérien, Mamadou Mansour Seck alias « Number One », premier Commandant du Groupement aérien sénégalais(GAS).
Ce dernier sera à la tête de l’Armée, cinq ans durant, du 31 mai 1988 au 30 juin 1993. Son passage sera marqué par la mort de 91 Jaambars en Arabie saoudite lors du crash de leur avion. Ce fut le moment le plus tragique pour l’Armée.
Chef du contingent sénégalais en terre saoudienne, le Général Mouhamadou Keïta, sera nommé Cemga du 30 juin 1993 au 30 juin 1996. Son passage est marqué par le guet apens tendu à nos soldats à Babonda en Casamance. 25 hommes y trouveront la mort.
Le Général d’armée Lamine Cissé lui succède le 1er juillet 1996. Sa mission prend fin le 31 décembre 1997. Son passage de dix-huit mois fut le plus court pour un Cemga. Il deviendra ministre de l’Intérieur de 1998 à avril 2000, année de l’avènement de la première alternance politique au Sénégal, avec la chute de Abdou Diouf et l’arrivée de Wade au pouvoir.
Le Général de division Mamadou Seck, a été Cemga du 1er janvier 1998 au 30 avril 2000. Il aura passé moins d’un mois avec le nouveau Président Abdoulaye Wade. Il ne devait pourtant être admis dans la deuxième section, antichambre de la retraite pour les généraux, que le 31 décembre 2000. Pour le remplacer, Wade porta son choix sur le Général de brigade Babacar Gaye qui finira Général de corps d’armée.
Il a commandé l’Armée du 1er mai 2000 au 12 août 2003. Le naufrage du bateau « le Joola » géré par la Marine, le 26 septembre 2002, avec près de 2.000 morts, restera le souvenir civilo-militaire le plus sombre de son commandement.Babacar Gaye cède la place à Papa Khalilou Fall, Saint-Cyrien tout comme lui, Mamadou Mansour Seck, Mamadou Seck, Mouhamadou Keïta et Lamine Cissé, du 12 août 2003 au 31 mai 2006.
Premier Ancien enfant de troupe(AET) de Saint-Louis Cemga, le commando Pape Khalilou Fall aura le grade de Général de corps d’armée tout comme son successeur Abdoulaye Fall (1er juin 2006 au 30 octobre 2012).
La fin des Saint-Cyriens
AET lui aussi, Abdoulaye Fall sera le premier officier issu de l’académie royale militaire de Meknès au Maroc à être chef de l’Armée. Le Général d’armée Mamadou Sow (30 octobre 2012-31 décembre 2016) est quant à lui, le premier Cemga formé au Sénégal à l’Ecole nationale des officiers d’active(Enoa) de Thiès. Il sera suivi du Général de division Cheikh Guèye (1er janvier 2017 au 19 septembre 2019). Il est le second chef des Armées formé au Maroc. De cette date au 29 mars 2021, c’est un pilote formé au Maroc, le Général de division Birame Diop qui tient le commandement. C’est après « Number One », le deuxième Général de l’Armée de l’air à piloter les Forces armées.
Le Général de corps d’armée Cheikh Wade, troisième Cemga issu de Meknès, le remplace du 30 mars 2021 au 05 avril 2023. De 1982 à une période récente, le passage des différents Cemga a été surtout marqué par la rébellion casamançaise, le conflit sénégalo-mauritanien de 1989 n’ayant jamais pu dégénérer en guerre.
Le nouveau Cemga, le Général de corps d’armée Mbaye Cissé de l’Artillerie, arrive dans un contexte où le Mouvement des forces démocratiques de Casamance(Mfdc) est presque anéanti.
Formé à l’Enoa, le Général Cissé, nommé le 06 avril 2023 avec prise d’effet le lundi 11 avril est après Mamadou Sow « Nogass », le second Cemga sorti de Thiès. Reçu hier par le Chef de l’Etat, Chef suprême des Armées, il prendra fonction sou peu. Il devra face à de nouvelles menaces asymétriques liées au jihadisme dans la sous-région et à la surveillance de nos côtes riches en pétrole et en gaz.
A ce jour, aucun CEMGA n’est venu de la Marine nationale. La production imminente d’hydrocarbures la propulsera sûrement au devant de la scène militaire après les Armées de terre et de l’air dans un avenir pas lointain.
Soixante-trois ans après son indépendance, le Sénégal peut fièrement bomber la poitrine pour n’avoir jamais connu de coup d’Etat et pour avoir maintenu l’Armée intacte en dehors du jeu politique.