DAKAR SUFFOQUE
La dégradation de la qualité de l’air est devenue un phénomène récurrent à Dakar. Selon le Centre de gestion de la qualité de l’air, le niveau des particules fines dans l’air dans la capitale dépasse les normes fixées par l’OMS
La dégradation de la qualité de l’air est devenue un phénomène récurrent à Dakar. Selon le Centre de gestion de la qualité de l’air, le niveau des particules fines dans l’air dans la capitale dépasse parfois, les normes fixées par l’Organisation mondiale de la santé (Oms). Une situation qui perdure notamment au marché Colobane où les commerçants et les riverains demeurent préoccupés.
Il est 10 h passées de quelques minutes, ce jeudi 3 novembre 2022, et le soleil darde ses rayons sur Colobane. Sur la très fréquentée rocade Fann Bel-Air, à quelques mètres de l’ancien camp Mazout, le ronronnement des moteurs de véhicules se mêle aux chants traditionnels wolofs des vendeurs de tissus qui essaient d’attirer des clients. Des tas de détritus, de toiles et des flaques d’eau jonchent le sol. Un agent de la police nationale s’active à mettre de l’ordre dans la circulation. À côté, Pape Mbaye, un marchand ambulant discute tranquillement avec des amis, sous une tente de fortune au bord de la route. Vêtu d’un gilet orange, cet homme âgé d’une quarantaine d’années essaie, tant bien que mal, de s’accommoder avec la mauvaise qualité de l’air. La fumée suffocante qui se dégage des pots d’échappement des véhicules coincés dans les embouteillages ne semble point le déranger. « C’est toujours comme ça ici. La situation perdure. Il y a trop de voitures à Dakar. Il n’y a pas de répit du matin au soir. Nous avons l’habitude de respirer de l’air pollué. Je n’ai pas le choix, on n’y peut rien » se désole-t-il, tout en affirmant que c’est presque tout le secteur qui est touché par la pollution.
Un phénomène qui prend de l’ampleur
Au rondpoint Scoa, l’un des carrefours les plus empruntés par les camions pour entrer dans la zone industrielle de Bel-Air. Ici, le trafic routier est dense à longueur de journée. Sur la route de Rufisque, le bruit émis par les machines de soudage se mêle à celui des marteaux perforateurs des forgerons. La fumée émise par les voitures coincées dans les embouteillages et la poussière rendent la qualité de l’air ambiant très mauvaise. Hormis les ferrailleurs « Baol — Baol » (originaire du Baol) qui s’activent à décharger des camions, les trottoirs sont remplis d’épaves de voitures, de parpaings et de gargotes. Ousmane Sagne, la cinquantaine, teint clair et habillé d’un teeshirt bleu, veille sur ses marchandises avec circonspection. Sous son parasol, il époussète les accessoires automobiles couverts d’une fine couche de poussière. Ce commerçant déplore la dégradation de la qualité de l’air dans le secteur. « Vous voyez, je suis obligé de porter un masque pour éviter d’attraper le rhume. La qualité de l’air est souvent détériorée ici. Ce sont surtout les vieux camions et les véhicules de transport en commun qui dégagent souvent de la fumée noirâtre », affirme-t-il. Tout en buvant sa tasse de café, il fustige les embouteillages qui, selon lui, sont la principale cause de la recrudescence de la pollution de l’air.
Des embouteillages accentués par l’encombrement
La ville de Dakar concentre plus de la moitié du parc automobile sénégalais et plus de 80 % des installations industrielles, selon le Centre de gestion de la qualité de l’air (Cgqa). Les véhicules ont toujours des difficultés à circuler normalement à cause de l’encombrement. Sur la rue 14 de Colobane, il est difficile, pour les piétons, de marcher sans obstacle. De petits groupes de personnes essaient tant bien que mal de se faufiler entre les fourgons et camions stationnés au beau milieu de la rue. Cette rue est presque asphyxiée d’innombrables magasins dont les marchandises débordent sur la voirie urbaine causant ainsi des bouchons à longueur de journée.
Rama Savané attend impatiemment un bus pour aller à l’université. Teint clair et silhouette gracile, cette jeune femme est vêtue d’une jupe plissée et d’une chemisette blanche. Bien que concentrée à manipuler son portable, cette étudiante au visage défraichi par la sueur et renfrogné par la forte canicule consent à lâcher quelques mots : « La situation s’empire de jour en jour. Il fut des temps, il n’y avait pas beaucoup de voitures et d’étals sur les trottoirs. Aujourd’hui, avec l’occupation anarchique, il devient plus difficile pour les passants et même pour les véhicules de circuler sans obstacle », se désole -t-elle. Elle poursuit : « La voirie n’est plus en mesure de contenir tout le trafic. Nous ne sommes plus en paix même dans nos maisons. » Toutefois, cette riveraine, la vingtaine, fustige les risques sanitaires. « Hormis les bruits au quotidien, la fumée dégagée par les véhicules est insupportable, surtout durant les heures de pointe. Les toux et les rhumes sont devenus fréquents », se limite-t-elle à dire.
Une menace réelle pour la santé
La pollution de l’air constitue le premier risque sanitaire d’origine environnementale pour la santé. Elle augmente le risque d’accident vasculaire cérébral, de cardiopathie, de cancer du poumon et de maladies respiratoires aiguës, notamment l’asthme, selon l’Oms. Toujours à la rue 14, Moustapha Amar, teint noir et forte corpulence s’inquiète au plus haut point. L’homme, âgé d’une quarantaine d’années, exerce, depuis plusieurs années, au marché Colobane. Surpris devant la porte de sa cantine, en compagnie d’autres commerçants, ils discutent dans une ambiance bon enfant. Habillé d’un Djellaba et chapelet à la main, il déclare que « la fumée et la poussière le rendent souvent malade ». « Je suis souvent enrhumé. Il arrive souvent que je suffoque de temps en temps quand il y a trop d’embouteillages surtout en mi-journée. C’est pourquoi je porte tout le temps un masque chirurgical », explique-t-il. Selon lui, la mauvaise qualité de l’air dans le secteur en est en partie responsable.